Mise élégante et port altier, une femme arpente les quais de la gare de Mérida au petit matin. Des passagers apeurés n’osent croire que la guerre est finie, mais Isabel fait partie de la caste des vainqueurs et n’a rien à redouter des phalangistes arrogants qui battent le pavé en ce rude hiver 1941. Elle presse la main de son plus jeune fils et écrit à l’ainé qu’elle s’apprête à abandonner, les raisons de sa fuite.
Le train pour Lisbonne partira sans elle. L’enfant rentre seul chez son père, obnubilé par le sabre qu’un homme vient de lui promettre. Il n’est encore qu’un petit garçon vulnérable attaché à sa mère. Et Isabel disparaît pour toujours.
Des années plus tard, une avocate envoie sous les verrous un inspecteur jugé coupable d’une bavure policière. Evidences et preuves s’amoncellent : la joute est trop aisée et la victoire trop belle. Maria vient d’ouvrir une effroyable boîte de pandore, libérant quatre décennies de fureur de vengeance et de haine dont elle ignore tout et qui pourtant coulent dans ses veines…
Ce que j’en pense :
« Le fil de la haine est plus tranchant que le fil de l’épée la mieux aiguisée »
Mai 1981, Barcelone : » Il y a des gens qui refusent d’être aimés, ils préfèrent qu’on les quitte. Maria était de ceux-là. C’est sans doute pourquoi elle ne voulait voir personne, même en fin de parcours, dans cette chambre d’hôpital. »
Dans cette chambre Maria, récemment opérée d’une tumeur au cerveau, se souvient, et dévide le fil de son histoire.
1941, le train pour Lisbonne partira sans Isabel, qui est enlevée, et sera torturée et assassinée peu après, par son ancien amant.
1976 Maria Bengoechea, jeune avocate se voit proposer de défendre un certain Ramoneda, victime d’une bavure policière : Elle accepte le dossier et finit par obtenir la prison à perpétuité pour le policier responsable.
Ce faisant, elle met un doigt dans un engrenage infernal. Dans cette Espagne de l’après Franco, qui fait l’apprentissage de la démocratie, les souvenirs des exactions passées et les haines sont encore tenaces. Et certains seraient tentés par un retour à l’ancien régime.
Dans cette Espagne d’après-guerre, les victimes deviennent bourreaux, au nom de la justice, ou est-ce plutôt de la vengeance?
Dans la période d’après-guerre, un assassinat dans une carrière abandonnée de la province d’Estrémadure. Cet assassinat est la colonne vertébrale du roman, et déclencheur de la tragédie vécue par trois familles, de Badajoz à Barcelone, en passant par Leningrad, avec les soldats de la Division Azul. Quarante ans après, ce crime marque encore tous ceux qui ont été en relation avec elle, et ces stigmates sont comme une malédiction qui se transmet à travers les générations. Autant de familles, autant de secrets et de malheurs et de souffrances.
Je ne vous ferai pas ici la (longue) liste de tous les protagonistes de l’histoire dont les principaux sont, en plus de Maria,son père Gabriel, son mari Lorenzo, Marcelo Alcalà précepteur d’Andres, son fils César Alcalà, Isabel Mola, épouse de Guillermo Molà, ancien franquiste et politicien ambitieux, Publio, son âme damnée, Pedro Recasens colonel des services de renseignements…
Maria découvrira au fil du roman, que l’histoire des familles Alcalà, Molà et la sienne sont intimement liées, et elle ne peut encore se douter à quel point.
Le thème est passionnant. Une vraie tragédie grecque, une histoire complexe, avec de multiples facettes et aspects qui nous sont dévoilés, s’emboîtant les unes dans les autres comme dans un puzzle magistral. Et quand à la fin la dernière pièce trouve sa place et que l’on a une vision d’ensemble, on réalise la grande complexité de l’ensemble et la maîtrise qu’il a fallu à l’auteur pour le concevoir.
« Tu aurais du comprendre que tu ne peux comprendre l’âme des êtres humains. Dans les dossiers qui s’entassent sur ton bureau, tout est sans doute noir ou blanc. mais ici, entre nous, ce point de vue manichéen ne tient pas la route: ici, les hommes sont tous gris. Comme moi. Comme toi. »
Les personnages qui composent cette fresque sont tous d’une grande richesse, complexes dans leur diversité : ni bons, ni méchants, tantôt victimes, tantôt bourreaux, ils sont à l’image de cette Espagne de fin de XXème siècle, qui n’a pas encore trouvé son identité.
La force de l’auteur, malgré les incessants voyages entre présent et passé, le nombre important de personnages dont aucun n’est anecdotique, et les données nécessaires pour placer le roman dans son contexte historique, est de nous maintenir dans un état d’attention permanent, par une écriture aérée, précise, et un enchaînement toujours logique.
Un roman où la haine, la vengeance et le remords tiennent un grand rôle. Ce roman, autant roman noir que roman historique, est profondément ancré dans l’histoire de son pays, qui n’a pas encore tiré un trait sur son histoire récente. Car pour reconstruire un pays neuf, il a bien fallu conserver en place des tortionnaires et des partisans du régime franquiste. L’Espagne ne pourra en terminer avec cette guerre qu’avec la mort de la génération impliquée.
L’auteur fait dire à l’inspecteur César Alcalà : « Notre démocratie est comme une gamine hargneuse qui ne sait pas où cacher sa merde, alors qu’elle ne sait pas encore marcher. »
Mon père, combattant anti franquiste, était peu loquace sur cette période, et illustrait fort bien cette citation de Manuel Vázquez Montalbán, père du privé Pepe Carvalho :
“Vous avez devant vous un ancien combattant antifranquiste, et cela peut paraître incroyable, mais c’est mal vu aujourd’hui, ça provoque rougeur, honte et mauvaise conscience. La vie de cette démocratie est comme l’échelle d’un poulailler : courte et pleine de merde.”
Un roman foisonnant et ambitieux, une totale réussite !
Editions Actes Sud 2012
L’auteur :
Victor del Arbol est né à Barcelone en 1968. Après des études d’histoire, il travaille dans les services de police de la communauté autonome de Catalogne.
J’ai acheté un roman de l’auteur mais je n’ai pas pris le temps de le lire. Ta chronique est du genre à m’en faire culpabiliser, tellement tu sais en faire passer le message
Pas étonné que cet univers soit à ton goût, je commence à bien te connaitre, Vincent 😉
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La culpabilité ne te ronge pas trop, au moins?… Je ne voudrais pas te retrouver en morceaux, à notre prochaine rencontre… 🙂
Et tout ce qui touche à l’Espagne me touche… Forcément!!!
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Il faut que je tente cet auteur!!!!
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Tente donc, ma chérie… 🙂
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J’avais eu du mal avec le début du roman, alors que son deuxième m’a emporté. Il faudrait peut-être que je le reprenne. Belle chronique, monami. Amitiés
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Il est vrai que le début peut paraître un peu longuet, le temps de la mise en place des nombreux personnages, chacun avec leur histoire… Mais la suite vaut la peine… 🙂 A bientôt mon bon Pierre…
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J’aime bien la phrase d’intro 😉 Bon, je ne note pas, pas que j’ai pas envie, mais tu connais ma PAL… 🙄
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A l’occasion… 🙂
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Oui ! 😉
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Habituellement je fuis les polars mais là, je pourrais me laisser tenter, Barcelone, le mélange entre époques…
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A essayer… Pourquoi pas?
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J’ai adoré les 3 titres de Victor del Arbol.
Quelle puissance évocatrice, quel lyrisme. Une plume romanesque qui pourtant pointe les faille de notre monde occidental.
Merci pour cet bel chronique monsieur Garcia 😉
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A vot’ service, madame… 🙂
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🙂
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