Ma première rencontre avec le Commissaire Yeruldelgger de Ian Manook avait été une magnifique surprise, tant au niveau de l’intrigue, que des personnages et du milieu dans lequel l’auteur avait choisi de les faire évoluer. Avec « Les temps sauvages », l’auteur enfonce le clou.
En pleine steppe, dans le dzüüd (blizzard) glacé, le cadavre d’un yack, comme tombé du ciel, qui écrase un cheval et son cavalier… Des fémurs humains retrouvés dans un glacier, à flanc de montagne… Yeruldelgger enquête sur la mort de Colette, une ex-prostituée et sur la disparition de son fils adoptif. Il est lui-même soupçonné dans cette affaire, ayant été filmé sur les lieux par une caméra de surveillance. Il ne fait aucun doute que quelqu’un cherche à le compromettre. Cette enquête va le mener de la Mongolie jusqu’aux frontières de la Russie, aux cités minières de Krasnokamensk et de Mardai, jadis florissantes et maintenant en pleine déliquescence, aux confins de la Chine. En France, la découverte sur le port du Havre, de six enfants morts dans un container, donne une autre dimension à ces dossiers.
Ces différentes enquêtes vont mettre à jour des faits de corruption à tous les niveaux de l’État, d’espionnage, de contrebande internationale, de magouilles politiques et de trafic d’enfants.
C’est avec plaisir que j’ai retrouvé le Commissaire Yeruldelgger, policier cabossé par la vie après un drame personnel, teigneux, au cœur meurtri et plein de colère.
« – Ce qui se voit, c’est que ton cœur est meurtri. De cette ville, de ce que deviennent les gens, de ce que tu fais pour vivre, de ce que tu ne peux plus faire pour les autres. Tu es fort dehors, mais tu pleures à l’intérieur… Tu sais que des gens t’aiment, mais tu ne sais pas comment les aimer. Tu voudrais remettre de l’ordre dans ta vie et dans la ville, mais tu ne peux le faire que par la force et la colère. »
Ces quelques mots du vieux nomade résument bien Yeruldelgger et ses contradictions, cet homme en colère, ce flic qui est amené à avoir parfois un comportement un peu limite avec la déontologie.
« Mon âme n’est plus en harmonie avec l’âme de ce pays. En s’effritant il m’érode. Il m’use. Ce que je perds en force d’âme, je vais devoir le gagner en colère. »
Le choc dû au dépaysement qui faisait la force du premier roman s’est un peu atténué avec cette suite, mais ce deuxième opus est tout aussi fort, par l’intensité des situations auxquelles sont confrontés Yeruldelgger et ses amis. En plus des personnages connus, comme Oyun, Solongo, Saraa, ou Gantulga, l’auteur a su intégrer des seconds rôles marquants dans son récit : Gourian, le militaire dont s’éprend Oyun et qui aura un rôle central dans l’histoire, et surtout Zarza le flic français, ancien barbouze reclassé dans la police ferroviaire, une sorte de clone européen de Yeruldelgger. Tous les personnages ont une certaine épaisseur, même ceux qui ne font qu’une petite apparition dans le roman, comme l’étrange Commissaire Akounine, du district de Krasnokamensk.
Ce récit est plus noir, plus sombre et plus violent que le précédent. Yeruldelgger et Zarza le flic français, sont chacun à leur manière, des jusqu’au-boutistes qui ne reculent devant rien, et se sortent de situations qui paraîtraient compromises pour le commun des mortels.
Les paysages hivernaux de la Mongolie, immenses et désolés, figés dans leur minéralité par un gel brûlant, sont décrits de façon sublime. L’aspect social qui est évoqué nous brosse un tableau sans complaisance de la Mongolie d’aujourd’hui, aux prises avec les mafias, russe, mongole ou chinoise, tiraillée entre modernisme et tradition, rationalisme et croyances anciennes. La ville d’Oulan-Bator, une des plus polluées de la planète, entre yourtes traditionnelles et immeubles modernes en est une criante illustration.
La narration est rythmée par des chapitres très courts, avec en exergue au début de chaque chapitre, les derniers mots de ce même chapitre, qui nous incitent à pousser plus avant notre lecture, dans une construction quasiment cinématographique.
Quelques mots sur le style, sur ces dialogues marqués au sceau d’un humour sous-jacent , qui viennent quelque peu tempérer les scènes les plus violentes. On croise un yack du nom de Grandgousier, comme le père du Gargantua de Rabelais, et des gypaètes ayant pour nom Diderot, Montesquieu ou d’Alembert…
J’ai noté avec plaisir quelques références aux « Tontons flingueurs », avec Maître Folace:
« C’est curieux, hein, ce besoin des cons de faire des phrases, intervint Yeruldelgger. » ou bien Raoul : « –Et qui te dit que j’ai envie de t’entendre, chinetoque ? Les fouille-merde, je les mets pas sur écoute, moi, je les fracasse. Je vais te mettre sur la feuille de match, et pas pour réchauffer le banc ! Je vais te montrer qui c’est, Rebroff. Aux quatre coins de la toundra qu’on va te retrouver, congelé par petits bouts, façon glace pilée. Moi quand on cherche le brassage, je cogne plus : je slap shot, je drop le puck, je pète la rondelle !«
Une mention sur la cuisine qui tient aussi une place très importante dans ce roman, et contribue encore au dépaysement, de la cuisine et des pâtisseries normandes aux recettes typiquement mongoles (ah, la tête de chèvre bouillie, le thé noir salé au beurre de yack, ou bien les buzz ou kuushuurs bien gras), qui paraitraient bien exotiques à nos palais européens.
En Mongolie, un enfant par famille reçoit l’enseignement d un monastère. Rien d’étonnant donc que la dimension chamanique, partie intégrante de la culture spirituelle mongole soit très présente dans ce livre, avec sa conception du bien et du mal, et de son rapport à la mort. A signaler également quelques très belles scènes impliquant les loups, que Yeruldelgger considère comme les gardiens de son âme.
En conclusion, un excellent roman, un « polar ethnologique » qui nous fait rêver et voyager, des rivages pluvieux de la Manche jusqu’aux steppes glacées de Mongolie. Je recommande, sans réserve !!! Et, M’sieur Manook, à quand le tome 3?
Editions Albin Michel, 2015
4ème de couv.
« Quand le vent du Nord s’abat sur les steppes enneigées d’Asie centrale, personne ne vous entend mourir.
Pour Yeruldelgger, le salut ne peut venir que de loin, très loin… »
Afin d’échapper à un complot dont il est la cible, Yeruldelgger enquête sur la mort d’une prostituée et la disparition de son fils adoptif, tandis que ses équipiers cherchent à élucider deux morts très étranges. Leurs recherches les mènent aux confins de la Mongolie, de la Russie et de la Chine, ainsi qu’au Havre, où la découverte des cadavres de 6 jeunes garçons dans un container va donner à cette affaire une toute autre dimension.
L’auteur :
Ian Manook, né en 1949, est un journaliste, éditeur et écrivain français
Il a sûrement été le seul beatnick à traverser d’Est en Ouest tous les États-Unis en trois jours pour assister au festival de Woodstock et s’apercevoir en arrivant en Californie qu’il s’ouvrait le même jour sur la côte Est, à quelques kilomètres à peine de son point de départ. C’est dire s’il a la tête ailleurs. Et l’esprit voyageur !
Journaliste, éditeur, publicitaire et désormais romancier, Yeruldelgger, son premier roman publié aux Éditions Albin Michel en 2013 fut couronné par le Prix des lectrices de ELLE, le Prix SNCF du polar, le Prix Quai du Polar / 20 minutes mais aussi par les lecteurs de Notre Temps et de St Pierre et Miquelon. Les Temps sauvages est le deuxième opus d’une série autour de Yeruldelgger, personnage éponyme qui nous conduit des steppes oubliées de Mongolie aux confins de la Russie et de la Chine.
Excellente chronique mon cher Vincent ! J’aime quand on est d’accord 😉 Bisous ❤
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J’aurais pas voulu te fâcher, je connais tes colères… 😉
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Deux énormes coups de cœur pour moi. Un grand auteur Mr Manook
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Deux excellents romans, et j’attends impatiemment le 3ème… 🙂
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En février prochain normalement Vincent, j’ai hâte
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Pffff!!!! Encore 10 mois…
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Et moi donc !
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Pas encore eu le plaisir de le lire ( dit il en regardant sa pal à côté de laquelle le haricot geant du conte pour enfant ferait figure de bonzaï) . Par contre j’avais eu la chance de rencontrer l’auteur à Montpellier chez Sauramps . En plus d’être un sacré écrivain, l’auteur est aussi un formidable conteur justement ! tu l’écoutes en buvant ses paroles comme du lait de Yack !¨Passionnant, comme ta chronique d’ailleurs ! AMitiés
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Alors, qu’attends-tu? 🙂
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Excellent ! Le roman et la chronique, ainsi que la petite anecdote… PTDR. Au moins, il a voyagé.
Je t’offre une tasse de thé au beurre rance quand tu veux, Vincent ! 😉
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Beurkkk!!! Tu veux ma mort? 🙂
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Non, juste une belle grimace ! Hé, j’aurais pu te proposer les yeux de la chèvre… paraît que c’est bon, en plus… mais je ne gouterai pas !
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Tu sais combien les livres de Manook comptent pour moi. Donc tu peux te douter de mon contentement à te lire, mon ami 😉
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Le prochain en février apparemment… 🙂
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C’est ce qu’il m’a dit quand je lai vu fin avril
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Lu et adoré. Content de voir que tu as apprécié.
Et vivement le prochain !!!
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Normalement en février prochain… J’ai hâte!!! 🙂
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Joker!!! 😛
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