Attention, coup de cœur ! Avec ce dernier titre, Victor del Arbol démontre toute sa maîtrise dans le domaine du noir, et s’impose comme l’un des chefs de file de la jeune génération d’auteurs hispaniques.
Scène d’ouverture : un petit garçon sort d’une voiture, accompagné de Zinoviev. Quelques instants plus tard, le corps du petit garçon flotte à la surface du lac, sur le ventre, « comme une étoile de mer ». Zinoviev est assassiné quelques jours plus tard. Pas seulement assassiné, mais écorché, ses testicules dans la bouche et la photo d’un jeune garçon clouée sur la poitrine. La photo de cet enfant est celle de Roberto, le fils de Laura, qui fut assassiné d’après tous les indices, par Zinoviev. De plus, les menottes qui le maintenaient prisonnier étaient celles de Laura, il n’en faut pas plus pour la transformer en principale suspecte.
« Laura méprisait et haïssait avec virulence ceux qui commettaient ces abus, elle les appelait “voleurs d’enfances” et s’efforçait jour après jour de les combattre, elle se mettait en quatre, jusqu’à épuisement, et bientôt je me suis rendu compte que cela la dévorait. Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas lutter seule contre toute la méchanceté du monde, que ses efforts n’étaient qu’une goutte dans l’océan. Et tu sais ce qu’elle m’a répondu ? “L’océan, ce n’est jamais qu’un million de gouttes ?” (Un millon de gotas est le titre original). »
Laura était policière, elle travaillait depuis longtemps au démantèlement d’un réseau de prostitution infantile au sein d’une organisation mafieuse russe, la Matriochka, et son implication fut telle qu’elle lui coûta la vie de son fils.
Peu après, Laura sera retrouvée morte, une balle dans l’estomac. Un suicide, selon toutes les apparences. Laura, ce personnage très sombre, qui bien que disparaissant dès le début du roman, en reste tout de même le personnage central, et autour de qui s’articule toute l’histoire.
Après le suicide de Laura, son frère Gonzalo qui avait rompu tout contact avec elle depuis une dizaine d’années, va chercher à comprendre les raisons de ce geste. Pour cela il va devoir remonter le fil du temps, remonter l’histoire de leur père, Elias Gil, héros de l’Espagne républicaine.
Ce roman, très ambitieux, nous fait voyager sur deux époques : de nos jours, et dans le passé, à partir de 1932, avec le voyage en Russie d’Elias Gil, au temps des grandes utopies, jusqu’à la guerre civile espagnole, le franquisme, la IIème guerre mondiale, les purges de Beria, en passant par le goulag stalinien de Nazino, « l’île aux cannibales ». Et dans l’ombre se tient la Matriochka, cette poupée Russe mafieuse, qui tire les fils du destin.
« Telle était la défaite. Le silence collectif, conscient, mortuaire. Ils savaient tous que ce silence s’abattait à jamais sur cette terre. Sur les chemins vers la France, les gens se dépouillaient de toute identité, les sentiers se remplissaient de cartes déchirées du parti communiste, socialiste ou catalaniste, de la CNT, mais ils se débarrassaient aussi de leur extrait de naissance, de leur carte d’identité, de leur livret militaire. Il n’y avait plus ni Espagnols, ni Basques, ni Catalans, ni républicains. Ils étaient devenus une masse superstitieuse, fatiguée, détraquée, prisonnière de rumeurs, parfois vraies, parfois délirantes, qui évoquaient des massacres dans la zone occupée et qui annonçaient l’approche de troupes expéditionnaires italiennes ou africaines. Alors, aiguillonnée par cette peur, la masse paisible devenait furieuse, désespérée, et forçait les passages de la frontière, affrontant les gendarmes à mains nues. Beaucoup moururent d’une balle ou d’une baïonnette étrangère alors qu’ils se croyaient sains et saufs. »
Comme dans les autres romans de Victor del Arbol, ce sont les personnages qui insufflent le souffle romanesque à l’œuvre. Ce sont eux qui forment la trame, qui transmettent des émotions et des sensations au lecteur, créant de l’empathie pour les uns et de l’aversion pour d’autres. L’auteur nous laisse le soin de les juger dignes ou indignes de notre compassion. Cela lui demande l’effort de prendre un peu de distance par rapport à ses personnages, en se plaçant un peu en marge, comme un observateur, pour les abandonner aux mains du lecteur, ou du moins le lui laisser croire.
« Ce qui l’offensait, c’était ta lâcheté, le refus d’accepter ta véritable nature. Tu en appelais à l’éthique pour torturer et tuer, lui, il appelait cela simplement du pragmatisme. Il était convaincu de l’inévitable nature corrompue de l’être humain et toi tu cachais tout cela sous la répugnante théorie de l’idéalisme. »
Dans le style des grandes épopées, passé et présent se confondent, se croisent et se recroisent dans une histoire d’une grande intensité dramatique, une incroyable histoire d’amour, de trahison, de faute, de vengeance, et peut-être de rédemption.
Comment ne pas être ému par le destin de ces femmes et de ces hommes, partis en Russie communiste pleins d’espoir en leur idéal d’un monde meilleur, qui vont se trouver piégés par le système stalinien, et perdre dans ses goulags toute leur humanité, et pour certains, leur vie. Elias Gil, Igor Stern, Irina, Anna Akhmatova, Esperanza, Alcazar, Gonzalo et Laura resteront présents dans ma mémoire pour un bout de temps encore…
Un très grand roman, une histoire d’hommes et de femmes entraînés dans les soubresauts de l’histoire européenne récente, qui a trouvé en moi un écho tout à fait particulier.
Un vrai coup de cœur!
Éditions Actes Sud, Février 2015
4ème de couv.
Gonzalo Gil reçoit un message qui bouleverse son existence : sa soeur, de qui il est sans nouvelles depuis de nombreuses années, a mis fin à ses jours dans des circonstances tragiques. Et la police la soupçonne d’avoir auparavant assassiné un mafieux russe pour venger la mort de son jeune fils. Ce qui ne semble alors qu’ un sombre règlement de comptes ouvre une voie tortueuse sur les secrets de l’histoire familiale et de la figure mythique du père, nimbée de non-dits et de silences.
Ah Vincent le retour, tu te faisais rare ces derniers temps ! Et quoi de mieux pour marquer ton retour que de chroniquer un auteur qui compte beaucoup pour toi. Faut vraiment vraiment que je le lise ce Monsieur !
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Un retour gagnant, alors? Et oui, il te faut lire ce monsieur, c’est un tout bon…
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Oui retour gagnant 😉
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Et voilà, j’étais sûre que tu adorerais ce titre.
Un pur moment de bonheur que ce nouveau Victor del Arbol.
Comme toi j’ai eu un véritable coup de coeur.
Tu vois, mon Vincent, parfois nos lectures nous rapproche 😉
Et oui, il faut vraiment que notre ami Yvan le découvre. 🙂
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Tu sais Geneviève, j’ai déjà un à-priori favorable pour les auteurs hispaniques, ça se comprend… Et si en plus ils sont bons… Quant à Yvan, il va falloir qu’il s’y colle, ou bien on va le punir… 😉
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Je m’adresse autant à Geneviève qu’à toi, mon ami Vincent. Je suis convaincu que c’est un auteur formidable et pourtant j’ai un mal fou à accrocher. C’était le cas pour La tristesse du Samouraï, idem pour La maison des chagrins. Il va falloir que je remette l’ouvrage sur le métier. Une très, très belle chronique, j’aime à le dire.
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Peut-être n’as tu pas assez la fibre « méridionale »? 😉
Ce n’est pas bien grave, on ne peut pas tous être séduit par les mêmes choses.
Tu es pardonné, mon ami… Et merci pour le compliment!
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Adoré aussi !!
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serais-tu chauvin mon Vincent? 😉
Bon, je ne connais pas non plus mais je m’empresse de noter 🙂
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Chauvin moi? Peut-être un peu, oui… Mais Victor del Arbol traite dans ce livres d’une période de l’Histoire quiaa profondément marqué ma famille… Donc, forcément… 🙂
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je comprends 🙂
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