Jusqu’à quel point connait-on réellement ses amis?
Avant qu’il ne prenne sa barque et aille ramer jusqu’au milieu d’un lac pour se trancher les veines, la seule chose remarquable que Julian Wells laissait à la postérité était une série de livres particulièrement bien documentés sur des criminels célèbres de l’Histoire. Ce suicide, venant mettre fin à une vie sans éclat, cause une vive émotion à sa sœur Loretta, actrice ratée et correctrice, et à son ami Philip, critique littéraire.
» – Oh, si seulement j’avais été là, mon cher ami.
– Oh, si seulement j’avais été là dans la barque auprès de toi.
En sachant ce que je sais aujourd’hui. »
Tout au long du roman, c’est cette question qui va hanter Philip, son mentor et ami. Veuf et sans enfant, il se résout à explorer la vie de son « seul véritable ami » et comprendre « comment se faisait-il, qu’après un début si flamboyant le monde ait conspiré pour lui réserver une fin si tragique? ».
Pour commencer, deux indices: une carte d’Argentine que Julian examinait le jour de sa mort, et une dédicace obsédante qu’il avait écrite sur son premier livre : « A Philip, seul témoin de mon crime. » Cette dédicace a toujours intrigué Philip, car il n’a pas la moindre idée que de ce son ami entendait par là. En Argentine justement, à Buenos Aires, ils avaient tous deux connu Marisol, une jeune guide touristique, qui avait ensuite mystérieusement disparu lors des jours les plus sombres de la dictature militaire des années 1970 à 1980.
Non content de retracer l’histoire de Julian à travers ses écrits (« ses phrases décharnées d’une sombre concision »), Philip va commencer à voyager sur ses traces, qui déjà s’estompent, dans tous les lieux où Julian avait séjourné pour recueillir la matière première de ses récits : de Londres à Paris, de Budapest à Rostov sur le Don, et de retour à Buenos-Aires, où ils avaient séjourné ensemble au début des années 80…
Il va rencontrer au cours de ces voyages une succession de personnes douteuses et s’enfoncer plus avant dans un monde ou un rien sépare l’apparence de la réalité.
« C’est la distorsion qui crée la perfection », disait Julian.
Au fur et à mesure de ses investigations, Philip en vient à se demander s’il n’existait pas chez son ami une certaine dichotomie.
“Dans un thriller, ce seraient les autres qui essaieraient de m’empêcher d’en savoir plus… Mais là, on dirait que c’est Julian qui brouille les pistes.”
Et ce crime dont s’accuse Julian, quel peut-il bien être? La conséquence d’une plaisanterie anodine? Le résultat d’un jeu innocent?
« même si c’est par jeu que les enfants tuent les grenouilles, les grenouilles meurent pour de vrai. »
La psychologie des personnages est savamment équilibrée et bien nuancée, avec une narration axée plus sur la psychologie que sur l’action pure.
Les références littéraires sont nombreuses, peut être trop au goût de certains, mais toujours pertinentes, la plus évocatrice étant une description du disparu, au tout début du roman: « Tel Orphée, il avait apporté sa musique aux enfers et, tout comme lui, il était mort dans un monde qui ne souhaitait plus l’entendre. »
A mon avis, Thomas H. Cook ne jouit pas de la renommée que devrait lui conférer son immense talent. Peut-être parce qu’on ne peut le placer dans aucune niche, ni polar, ni thriller, mais ses livres sont beaucoup plus cela. Plus que de la littérature de genre c’est tout simplement de la littérature, où l’auteur utilise avec succès les codes des autres genres pour les intégrer à son œuvre. Son étude des comportements humains est sans faille. Son écriture et l’analyse de ses semblables sont d’une grande finesse et d’une grande sensibilité, à l’image de l’homme, d’une douceur et d’une amabilité confondantes.
Avec ce « Crime de Julian Wells », nous trouvons un auteur au sommet de son art. Une énigme littéraire, pleine de rebondissements et de mystères, peuplée de personnages profondément humains et aux multiples visages.
Ça n’est pas du « page-turner », ça ne flingue pas à toutes les pages mais, pour qui sait prendre son temps, c’est un excellent roman, un chef d’œuvre d’analyse de toute la complexité de la psychologie et des sentiments humains.
C’est un roman qu’il faut lire, je le recommande chaleureusement.
Éditions du Seuil, 2015
4ème de couv:
Philip Anders, critique littéraire, s’interroge : pourquoi son ami l’écrivain Julian Wells s’est-il tranché les veines dans une barque, au milieu de l’étang de sa propriété des Hamptons ? Le suicide est irréfutable, ses raisons impénétrables.
En enquêtant sur leur passé commun ? un voyage en Argentine du temps de la dictature militaire, au cours duquel leur jolie guide Marisol avait disparu ? mais aussi sur l’œuvre de Julian, hantée par des tueurs aussi abominables qu’Erzsébet Báthory, la Comtesse sanglante, ou Tchikatilo, l’Éventreur rouge de Rostov, Anders est confronté à la part d’ombre de celui qu’il admirait tant.
Et si ce suicide n’était pas le seul crime de Julian Wells ?
Thomas H. Cook se révèle plus manipulateur que jamais dans ce roman où les mensonges entre amis et les desseins troubles tissent une toile d’une ambiguïté insoutenable.
L’auteur:
Thomas H. Cook est né en 1947.
Il a été professeur d’anglais et d’histoire ainsi que secrétaire de rédaction au magazine américain Atlanta avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Ses romans, réputés pour leur finesse psychologique, privilégient les thèmes des secrets de famille, de la culpabilité et de la rédemption.
Il a reçu en 1997 le prix Edgar Allan Poe pour son roman « Au lieu-dit Noir-étang ».
« La preuve de sang » a été adapté au cinéma.
Voilà un des rares écrivains a être capable de me surprendre à chacun de ses livres !! Par contre, tu trouves qu’il n’est pas assez reconnu? Pourtant quand je vois le succès de ses livres et la foule des gens qui attendent une dédicace sur les salons où il passe, je me dis qu’il a déjà une sacrée notoriété ! Amitiés mon ami !
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Pas assez à mon goût, pour l’avoir vu à Avignon, il était tout tranquille, alors que d’autres auteurs qui n’ont pas son palmarès sont beaucoup plus entourés que lui.
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Rhâ^^aâa, encore un que je dois lire !!
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Fonce!!! 🙂
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Je vais me prendre un mur !
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Tu n’es pas équipée d’airbags? 😉
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Si, double airbags et c’est pas du silicone !! *dit-elle en les empoignant à pleine main – les mecs, on reste calme*
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Rein à ajouter cher ami. Ton billet est parfait, il donne une idée exacte de ce formidable roman. Amitiés
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Merci mon ami, tes compliments me vont droit au coeur. On parle forcément bien de ce que l’on aime. Amitiés…
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Toujours tentants ces romans de Cook. Est-ce un écrit récemment ou un ancien qu’on nous traduit seulement maintenant ? J’en ai lu quelques-uns et ai tendance à penser que les récents sont les meilleurs. Mais comme les traductions intercalent les récents et les anciens, pas évident de le savoir sans chercher la date de publication aux USA.
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Pour celui-ci, paru aux US en Août 2012 et au Seuil en 2015. Et vraiment celui là est top!!! 🙂
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J’avais déjà lu la chronique de Pierre; je viens de lire la tienne. Tu sais que je suis aussi un grand fan de cet auteur. Je viendrai à ce crime de Julian Wells quand j’aurai lu – j’ai presque honte – Au lieu-dit Noir Étang, L’étrange destin de Katherine Carr, Dernière conversation avec Lola Faye. Comme tu le vois, j’ai un retard tout à fait réjouissant à combler. Amitiés.
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N’aie pas honte, cher ami… J’ai pour ma part zappé la conversation avec Lola Faye, et Catherine Carr…
Même si on aime, on ne peut pas tout avaler…
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Je suis d’accord avec toi, il mérite une meilleure reconnaissance ! Je lui ai acheté en direct, il me reste à le lire
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C’est si joliment raconté que je ne peux que me le rajouter à ma liste. Tu m’avais beaucoup parlé de cet auteur à Saint-Maur. Je comprends pourquoi 🙂
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C’est un magnifique auteur, et une très belle personne. Plein d’humanité et de modestie… 🙂
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Pas étonnant que tu l’aimes tant alors 😉
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Tu peux rajouter celui-là et bien d’autres encore de Thomas H. Cook. Il fait partie de mes auteurs préférés
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Madame a bon goût… 🙂
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Merci Christine c’est noté 😉
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Je dois dire que c’est une des plus belles rencontres que j’ai faites cette année. D’une grande humilité, la finesse et l’intelligence qui caractérise son œuvre. Un grand maître. Je n’ai pas encore lu celui là, mais tu me prêteras peut-être ? J’en ai très envie
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Il n’y a qu’à demander… Dès qu’il revient de prêt, il est pour toi… 🙂
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chouette je commence à avoir le mal de mer avec
Les naufragés de l’île Tromelin d’ Irene Frain. Bon roman, pasionnant, relate une histoire vraie. Mais que d’eau !!!!!!
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Dans ma PAL of course!!!! J’adore cet auteur…
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Encore un auteur que je dois découvrir, d’autant que j’ai quelques titres en stock (dont celui-ci)… le temps file trop vite !!!
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Et les journées sont trop courtes! 😉
Bonne fin d’année, et meilleurs vœux pour 2016!
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Pingback: Saint-Maur-en-Poche 2016 : Compte-rendu du dimanche 19/06/16 – Episode 3 : Saint-Maur, c’est à deux doigts du bonheur ! – Cest Contagieux!
Merci pour le lien de partage, mon ami! 🙂
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