Nous sommes à Wyalusing, Pennsylvanie, au coeur de l’hiver.
Dans cette petite bourgade rurale vit Danny Bedford, lourdement handicapé mentalement à la suite d’un accident dans lequel ses deux parents sont morts alors qu’il n’était encore qu’un petit garçon. Elevé par son oncle, amer et gros buveur, il va grandir seul, sans amour, victime des brimades des autres enfants et de l’ostracisme des habitants du village. Une fois adulte, pour lui rien n’a changé à Wyalusing. Toujours mis à l’écart, il demeure la cible des moqueries.
Malgré ses facultés intellectuelles réduites, il s’occupe du Lavomatic de M et Mme Bennett qui, en compensation, lui cèdent une petite chambre au-dessus de la laverie.
Mindy, née le même jour que lui, est sa seule véritable amie.
La vie de Danny va prendre un tour tragique quand, venu apporter à Mindy son cadeau d’anniversaire, il la trouve morte, baignant dans son sang. Tout le désigne comme coupable, il est bien évidemment accusé de ce meurtre, et violemment passé à tabac par Mike Sokowski l’adjoint du shérif.
Le meurtre sauvage de Mindy va engendrer une série de meurtres dont le coupable tout désigné est Danny. Conduit au cabinet de Doc Pete pour y être soigné, il s’en échappe et devient dès lors un homme traqué.
Dans cette petite communauté rurale, peuplée de gens frustes, les esprits sont prompts à s’échauffer et ressurgissent vite les jalousies et les rancoeurs, alimentées par des années de frustrations.
« Des cheveux gras sous des casquettes John Deere. Les femmes semblaient avoir la vie dure. Des cheveux blonds décolorés tirés dévoilant des visages ridés autour des lèvres. Ceux qui ne pompaient pas une Camel ou une Marlboro rouge crachaient leur tabac chiqué dans des bouteilles de bière vides. Ils serraient tous entre leurs doigts une boisson alcoolisée et buvaient vite pour se mettre dans l’ambiance. » … « On racontait des histoires de chasse à la con. On échangeait des blagues salaces. On partageait des ragots. Et au milieu du brouhaha des conversations, un rire occasionnel dévoilait des dents tachées de nicotine, une langue molle et jaune. »
L’écriture est vive et fluide, les personnages très bien dessinés. Les chapitres sont consacrés tour à tour à chacun des protagonistes de l’intrigue. Cette construction dynamique du roman nous permet de mieux appréhender la psychologie et les motivations de chacun d’eux.
Mindy, la première victime de l’histoire, est serveuse dans le restaurant local. A l’aube de la quarantaine, elle ne s’est jamais mariée et a toujours préféré à une relation durable des aventures sans lendemain, au nombre desquelles figure Mike Sokowski.
Violent et alcoolique, il se révèle un salaud de la pire espèce. Il a obtenu le poste de shérif-adjoint grâce à l’influence de son père, ami du shérif Lester. Il traîne dans son sillage son ami Carl, faible et irrésolu, qui complète ce duo hautement toxique.
Les représentants de la loi, le vieillissant shérif Lester, et le policier d’état Taggart, alcoolique seraient bien les seuls à pouvoir aider Danny. Mais vont-ils seulement le croire quand il clame son innocence ?
On devient très vite attaché à Danny, ce doux géant mentalement attardé, dépeint par l’auteur avec infiniment de sensibilité et de compassion. Je n’ai pu m’empêcher de penser au Lenny de Steinbeck (Des souris et des hommes), et j’ai tremblé pour lui tout au long du roman, à espérer qu’il ne connaisse pas une fin semblable.
Sa fuite dans la forêt glacée, se déroule comme dans un songe. Entre rêve et réalité, Danny entend la voix de son père qui le guide, le passé et le présent se confondant dans son esprit.
« La biche enfouissait son museau dans la neige, cherchant des feuilles ou des baies à manger. Elle était plutôt maigre, ses côtes saillaient comme un grillage sous sa fourrure brune. Elle boitait à environ trois mètres de Danny et de son arbre. Puis le vent tourna et la biche flaira enfin l’odeur de Danny. Elle se figea et le dévisagea. Oncle Brett disait que les cerfs ne percevaient pas les couleurs, qu’ils ne voyaient pas les gens tant qu’ils restaient immobiles. Mais la biche pouvait le sentir. »
La vision de cette biche blessée, sur trois pattes, qui semble lui montrer le chemin, est à l’ image de Danny. Elle symbolise, même diminuée, la volonté d’avancer et de vivre, envers et contre tout.
La nature, rude, inhospitalière, pour seul décor de ce roman. Le froid implacable de l’hiver, au gré de la progression de l’histoire, semble s’infiltrer de plus en plus, jusqu’à nous glacer les os.
« Une neige vierge recouvrait le sol de la forêt d’une épaisse couche scintillante de flocons blancs et gelés. Le vent soufflait doucement, les arbres séculaires se balançaient et craquaient en rythme dans l’air glacial. la neige ne tombait plus, remplacée par un ciel bleu qui donnait à la forêt une apparence de calme trompeur. »… » Des stalactites pendaient de la gouttière comme des dagues en cristal – pointues et scintillantes d’humidité. »
Ce premier roman de Samuel W. Gailey est un petit bijou, âpre et émouvant. Sur un laps de temps particulièrement resserré, moins de 48 heures, il nous offre un instantané de l’Amérique rurale des laissés pour compte. Une plongée dans le monde étriqué et sordide des « rednecks » de cambrousse, où la noirceur des sentiments et des actes font écho à la blancheur immaculée du paysage enneigé. Un mélange de brutalité crue et de pure beauté.
Un très beau roman, plein d’émotion.
Editions Gallmeister, Août 2014
4ème de couv :
Danny ne sait pas quoi faire du cadavre qu’il vient de découvrir. Ce corps, c’est celui de Mindy, sa seule amie dans la petite ville de Wyalusing, en Pennsylvanie. Depuis la tragédie survenue dans son enfance qui l’a laissé orphelin et simple d’esprit, tous les habitants méprisent Danny, le craignent et l’évitent. Aux yeux du pourri qui sert de shérif adjoint à la ville, Dann y est le coupable idéal pour ce crime. Alors en quelques heures, l’équilibre précaire qui régnait jusqu’ici à Wyalusing va chavirer.
Dans cette Amérique des laissés-pour-compte, les vingt-quatre heures de traque du plus inoffensif des habitants vont exposer au grand jour la violence qui gît sous l’eau qui dort.
L’auteur:
Samuel W. Gailey a grandi à Wyalusing au nord-est de la Pennsylvanie, 379 habitants. Cette petite ville rurale sert de décor à son premier roman, Deep Winter.
Producteur et scénariste réputé, il a conçu des séries télévisées avant d’entamer sa carrière de romancier. Son expérience dans le cinéma se retrouve dans la force implacable de son récit, et dans son habileté à tenir en haleine ses lecteurs. Il vit à présent à Los Angeles avec sa fille et sa femme, Ayn Carrilo-Gailey, également écrivain.
Ah mon ami Vincent, quel hommage vibrant tu rends à ce roman dur et splendide. Un petit bijou, le livre ET ta chronique. Amitiés.
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J’espère simplement que mon petit billet pourra donner à ceux qui le liront l’envie de découvrir ce bouquin.
Amitiés.
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J’ai eu le coup de cœur pour ce livre et j’adore cette maison d’édition ! Très belle chronique 🙂
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Là tu m’as drôlement donné envie…
Un premier roman en plus !
Merci mister Magic Vincent pour cette belle chronique.
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Beaucoup aimé, oui.
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Noté !!!
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eh bé en voila un super article qui donne envie de lire ce roman !! connais pas du tout (comme beaucoup d’autres romans sur ton blog d’ailleurs ) je note Monsieur ! Celui là il me titille 😉
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C’est un premier roman, donc tu ne pouvais pas connaître… 😉
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Je viens de terminer ton cadeau (Les belges…) Chronique en préparation!
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oui ce livre avait l’air d’être fait pour toi, en tout cas tu en parles avec chaleur malgré le coté glaçant 😉
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Il faut le lire à côté du feu, tu as l’impression d’avoir moins froid. 😉
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Surtout qu’il a neigé en Alsace 😉
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Putain!!! Ici il fait assez doux… 🙂
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Je dois encore le lire, je vais le sortir pour le challenge de Lea 😉
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Il est assez court. Il ne devrait pas te retenir trop longtemps, et c’est un excellent « tourne-pages ». 😉
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Adjugé vendu ! Ah ben non, on me l’a déjà vendu !!
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Celui là, je le veux! 😉
Quelle belle chronique, ça donne envie de s’y plonger!!!!;)
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Malgré son côté très dur, c’est un très beau roman.
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