Clayton Lindemuth – En mémoire de Fred

Après son premier roman « Une contrée paisible et froide », salué par la critique, Clayton Lindemuth nous revient avec un nouveau roman rural, aussi noir et rugueux.

Baer Crichton est un vieux garçon, fruste et macho, un « redneck » doté d’un grand sens moral. Il vit seul au milieu des bois, avec pour seule compagnie un pitbull du nom de Fred, avec qui il a de longues conversations muettes, pendant que son alambic distille la meilleure gnôle de tout le comté. La vente de cet alcool lui assure un revenu confortable qu’il transforme régulièrement en pièces d’or que tel un Leprechaun, il cache dans le creux d’un arbre.

Depuis son enfance, il est porteur d’un don bien particulier : depuis que son frère Larry l’a électrocuté, il a acquis ce pouvoir mystérieux qui lui permet de discerner les menteurs, car leurs yeux émettent une lueur rouge et il ressent dans tout le corps des fourmillements électriques. « Que ce pouvoir soit une bénédiction ou une malédiction, je tâche de le noyer dans l’alcool. A force, j’y suis presque arrivé. »

Un jour une camionnette dépose devant son campement le corps de Fred, son pitbull. Le chien est salement amoché, le poitrail déchiré et les yeux couverts de croûtes. Il s’avère que Fred a été enlevé et contraint de participer à un combat de chiens, livré en pâture à un adversaire beaucoup plus aguerri. Ces combats de chiens sont organisés toutes les semaines sous la houlette de Joe Stipe, un gros bonnet du coin.

« Une vingtaine d’enfoirés. L’un d’eux a kidnappé Fred.
Ça ne va pas lui porter chance.
Accroupi derrière un orme, je me tasse contre l’écorce lisse.
Il fait si sombre que je pourrais me redresser pour agiter mon zob sans qu’ils s’en aperçoivent. La petite arène est éclairée par une lampe à kérosène, sa lumière orange vacille dans le tourbillon des papillons de nuit ; tout autour, les fêtards rigolent, braillent, sifflent comme s’ils mataient des filles à poil. D’où je suis, pas moyen de distinguer les combattants qui s’étripent au milieu de l’arène, deux chiens élevés dans ce but ou peut-être volés à un gosse ; ou alors à un pauvre con comme moi. »

Baer n’entend pas laisser impuni cet acte de cruauté envers son ami Fred. Il va donc tâcher de retrouver celui qui l’a enlevé, et nul ne doute que sa vengeance sera terrible. « Œil pour œil, dent pour dent », la punition doit être à la mesure de l’offense.
Les solides raclées qu’il endure en se frottant aux sbires de Stipe, au lieu de le freiner, ne feront que le conforter dans son projet initial, et seul contre tous, il va rendre coup pour coup, jusqu’à accomplir sa vengeance ultime.

Baer est un personnage que son don a contribué à éloigner des autres. La sensation pesante de vivre dans un monde entouré de menteurs l’a conduit à choisir le mode de vie sauvage qui est le sien. Son code moral est très rigoureux, et il ne tolère pas l’injustice. Ses seuls élans de tendresse sont réservés à son chien Fred, à Ruth la femme qu’il a aimée jadis avant qu’elle ne choisisse son frère Larry, et à Mae, la fille de celle-ci, qui élève seule les trois enfants qu’elle a eus avec ce bon-à-rien de Cory Smylie, le fils du shériff.

Les personnages évoluent dans un milieu très fermé de petite ville de cambrousse, un univers particulièrement fruste, où malgré la poussée du monde moderne, les vieilles habitudes des « rednecks » locaux, telles l’alcool, les trafics, et les violences conjugales font toujours partie du quotidien.

« Nulle part dans cette société, sauf autour de l’arène de Stipe, les hommes ne pouvaient encore éprouver des sensations fortes. Rien d’autre ne remplissait leurs narines de l’âcre odeur du sang, plus rien ne satisfaisait leur soif innée de carnage. »

Comme le dit l’auteur, il écrit du noir, car le monde dans lequel il vit est un endroit sombre. Ses personnages sont « profondément imparfaits parce que, même pour les meilleurs d’entre nous, le bien doit être un sacré bagarreur de rue pour vaincre le mal qui est inhérent à notre nature. » Le scénario est prenant et les personnages sont bien dessinés. Il n’est pas tendre avec eux, sauf pour les rares personnages féminins de l’histoire, et peut-être aussi pour Baer qui, même s’il commet des actes abominables, agit en réaction aux torts qui lui ont été causés, en quelque sorte pour rétablir un certain équilibre des choses.

L’écriture est très vivante et imagée, le langage parfois un peu cru, avec ça et là quelques touches d’humour. L’auteur alterne au fil des chapitres les points de vue de Baer et des autres protagonistes de l’histoire, les sbires de Stipe, son frère Larry et sa fille Mae.

Sur fond d’alcool, de violence et de mort, ce roman, bien que très rugueux, est aussi plein d’humanité, mais dans ce qu’elle a de plus brut, aux extrêmes du bien et du mal.

Dans le cercle des auteurs de noir rural, Clayton Lindemuth est en train de faire sa place au soleil, et je gage que ce roman rencontrera sans doute un beau succès, amplement mérité.

Merci à la Masse critique de Babelio et aux Éditions Seuil pour ce bon moment de lecture.
Éditions Seuil/Cadre Noir, 2017

4ème de couv :

Baer Creighton est un cul-terreux fruste et macho obsédé par le Bien et le Mal. Depuis que, gamin, son grand frère Larry a essayé de l’électrocuter, il reçoit une décharge chaque fois que quelqu’un lui ment. Ou alors il voit une lueur rouge dans les yeux du menteur. Un don fort utile, mais est-ce suffisant maintenant qu’il faut venger Fred ? Le pitbull, son seul ami dans les bois de Caroline du Nord où il vit pas très loin des personnages de Ron Rash, a été kidnappé. On le lui a rendu en piteux état, victime d’un des impitoyables combats de chiens clandestins qu’organise l’abominable Joe Stipe, le caïd de la région. Quand il ne soigne pas Fred devenu quasi aveugle, Baer distille une gnôle si sublime que tout le monde lui en achète, le shérif compris. Ça lui donne du courage pour mûrir son plan. Non qu’il en manque, mais, en face, l’ennemi surarmé est en nombre et la lutte semble inégale. « Œil pour œil, dent pour dent », tel est le code de l’honneur hérité des pionniers. Baer l’appliquera jusqu’au bout. Voire plus loin.

L’auteur :

Né dans le Michigan, Clayton Lindemuth a grandi dans l’ouest rural de la Pennsylvanie et étudié à l’Arizona State University.
Désormais établi dans le Missouri, il gagne sa vie comme consultant financier et assureur ; le reste du temps, il pratique l’ultrafond et la menuiserie.
Il écrit du noir, car « c’est là qu’il vit ».
Encensé par la critique qui voit en lui un digne héritier des maîtres du roman noir rural comme Tom Franklin ou Donald Ray Pollock, Une Contrée paisible et froide (Seuil/Policiers, 2015) a également rencontré un accueil critique enthousiaste en France.
En Mémoire de Fred (Seuil/Cadre Noir, 2017) est son deuxième roman publié en France.

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