Emmanuel Grand – Kisanga

Paris, cimetière de Montrouge : Michel Kessler, ingénieur du groupe minier Carmin, assassiné en République Centrafricaine, est porté en terre. Michel, pourtant habitué de l’Afrique et de ses dangers, était sorti sans protection rapprochée. Olivier Martel est venu rendre un dernier hommage à celui qui fut son mentor.

Le même jour à 20 heures, au Musée de la Marine à Chaillot, une conférence de presse est organisée par le groupe Carmin, dans le but d’annoncer la création d’un partenariat entre Carmin et Shanxi, une compagnie chinoise. Cette association concerne l’exploitation d’un gisement de cuivre à Kisanga, en République Démocratique du Congo (anciennement Zaïre).
Raphaël Da Costa, journaliste d’investigation, est chargé par son rédac-chef de couvrir cet événement. Dix ans auparavant, Raphaël avait découvert un scandale impliquant CMA, une filiale du groupe Carmin. Sans preuves pour appuyer son dossier, cette affaire lui avait explosé à la figure et laissé professionnellement brisé.
A la City de Londres, en marge des tractations commerciales, se joue une autre partie. Edwin Prescott, un jeune trader, est chargé de « vendre » le projet à des investisseurs, avant la publication officielle de l’accord de partenariat.
L’équipe restreinte, à laquelle participe Olivier Martel, se rend sur le territoire congolais, pour les premiers sondages sur les sites d’extraction.
Parallèlement, les Services secrets français rappellent un de leurs meilleurs agents, et le chargent de récupérer un document compromettant, en rapport avec le scandale qu’avait découvert Raphaël il y a dix ans.

Avec ce roman, Emmanuel Grand nous fait toucher du doigt la situation dramatique de la République du Congo, et de l’Afrique en général. L’extraordinaire richesse de son sous-sol en matières premières rares attise toutes les convoitises. Toutes les industries ont un besoin pressant des matériaux que l’on trouve ici en quantité, parmi lesquels le coltan et la cassitérite, essentiels à la fabrication des téléphones portables et autres matériels de haute technologie.

« La Bible, continua-t-il sur un ton emphatique, dit que « si tu passes dans la vigne de ton prochain, tu pourras manger du raisin à ton gré, jusqu’à satiété, mais que tu n’en mettras pas dans ton panier. Si tu traverses les moissons de ton prochain, tu pourras arracher des épis avec la main, mais tu ne porteras pas la faucille sur la moisson de ton prochain ». Mais le Blanc, lui, a mis la vigne dans son panier. Et il a porté la faucille sur notre moisson. Il s’appelait Léopold. Son règne a duré cent ans et l’indépendance n’a rien changé. Hier c’était l’ivoire et le caoutchouc, aujourd’hui c’est le cuivre, l’uranium, l’or et les diamants. »

Le pillage en règle des ressources du pays est organisé,  depuis l’intérieur, par divers groupes armés, des factions rebelles au gouvernement, comme les tutsis de la région du lac Kivu, soutenus par le Rwanda voisin, mais également par les pays industrialisés, comme la France ou la Chine, entre autres. A ce propos, Emmanuel Grand met l’accent sur la main mise grandissante de la Chine sur le continent africain, ce pays ayant de gigantesques besoins pour alimenter sa formidable croissance.

La narration, alternant les points de vue des différents protagonistes de l’histoire, progresse à un rythme soutenu, qui nous tire toujours plus vers l’avant, en un formidable page-turner. Les personnages sont psychologiquement bien campés, Tuju Olonga, le « fixeur1 » illustre à lui seul toute la complexité de ce pays déchiré. Olivier Martel le jeune ingénieur, Raphaël Da Costa l’opiniâtre journaliste et le mercenaire Pierre Lauzière, chacun obéit à des motivations différentes dans le cadre de cette intrigue. Entre magouilles politiques, tractations financières et coups tordus, Kisanga, mirifique accord d’exploitation minière, ne serait-il en réalité qu’un vaste marché de dupes ?

Ce roman nous dépeint la réalité géographique, politique et économique de cette région des Grands lacs d’Afrique où, dans le silence assourdissant des nations, une guerre civile dure depuis 20 ans, et a causé plus de 5 millions de morts, autant que la Shoah. La communauté internationale reste passive, les intérêts commerciaux passant avant toute considération humanitaire.

« Le Congo était maudit par les trésors de ses entrailles, un cancer qui prospérait dans son ventre et qui rendait les hommes fous à lier, violeurs, assassins, qui de son voisin, qui de sa sœur, qui de son frère. Faustin Iseidi, Wange, Tuju Kolonga. Tous, sans exception, avaient succombé à cette folie. »

C’est à la fois un  thriller, roman d’aventures et roman noir, qui mêle l’espionnage, la politique et les magouilles financières. La frontière entre la fiction et la réalité étant bien mince dans ce cas, c’est une réflexion, très documentée et pleine de bon sens sur la situation géopolitique en République du Congo et en Afrique en général.

De ce roman ressort l’affection profonde que l’auteur porte à ce continent. Emmanuel Grand aime l’Afrique, la ressent, la respire et retransmet au lecteur ses propres émotions, intactes.
J’ai adoré lire ce roman, et je le recommande sans réserve aux amoureux de l’Afrique …et aux autres.

Éditions Liana Levi, 2018

1 : fixeur : guide et homme de confiance qui « fixe », c’est-à-dire résout les problèmes.

Pour de plus amples informations sur les réserves de matières premières de la République Démocratique du Congo, je vous invite à consulter cet article :
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-ressources-de-la-republique-59488

4ème de couv :

Il y a foule dans les salons du musée de la Marine. Sous les applaudissements de tout le gotha politico-économique, la compagnie minière Carmin célèbre le lancement de Kisanga : un partenariat historique avec le groupe chinois Shanxi pour co-exploiter un fantastique gisement de cuivre tapi au coeur de la savane congolaise. Les ministres se félicitent du joli coup de com’ avant les élections ; les golden boys de la City débouchent le champagne. Mais au même moment, Carmin rend un dernier hommage à l’un de ses cadres décédé dans des circonstances suspectes tandis que les services français font appel à leur meilleur barbouze pour retrouver un dossier brûlant disparu à l’est du Congo. La mécanique bien huilée s’enraye et débute une course contre la montre entre une escouade de mercenaires armés jusqu’aux dents, l’ingénieur de choc chargé de piloter Kisanga et un journaliste opiniâtre qui sait mieux que personne que sous les discours du pouvoir se cache parfois une réalité sordide. Cette histoire de manipulation, où la vérité se dérobe jusqu’à la dernière page, se déploie sur fond de mutations économiques en Afrique et de collusion des pouvoirs autour du trésor empoisonné que constituent les richesses de son sous-sol.

L’auteur :

Emmanuel Grand, né en 1966, vit en région parisienne. Terminus Belz (Liana Levi 2014, Points 2015, Prix Polar SNCF) et Les Salauds devront payer (Liana Levi 2016, Livre de poche 2017), l’ont imposé dans le paysage du thriller social à la française.

11 réflexions sur “Emmanuel Grand – Kisanga

  1. Mon ami,
    Comme ce roman figure dans mes toutes prochaines lectures, je n’ai fait que survoler ta chronique. Assuré du fait que ce roman t’a conquis, toi qui a passé du temps en Afrique, je le commencerai avec enthousiasme. Ton avis me donne le coup de pouce que j’attendais. Amitiés.

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