Depuis un certain temps, l’envie me démangeait de lire dans ma langue maternelle, un peu oubliée avec les années. L’occasion d’une rencontre avec José Luis Muñoz dans le cadre des « Vendanges du polar », à Lisle sur Tarn, m’a incité à sauter le pas.
Je vous livre ici mon avis de lecture :
Ce roman de José Luis Muñoz nous transporte dans l’Afrique du Sud des années 1980, qui vit sous la férule de Pieter Botha, défenseur inconditionnel de la ségrégation raciale et de la suprématie de la race blanche, un régime d’apparence démocratique mais où le vote des noirs n’était pas reconnu.
Dès les premières lignes, on est plongé dans une ambiance de menace latente, de violence et de répression, exacerbée par le climat humide et chaud qui plombe le pays.
« Los diarios hablaban de dos blancos que habían aparecido muertos cuando su coche se quedó sin carburante en una zona desértica de Limpopo, y de un número indeterminado de negros que habían perecido por deshidratación en una aldea de Kimberley. »
(Les journaux parlaient de deux blancs qui avaient été retrouvés morts lorsque leur véhicule s’était retrouvé en panne d’essence dans une zone désertique de Limpopo, et d’un nombre indéterminé de noirs qui étaient morts de déshydratation dans une ferme de Kimberley)
« Durante unos meses llovería sin cesar, pero sin que el calor amainara ni diera tregua, comenzaba un ciclo endemoniado de agua que caía a torrentes y con la misma velocidad se evaporaba, formando nubes que volvían a descargar, y así hasta el infinito. »
(Pendant quelques mois il pleuvrait sans interruption, sans que la chaleur sans que la chaleur ne cesse ni laisse de répit, commençait un cycle endiablé d’eau qui tombait à torrents et avec la même vitesse s’évaporait en formant des nuages qui se déversaient à nouveau, et ainsi jusqu’à l’infini.)
Paul Duncan est un colon blanc, propriétaire d’une conserverie de cœurs de palmier. Raciste et alcoolique, il partage son temps entre son travail, la chasse et la boisson. Marié à Kate ils forment un couple où l’amour a cédé la place à la routine. Un soir, le jeune Roger, leur fils, ne rentre pas à la maison. Pourtant il a bien pris le car de ramassage et a été déposé à l’arrêt de bus, non loin de sa maison. Les recherches entreprises ne donneront aucun résultat, jusqu’à ce que la police convoque Paul Duncan pour lui demander de venir identifier le corps de son fils. La nature des blessures laisse à penser que le garçon a été renversé par un chauffard.
“Es de fe, y yo Damballah lo digo, que la maldición del padre, y también de la madre, destruye, seca y abrasa de raíz hijos y casa”.
(Il est de règle, et moi Damballah je le dis, que la malédiction du père et aussi de la mère, détruit, assèche et brûle jusqu’aux racines les fils et la maison.)
Cette inscription mystérieuse et inquiétante, découverte dans la maison par Paul Duncan, lui fait penser que la mort de son fils n’est peut-être pas accidentelle, mais une vengeance à son encontre. Pour quelle raison Makeba, la servante noire, a-t-elle quitté leur service quelque temps auparavant ?
A partir de là, la trame de l’histoire se développe en un mécanisme bien réglé, puisant aux sources de la peur, de la haine, de la vengeance, de la solitude et de la fatalité.
Un scénario concis et précis qui ne laisse pas de répit au lecteur, le prend à la gorge et l’emprisonne dans les rets de l’intrigue, d’où il ne pourra s’échapper avant le dénouement.
Ce message de Damballah(1) en forme de présage, se répète comme un esprit vengeur du début à la fin du livre en une funeste malédiction qui ne laisse guère de place au doute. Et en contrepoint, la voix suave de Nat King Cole qui chante « Quizas, quizas, quizas », un boléro fait de mièvres lamentations, un îlot de douceur au milieu de cet océan de domination, de haine, de violence et de mort.
José Luis Muñoz dresse dans ce roman le panorama humain et social d’un pays divisé par une politique raciste. Il souligne la condition difficile de l’homme noir sous l’apartheid, mais plus difficile encore est la condition de la femme noire, reléguée à un niveau encore inférieur.
En plus de la puissance des personnages et de l’histoire, j’ai apprécié la manière utilisée pour construire son récit, l’économie de personnages, la continuité dans le rythme, de la première à la dernière page. Et pour finir, l’incursion des termites et des deux chiens Tony et Rinky, comme protagonistes déterminants de ce drame.
Ce roman, où cohabitent les colons blancs dominateurs et racistes et les noirs exploités par ces mêmes colons, est nourri aux classiques du genre noir. Les éléments de fiction et historiques se confondent avec des superstitions ancestrales et le genre policier se marie avec le fantastique.
Un roman court, mais prenant, qui me donne envie d’aller plus loin dans la découverte de cet auteur.
Je ne sais pas si une traduction française est prévue… Je l’espère…
Canalla Ediciones, 2017
Nota : Les traductions des passages en espagnol sont de ma responsabilité. J’espère votre indulgence.
Note :
(1) : Damballah est le nom du Dieu serpent, une figure de la mythologie Vaudou.
4ème de couv :
África del Sur, durante los tiempos del apartheid, una etapa convulsa en la que los asesinatos y la violencia sexual están a la orden del día. Gobierna el país Pieter Botha, el gran cocodrilo, con mano de hierro. Bajo este ambiente sofocante y tenso sitúa José Luis Muñoz la historia de Paul Duncan, un colono blanco dueño de una fábrica de palmitos en lata que emplea trabajadoras de la etnia xhosa, un personaje elemental cuyas aficiones se reducen al fútbol, la caza, el whisky y la cerveza. Para él, como para la mayoría de los blancos de su país, la vida de un negro no vale ni un rand. La molicie de su vida y la de su familia se verá alterada bruscamente por un hecho de su pasado que le pasará factura.
(Afrique du Sud, au temps de l’apartheid, une époque troublée pendant laquelle les assassinats et la violence sexuelle sont quotidiennes. Pieter Botha « le grand crocodile », gouverne le pays d’une main de fer. Jose Luis Muñoz situe dans cette ambiance suffocante et tendue l’histoire de Paul Duncan, un colon blanc propriétaire d’une conserverie de cœurs de palmier qui emploie des ouvrières de l’ethnie xhosa. C’est un caractère primaire dont les passions se réduisent au football, à la chasse, au whisky et à la bière. Pour lui, comme pour la majorité des blancs de son pays, la vie d’un noir ne vaut pas un rand. La tranquillité de sa vie et celle de sa famille se verront brusquement perturbées par un épisode de son passé qui revient à la surface.)
L’auteur :
José Luis Muñoz, né à Salamanque en 1951) est un des vétérans du roman noir espagnol avec plus de 40 titres à son actif, (parmi lesquels La Dernière Enquête de l’inspecteur Rodriguez Pachon (2008), Babylone Vegas(2010) et La Frontière sud ) (2015 . Il a reçu plusieurs prix littéraires, tels les prix Azorín, Tigre Juan, Café Gijón, La Sonrisa Vertical, Camilo José Cela et Ignacio Aldecoa. Il étudie la philologie romane à l’université de Barcelone et, dès cette époque, adhère à des organisations anti-franquistes–.
Bien qu’il ait écrit des récits fantastiques, érotiques et historiques, il est surtout connu pour ses romans policiers et, à ce titre, est l’un des représentants importants du genre en Espagne.
Il publie depuis plusieurs années des articles d’opinion dans divers journaux espagnols et à l’étranger et donne régulièrement des conférences dans des universités d’Amérique du Sud. Il est aussi un habitué du festival de la Semaine Noire de Gijón organisé par l’écrivain hispano-mexicain Paco Ignacio Taibo II.
José Luis Muñoz vit depuis de nombreuses années à Barcelone, où il se consacre à l’écriture et à diverses activités journalistiques.
Je crois ne pas avoir lu José Luis Muñoz. « Los perros » ya está apuntado. Un saludo…
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Un saludo à ti tambien… 🙂
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Quizas… peut-être, d’après Google translate ! Bon, pour los perros, je savais que c’était « chiens » puisqu’il est dit que « Pero » Lascano, personnage de Ernesto Mallo (L’aiguille dans la botte de foin) veut dire « le chien »… j’ai additionné 1+1
Bon, tu ne m’en voudras pas si je le passe, mon espagnol se réduit à la mitad de mi corazón… 😆
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Je ne t’en voudrai pas ma belette… C’est difficile de lire dans une langue qui n’est pas la sienne. Je comprends tout à fait. C’est comme si tu me demandais de lire en belge!!! 🙂
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Oh, le belge, ça va encore, sauf si on passe au patois, alors là, même moi je ne capterai plus ce que me dit un liégeois ou un carolo…
Pour le belge, je pourrais te donner un petit coup de main… 😆
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