Estelle Tharreau – Mon ombre assassine

Nadège Solignac est incarcérée sous l’inculpation d’homicide sur la personne de Jérôme Bianchi, un policier qui aurait tenté de la violer. Depuis sa cellule où elle attend son procès, elle raconte son histoire.

Fille de deux artistes céramistes, un peu bohèmes, la petite Nadège grandit sans amour, entre un père indifférent et une mère à moitié folle. La bastide familiale est pour elle une sorte de prison, et sa chambre au 2ème étage son seul refuge. Déjà peu socialisée, son entrée à l’école maternelle et le contact soudain avec le monde bruyant de l’enfance lui vaut des moments de panique.

« Puis il y eut ce cri. Strident et prolongé. Un seul cri qui fit taire tous les autres. Dans un état second, j’ouvris les yeux. Le tourbillon s’était arrêté. Seul le cri survivait, aigu, infini. Le monde s’était figé. Il ne restait plus que des corps immobiles et des yeux fixés sur moi.
   Je compris lorsque la maîtresse affolée m’entraîna avec elle et que le silence revint. Ce cri provenait de ma bouche. Les enfants s’écartèrent sur notre passage, l’incompréhension et la peur imprimées sur leurs visages. »

Dès lors pour Nadège commence l’apprentissage de la manipulation. La naissance d’une petite sœur, lourdement handicapée, qu’elle surnomme « le monstre », viendra encore assombrir le tableau familial.

J’ai bien aimé la construction du roman, entrecoupé d’articles de journaux et extraits de PV d’audition. Il n’y a pas d’enquête à proprement parler. C’est Nadège qui nous raconte son parcours, l’inéluctable métamorphose qui la conduira, d’enfant insignifiante et apeurée, à devenir une tueuse froide et calculatrice, cachée à la perfection sous le masque de l’institutrice compétente et attentionnée.

« Vous n’imaginez pas ce qui peut se passer dans une salle de classe lorsque vous avez tourné les talons et que la porte de l’école se referme sur vos enfants, seuls pendant des heures avec l’adulte en qui la société vous a dit de faire confiance.
Lorsque le calme était total, lentement, à contre-jour, je savourais de voir mon ombre effleurer ces petits corps immobiles et sans défense sous le regard de mes collègues et de certains parents qui, à travers la vitre, en venaient à oublier la silhouette des usines aux fumées mortifères. Ils ne s’attachaient qu’à la sérénité de l’instant sans percevoir ce que moi je voyais : un alignement de petits cadavres sur lesquels je régnais. »

L’écriture est dynamique, empreinte de réalisme. La psychologie de Nadège, la façon dont elle planifie ses meurtres, son manque total d’empathie, et le plaisir qu’elle prend à faire le mal sont très bien décrits.
Les chapitres défilent sans accroc, en un angoissant engrenage infernal, dont on ne sait que trop bien où il va nous conduire.
Malgré moi, je me suis laissé captiver par ce personnage, pourtant éminemment détestable. Entraîné dans le sillage de cette femme insensible et glaciale, experte en manipulation, jusqu’à son procès et le dénouement de son histoire, en forme de point final… ou point d’interrogation ?

Une très bonne lecture, que je recommande…
Éditions Taurnada, Janvier 2019

4e de couverture :

En attendant son jugement, du fond de sa cellule, Nadège Solignac, une institutrice aimée et estimée, livre sa confession. Celle d’une enfant ignorée, seule avec ses peurs. Celle d’une femme manipulatrice et cynique. Celle d’une tueuse en série froide et méthodique. Un être polymorphe. Un visage que vous croisez chaque jour sans le voir. Une ombre. Une ombre assassine.

 

 

L’auteure:

Estelle Tharreau
Après avoir travaillé dans le secteur privé et public, cette passionnée de littérature sort son premier roman en 2016, Orages, suivi de L’Impasse en 2017. Depuis, elle se consacre entièrement à l’écriture, avec De la terre dans la bouche en 2018,  et ce dernier roman, Mon ombre assassine, en 2019.

 

7 réflexions sur “Estelle Tharreau – Mon ombre assassine

  1. Mon ami Vincent,
    Elle ne perd pas de temps, dis donc. 4ème roman en 3 ans, rien que pour cela, je suis impressionné. Ta chronique me fout les boules, elle glace les sangs. J’imagine que toute la réussite du roman est dans le traitement du personnage central, Nadège, puisque l’issue est inéluctable. Je me laisserais bien tenter…
    Bises.

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