Matthew F. Jones – Une semaine en enfer

Il suffit d’un instant pour changer le cours d’une vie. John Moon est un gars qui n’a pas de chance. Il vit seul dans une vieille caravane dans les bois. Depuis que sa femme l’a quitté, emmenant son fils avec elle, il se cantonne à des petits boulots. Il supporte mal de vivre ainsi sur les terres qui jadis appartenaient à sa famille, avant que son père ne soit ruiné.

Alors qu’il braconne, sur les traces d’un cerf qu’il a blessé, John Moon entend un bruit dans un fourré et, instinctivement, il tire. Derrière le buisson, au lieu du cerf qu’il visait, gît le corps d’une très  jeune femme, morte, la poitrine trouée par une balle. Il découvre près d’elle un sac rempli de dollars, et sur elle une lettre adressée à une amie.  Un terrible dilemme s’impose donc à lui : doit-il déclarer l’accident, et reconnaître ainsi son délit de braconnage ? Ou bien prendre l’argent et ignorer sa responsabilité dans la mort de la fille ? Moon fait son choix : il cache le corps et prend l’argent.
A partir de ce moment, John Moon, le chasseur, est devenu la proie.

La lettre qu’il a trouvée sur la jeune femme la rend plus présente à ses yeux, et renforce son sentiment de culpabilité. Chacune des décisions qu’il prendra par la suite, vont le précipiter au-devant de problèmes, dans une sorte de fuite en avant. En pensant faire pour le mieux, il accumule les mauvais choix.

« John se méfie de ses propres pensées. Il se sent mal à l’aise, comme si en ce premier jour entier de sa nouvelle vie il ne s’était pas encore habitué à une autre façon de penser. Il suspecte tous ceux qui le regardent de deviner qu’il dissimule un sombre secret. Dans son esprit, il n’arrête pas de revoir l’éclair marron et blanc qui était la fille morte, l’herbe aplatie qu’il a remarquée sur la route avant de lui tirer dessus, puis la pelle-pioche contre la paroi de la carrière. »

Le personnage de Moon est assez complexe. C’est une vraie calamité : chacune de ses initiatives, même la plus anodine, enchaîne des réactions catastrophiques. C’est un perdant qui, jusqu’à ce jour, a subi les évènements, davantage spectateur qu’acteur de sa vie.

« Tout à coup, il est furieux contre la fille morte de lui faire voir qu’il est aussi lâche que la majeure partie de l’humanité. Il arrête de marcher et se touche le front du revers de la main. On dirait de la viande à température ambiante. « Tu es morte et moi pas, lui dit-il. Et je veux pas aller en prison, d’accord ? »
Il évolue entre le rêve et l’instant présent, vivant son cauchemar dans sa chair autant que dans son esprit enfiévré. On se demande toujours quel est le sentiment qui prédomine chez lui, entre la moralité induite par son sentiment de culpabilité, ou bien sa cupidité.

L’auteur a le talent de nous faire accueillir favorablement  chacune des mauvaises décisions de John. Son entêtement à se foutre dans la merde finit par générer une certaine sympathie à son encontre, lui qui cherche son chemin vers la rédemption.

La narration est fluide, l’auteur passe avec brio de la réalité au fantasme. Incroyablement sombre, et parfois déprimant, il y a peu de lumière dans ce roman particulièrement noir.
« Il rêve d’incendie, d’hectares de flammes orange aussi hautes que les arbres qu’elles dévorent. D’une conflagration, attisée par un vent violent. D’un pan de montagne entier s’élevant comme une chandelle romaine. D’un brasier qui anéantit les plantes, les animaux, les humains ; infeste l’air de son souffle ; soulève la terre ; transforme les chairs en fumée et les os en cendres ; n’épargne aucune vie, grande ou petite. Après l’incendie, sur le champ calciné de Dieu, ne s’étend plus qu’un silence de mort. »

L’ambiance de ce roman, la galerie de personnages secondaires très disparates, parfaits archétypes de « rednecks » de cambrousse, ainsi que l’omniprésente nature,   m’ont fait penser à maintes reprises au film « Deliverance » de John Boorman. On y trouve la même noirceur, la même sauvagerie et la même déréliction.

Dans la lignée des grands écrivains de « nature writing », Matthew F. Jones signe là un roman âpre et sauvage, un mélange puissant d’amour et de violence, d’une sombre flamboyance. Un très bon moment de lecture.

Éditions Denoël, 2013

4ème de couv :
Une-semaine-en-enfer_6453Abandonné par sa femme et leur jeune fils, John Moon vit dans une misérable caravane en lisière de la forêt, désabusé et aigri : son père, ruiné, a vendu la ferme, et depuis John survit de petit boulot en petit boulot.
Un jour, il part braconner et, croyant tirer sur un daim qui s’enfuit à travers les bois, il abat une jeune fille. C’est sa première faute, les autres suivront…
Pourtant, cette fois-ci, John ne se laissera pas faire. Il se lance dans une fuite en avant désespérée, bien décidé à prouver à tous qu’il peut s’en sortir.
Mais depuis quand les losers auraient-ils une seconde chance?

L’auteur :

Matthew F. Jones est écrivain, scénariste et producteur. Né à Boston, il a grandi à la campagne, au fin fond de l’état de New-York.
Son roman « Deepwater » (1999) a été adapté au cinéma en 2005. Il a écrit le scénario du film « A Single Shot » (Une semaine en enfer) d’après son livre (1996), sorti en 2013.
Il est également scénariste de « La mort en sursis », sorti en 2012.
« Une semaine en enfer »  est son troisième roman sur les six écrits à ce jour.

Jacques Bablon – Trait bleu

Sur la couverture, une bagnole déglinguée et cette phrase : « Ça ressemble à l’Amérique, là où les vivants barbotent dans les grands lacs et les morts dans des baignoires remplies d’acide. »
Vous êtes prévenus, ce roman ne sera pas un long fleuve tranquille…

Le narrateur, un homme dont on ne connaîtra pas le nom, dans un pays qui ressemble à l’Amérique, mais ce pourrait être ailleurs. Cet homme-là reconnaît le meurtre de Julian McBridge, dont on a retrouvé le corps au fond d’un lac asséché, avec un poignard dans le bide. Sans surprise, il est jugé et jeté en prison. Passage obligé auprès du psychologue, auquel il livre un passé inventé de toutes pièces et qui fait la part belle à une imagination débridée:
« -Comment voyez-vous votre père ?
J’étais de père inconnu, il était con ou quoi : Plutôt que de lui faire la remarque, je lui ai balancé un truc bidon :
-Comme une chaise vide »

Après les premières semaines pendant lesquelles il travaille à l’atelier à peindre des jouets en bois , il reçoit une visite au parloir. Une certaine Whitney  Harrison, pas Houston. Cette bonne âme visiteuse de prison, lui propose illico de travailler à son évasion, et lors de la visite suivante, lui fait passer un pistolet automatique en pièces détachées dans des morceaux de savon. Son plan pour s’évader est de prendre le directeur en otage.

Notre homme, convoqué chez le directeur, se prépare donc à mettre en œuvre son plan. Surprise ! Il se voit annoncer qu’il va être libéré, des éléments nouveaux étant apparus dans l’enquête.
« J’arrivais pas à savourer la nouvelle. Quelque chose clochait, on essayait de me faire croire que c’était pas moi l’assassin de McBridge ! On me prenait pour un con ? Mon couteau de chasse retrouvé dans le bide du gros lard, c’était plus une preuve ? C’était qui, si c’était pas moi ? »
En réalité il a été innocenté par son ami Izzy qui vient d’avouer le crime. Après les coups de couteau, Izzy avait achevé McBridge d’une balle dans la tête, le rendant libre, enfin, mais enfermé dans sa  culpabilité.

Et au moment où l’on pourrait croire que sa vie va suivre un cours plus tranquille, il va se trouver embarqué dans une suite d’évènements, plus ou moins heureux. Sa personnalité assez fruste, que l’on devine façonnée par une enfance difficile, va le conduire  à réagir au coup par coup, de manière instinctive, brutale.

Il va croiser la route de plusieurs personnes, une bande d’affreux à la recherche d’un magot qu’aurait planqué son ami Iggy, Big Jim à qui il va vendre son bateau, ce qui sera l’occasion d’une belle surprise, Pete le jeune frère d’Iggy, le duo de chanteuses de bar Rose et Emilou (sans doute un clin d’oeil à Emmylou Harris la chanteuse country), Beth et Liza, la femme de Pete et maman d’un petit bébé.

Et sommes surpris de voir cet homme, d’un tempérament plutôt violent, se comporter avec ces femmes avec une douceur, une retenue que nous étions loin d’imaginer. Son attitude devant le bébé de Liza, qui a été abandonnée par son mari, le renvoie à ses questionnements sur la paternité, questionnements renforcés par l’apparition de son père J.Fitzgerald.
« Avant c’était mieux. J’étais juste fils de père inconnu, je baignais dans l’insouciance, j’allais léger. Le père que je m’étais laissé refourguer, en plus de ne pas avoir toute sa tête, était peut-être tueur de flics, à coup-sûr ex-taulard. Embrouilles sur toute la ligne. »

L’écriture très cinématographique, le décor et les protagonistes de l’histoire, m’ont rappelé l’ambiance rustique et poisseuse de  « Fantasia chez les ploucs », avec son cortège de personnages marginaux et un tantinet déjantés.

Un roman qui se lit d’une respiration, très noir, glauque et poisseux,  fait de phrases courtes, abruptes, des mots qui visent juste et frappent fort. Un vocabulaire précis, moucheté de mots d’argot, une écriture fluide, de l’humour… Le rythme imposé ne nous laisse pas de répit, tout au long des péripéties que vit le héros, jusqu’à un final  où le noir s’éclaircit un peu jusqu’à devenir enfin, peut-être bien le seul véritable trait bleu de cette histoire.

Ce roman court et intense, fort et nerveux est une véritable réussite, et un très bon moment de lecture.

Merci à mes amis Pierre, Jean et Bruno de m’avoir « poussé aux fesses » pour me faire découvrir ce livre…

Éditions Jigal, 2015

4ème de couv.

Mise en page 1« Tout a commencé quand on a retrouvé le corps de Julian McBridge au fond de l’étang que les Jones avaient fait assécher pour compter les carpes.
Ils auraient plutôt eu l’idée de repeindre leur porte de grange ou de s’enfiler en buvant des Budweiser et c’était bon pour moi.
McBridge n’était pas venu ici faire trempette, ça faisait deux ans que je l’avais balancé là par une nuit sans lune avec un couteau de chasse planté dans le bide.
835 carpes et 1 restant de McBridge. Les Jones avaient un cadavre sur les bras, ils ont commencé à se poser les questions qui vont avec… »

 

 

L’auteur:

BablonJacques Bablon est né à Paris en 1946. Il passe son enfance dans le 93 à taper dans un ballon sur un terrain vague triangulaire… Ado, il décide de devenir guitariste et de chanter du Dylan pour pouvoir draguer les filles. Plus tard l’exaltation artistique lui tombe dessus par hasard grâce à la peinture.
Il devient professeur à l’École supérieure des arts appliqués. Parallèlement à sa carrière officielle d’enseignant heureux, il publie des BD chez Casterman et devient scénariste dialoguiste de courts et longs métrages.
Trait bleu est son premier roman.

(Source : Site de l’éditeur)