Victor Del Árbol – Par delà la pluie

A Tarifa, Miguel et Helena vivent dans une résidence pour personnes âgées. Miguel est veuf depuis de longues années et se trouve confronté aux prémices de la maladie d’Alzheimer. Helena se remémore son passé, de son enfance à Tanger jusqu’à son adolescence dans un collège britannique. Le suicide de Marquès, un autre résident ami d’Helena, et le règlement de sa succession, vont contribuer à rapprocher les deux vieux.
Abdul (qui fut l’ordonnance d’Enrique, le père d’Helena, durant la campagne du Rif), s’est installé à Malmö, en Suède. En remboursement d’une dette, il a prostitué sa fille Fatima au profit de Sture, qui est à la tête d’un réseau de sexe et de drogues, dans lequel se trouve prise Yasmina, sa petite-fille.

De ce roman on pourrait dire qu’il comporte deux romans en un. D’une part, l’histoire d’Helena et de Miguel, qui aborde le problème du vieillissement de notre société actuelle. De l’autre, une histoire complètement différente, celle de Yasmina, dans un style plus sombre, sorte de clin d’œil au roman noir nordique, Helena étant le trait d’union entre les deux. Il y a même un air de road movie, dans le périple de Miguel et d’Helena en direction de Malmö.

La mère de Miguel a du se prostituer pour subvenir à leurs besoins, en raison de l’absence du père, combattant antifranquiste et prisonnier politique réquisitionné pour la construction du Valle de los Caídos. Une fois adulte, Miguel, personnage logique et ordonné, a mené une vie bien réglée dont la seule fantaisie a été une histoire d’amour avec Carmen, le temps d’un weekend. Elle lui a envoyé ensuite des lettres qu’il a conservées, mais auxquelles il n’a jamais osé répondre.
Helena, d’un caractère beaucoup plus fantaisiste, après une enfance heureuse à Tanger, a vu son monde basculer en peu de temps. Son père, officier du 4ème tabor(1) l’a abandonnée pour partir avec Abdul, son ordonnance marocain, elle a vu sa mère se suicider sous ses yeux. Malgré tout elle prend la vie à bras le corps, non sans une certaine ironie :
« — Comment se passe ta nouvelle vie dans les limbes ? demanda-t-elle distraitement.
Elle semblait avoir l’esprit un peu partout, mais nulle part en particulier.
— Les limbes ?
Pendant deux secondes, Helena le regarda fixement, puis un demi-sourire se fraya un chemin entre ses lèvres. L’effarement de Miguel l’amusait.
— Oui, les limbes. Ce monde entre les vivants et les morts. Car ce lieu est exactement cela, au cas où tu ne t’en serais pas aperçu, même si on l’appelle la résidence Paraíso. La résidence Paradis ! Une période d’attente
. »

Selon la présentation de l’éditeur « vivre est le plus beau des voyages », c’est à cela que s’attachent Miguel et Helena. Ce roman nous parle aussi d’un autre voyage, celui que nous commençons tous, depuis la naissance, vers notre mort. Et si Miguel et Helena se savent proches de la fin de la route, le périple que ces deux vieux décident d’entreprendre n’est pas une fuite.  Ils ont encore un but, encore quelque chose à accomplir avant de quitter la scène.

Comme toujours dans ses romans, par petites touches de rappel historique, l’auteur exorcise les démons du passé récent de l’Espagne, l’intervention des troupes maures engagées au côté de Franco pour prendre le pouvoir, et le chapitre où il nous parle du travail forcé des prisonniers pour construire le Valle de los Caídos, monument à la gloire des victimes franquistes de la guerre civile.

« Il avait honte de reconnaître qu’il se rappelait à peine le visage de ces garçons qu’il avait tués, …on refusa de le démobiliser et on l’obligea à se transférer avec un détachement sur le chantier de Cuelgamuros, pour surveiller les prisonniers qui travaillaient à la vallée de los Caídos. Ces prisonniers lui faisaient peine. La guerre était finie et il fallait vivre, les vainqueurs avaient obtenu ce qu’ils voulaient, la victoire. Alors, pourquoi ce matraquage impitoyable ? Voulaient-ils effacer leurs ennemis de la surface de la terre ? Mais s’ils les exterminaient tous, devant qui pourraient-ils se vanter d’être les vainqueurs ? Contre qui déverser leur haine ? La logique de la victoire est l’ébriété. Deux ans après, ils étaient encore ivres de gloire, d’hymnes, de ces instants qui leur avaient concédé l’immortalité. Ils voulaient prolonger leur heure et avoir leur place dans l’Histoire. »

Avec le temps qui joue contre lui, sur le chemin de l’oubli de sa mémoire et de ses souvenirs, la rencontre de Miguel avec Helena va le réveiller, lui faire changer sa façon d’être et le conduire à enfin prendre des risques, pour ceux qu’il aime.

La vie, la mort, la maladie, l’abandon, le désamour, l’homosexualité, les violences faites aux femmes, autant de thèmes qu’aborde l’auteur dans ce roman. A tout cela, Victor Del Arbol ajoute, sans tomber dans la sensiblerie ou les clichés, une belle histoire d’amour, à l’urgence soulignée par le peu de temps qu’il reste à Miguel et Helena pour en profiter.
Avec cette histoire sur le destin de deux personnes au crépuscule de leur vie, portées par le désir commun de solder tous leurs comptes, Victor Del Arbol nous livre encore une fois un grand roman. Des plages brûlantes de Tarifa, de Séville et les rives ensoleillées du Guadalquivir, jusqu’aux brumes de Malmö, nous sommes compagnons de Miguel et Helena dans leur dernier voyage. Et malgré le sujet grave du livre, ce roman riche en émotions reste optimiste et plein de vitalité.  C’est un appel à profiter de la vie, et comme la vie est un voyage que nous devons tous faire, au moins vivons-la intensément.
Je recommande chaudement.

Éditions Actes Sud, Janvier 2019

  1. tabor : bataillon de soldats marocains.

 

4ème de couv :

Les murailles de Tarifa abritent la dernière résidence de deux septuagénaires que rien ne destinait à se rencontrer. Ancien directeur d’une succursale de banque, Miguel est aussi mesuré et prévisible qu’Helena est impulsive et extravagante. La dis­parition tragique d’un pensionnaire les décide à solder leurs comptes avec la vie : ils se lancent sur les routes au volant d’une flamboyante Datsun de 1967 ; cap sur Barcelone, Madrid et Malmö.
Miguel veut sauver sa fille des griffes d’un pervers narcis­sique et retrouver un troublant amour de jeunesse.
Helena aimerait revoir son fils, installé à Malmö. Elle a connu, elle aussi, une passion dévorante mais son existence est un champ de ruines depuis la disparition de son père à Tanger lorsqu’elle était enfant : le suicide de sa mère, un mariage sans amour, la mort de tous ceux qui lui sont chers.
Chacun sera le miroir de l’autre dans sa quête de vérité pour pouvoir refermer les blessures traumatisantes de l’en­fance et trouver enfin la paix de l’âme.
Avec le talent qu’on lui connaît, Víctor del Árbol fait con­verger ces histoires vers un dénouement criant de vérité et d’émotion. Et si, au cours de ce saisissant road movie, on traverse les contrées arides de la maladie, de la prostitution ou du grand âge, on en sort convaincu que vivre est le plus beau des voyages.

L’auteur :

Victor del Árbol est né à Barcelone en 1968. Après avoir étudié l’Histoire, il travaille dans les services de police de la communauté autonome de Catalogne.Dans la collection « Actes noirs » ont paru ses romans La Tristesse du samouraï (2012, prix du polar européen 2012 du Point et finaliste du prix polar SNCF 2013) et La Maison des chagrins (2013),  Toutes les vagues de l’océan, 2015 (Grand prix de littérature policière2015 et prix SNCF du polar2018),  La veille de presque tout (Prix Nadal 2015).

Fernando Aramburu – Patria

Ce jour même ou l’ETA annonce la fin de la lutte armée, Bittori se rend au cimetière sur la tombe de Txato, son mari. Ce chef d’entreprise sans histoire, assassiné par l’ETA pour avoir refusé d’être racketté, sous couvert d’impôt révolutionnaire. De puis sa mort, elle a l’habitude de venir sur sa tombe pour lui faire part des dernières nouvelles. Aujourd’hui elle a pris la décision de retourner dans leur village, près de San Sebastián.

Au village, les victimes sont une présence gênante. Celle qui ressent le plus cette gêne est Mirén. Son mari et Txato étaient de grands amis, compagnons de bar et de cyclisme, Mirén et Bittori pratiquement inséparables. Quand l’ETA révéla que Txato refusait de payer « l’impôt révolutionnaire », l’entrepreneur perdit toute relation avec ses voisins et amis de toujours et le ressentiment et la haine s’installèrent.

« Pourquoi je me comporte de cette façon ?
— Par lâcheté.
— Exact. Parce que je suis aussi lâche que lui, comme tant d’autres qui, en ce moment, dans mon village, doivent se dire tout bas pour qu’on ne les entende pas : c’est de la barbarie, une effusion de sang inutile, ce n’est pas ainsi que l’on construit une patrie. Mais personne ne va remuer le petit doigt. À cette heure, on a déjà dû nettoyer la rue au jet d’eau pour effacer toute trace du crime, et demain il y aura des murmures en suspens, mais le fond de l’air restera pareil. Les gens se rendront à la manifestation suivante en faveur de l’ETA, sachant qu’il faut se montrer dans le troupeau. C’est le tribut à payer pour vivre tranquille au pays des taiseux. »

S’étalant sur plus de 600 pages , ce roman de Fernando Aramburu, nous relate l’histoire de deux familles, séparées par le conflit fratricide du pays basque, tout au long de 30 ans. Cette guerre, « au nom d’une patrie où une poignée de gens armés, avec le soutien honteux d’un secteur de la société, choisissent qui appartient à cette patrie et qui doit l’abandonner ou disparaître ».

Il nous brosse le portrait d’une société peuplée de personnages qui nous apparaissent dans toute leur humanité et leurs contradictions. Faits de chair et de sang, ils ont leurs qualités et leurs défauts.
Les personnages féminins, Bittori, Mirén et à un degré moindre Aránzazu et Arantxa se détachent par leur force et l’affirmation de leur caractère. Joxe Mari, Xabier et Gorka, les personnages masculins sont un peu en retrait.

 « L’ETA doit agir sans interruption. Il n’a pas le choix. Il y a belle lurette qu’il est tombé dans l’automatisme de l’activisme aveugle. S’il ne fait pas de mal, il n’est pas, il n’existe pas, il n’a plus aucun rôle. Cette façon mafieuse de fonctionner dépasse la volonté de ses membres. Même ses chefs ne peuvent s’y soustraire. Oui, d’accord, ils prennent des décisions, mais c’est l’apparence. Ils ne peuvent en aucun cas ne pas les prendre, car une fois que la machine de la terreur est lancée, rien ne peut plus l’arrêter. Tu comprends ? »

Dans ce long roman, magnifiquement écrit, l’auteur intègre de judicieuses stratégies narratives : de nombreux courts chapitres allègent et stimulent la lecture. Le temps de la narration s’affranchit de l’ordre chronologique pour s’adapter au chaos de l’Histoire.

Il donne la parole à toutes les voix présentes dans le conflit. Indépendamment des causes défendues ou de toute considération morale, chacun a sa part de souffrance. En exposant les points de vue diamétralement opposés de chacun, il nous permet de voir les divergences entre ces deux visions de la réalité. Il renvoie les deux parties dos à dos, sans nous obliger à prendre parti, ni substituer au récit un message politique.
« on ne peut ignorer que ceux qui devraient me demander pardon attendent aussi que d’autres leur demandent pardon ».

Aramburu décrit un cercle vicieux d’extorsion et de violence, un comportement presque mafieux pourtant légitimé comme une lutte héroïque, encouragé par la tiédeur, quand ce n’est pas le soutien, des représentants des institutions.
Il raconte, d’abord le processus d’exclusion de Txato et de la famille, les conséquences de son assassinat pour sa femme et ses enfants : la dévastation et la volonté de continuer à vivre malgré tout. Il montre aussi les effets du militantisme sur les familles des membres de l’ETA : le refus de la violence pour Arantxa, la radicalisation de Mirén, les visites à la prison…

A la fin du roman, admirable, reste le sentiment d’avoir abordé des questions d’envergure. « Patria » qui nous immerge dans la société basque, avec ses dissensions et ses aspirations différentes. Peuplé de personnages vrais et humains, nul n’est sorti indemne de ce conflit, dans l’un ou l’autre camp.
« Nous sommes victimes de l’État et maintenant nous sommes victimes des victimes. On est coincés de partout. »
Ce que nous propose Aramburu dans cet extraordinaire roman est le regard individuel nuancé et humaniste d’un écrivain maître de son art capable, sans manichéisme, de nous expliquer la complexité d’un conflit sans tomber dans l’indifférence.
Un grand roman, tout simplement.
Éditions Actes Sud, 2018 

4ème de couv :

Lâchée à l’entrée du cimetière par le bus de la ligne 9, Bittori remonte la travée centrale, haletant sous un épais manteau noir, bien trop chaud pour la saison. Afficher des couleurs serait manquer de respect envers les morts. Parvenue devant la pierre tombale, la voilà prête à annoncer au Txato, son mari défunt, les deux grandes nouvelles du jour : les nationalistes de l’ETA ont décidé de ne plus tuer, et elle de rentrer au village, près de San Sebastián, où a vécu sa famille et où son époux a été assassiné pour avoir tardé à acquitter l’impôt révolutionnaire. Ce même village où habite toujours Miren, l’âme sœur d’autrefois, de l’époque où le fils aîné de celle-ci, activiste incarcéré, n’avait pas encore de sang sur les mains – y compris, peut-être, le sang du Txato. Or le retour de la vieille femme va ébranler l’équilibre de la bourgade, mise en coupe réglée par l’organisation terroriste.
Des années de plomb du post-franquisme jusqu’à la fin de la lutte armée, Patria s’attache au quotidien de deux familles séparées par le conflit fratricide, pour examiner une criminalité à hauteur d’homme, tendre un implacable miroir à ceux qui la pratiquent et à ceux qui la subissent.

L’auteur :

Fernando Aramburu est né à San Sebastián en 1959.
Il est diplômé en philologie hispanique de l’Université de Saragosse.
Depuis 1985, il vit en Allemagne où il donne des cours d’espagnol. En 2009, il abandonne son poste de professeur pour se consacrer entièrement à la création littéraire.
Il est l’auteur de trois récits et de six romans qui ont été distingués par de prestigieux prix littéraires.
Patria a notamment reçu le prix Francisco Umbral et le prix de la Critique 2017.

Simone Gélin – L’affaire Jane de Boy

Madrid, janvier 2011. Abril revient dans sa ville natale, après une absence de près de 50 ans.
Cinquante ans plus tôt, dans le village de Jane de Boy, près du bassin d’Arcachon, une petite fille de 3 ans, Jane, joue sur la plage devant sa maison, sous le regard de sa maman. Il est près de 17h, et Justina rentre à l’intérieur pour prendre un gilet.
Une absence d’une minute ou deux, pas plus…

A son retour, la plage est déserte. Jane a disparu. Les recherches entamées immédiatement ne donnent aucun résultat. Jane s’est littéralement volatilisée, sans laisser aucune trace.
Enlèvement ? La récente affaire du petit Eric Peugeot est encore présente dans les mémoires, mais  n’y a pas eu de demande de rançon. De plus, Félix et Justina Ibañez, même s’ils paraissent à l’abri du besoin, ne sont pas d’une extrême richesse.
Le Commissaire Lasserre, en charge du dossier, éprouve pas mal d’empathie pour ces parents déboussolés, dévastés par la disparition de leur fillette. Il fait appel à Hippolyte, un ancien de la maison, qui connait bien le quartier Saint-Michel, « la petite Espagne », et qui pourra ainsi activer son réseau de connaissances et d’indics.
Le comportement de Félix et Justina, ce jeune couple d’immigrés espagnols, intrigue les policiers. Pourquoi avoir émigré en France ? Ils n’avaient rien ni personne à fuir dans leur pays. Justina est même la fille d’un haut responsable de la Phalange, le parti du Général Franco. Ils ne se sont pas non plus intégrés à la communauté espagnole du quartier Saint-Michel. Ne cachant pas leur peu de sympathie pour le régime franquiste, ils ne militent pourtant dans aucun mouvement.
De plus, Félix a récemment monté une affaire d’import- export de produits espagnols, qui lui assure de bons revenus, mais que l’on pourrait imaginer comme paravent à un quelconque trafic.
Dans la maison à côté vivent Sarah, la seule amie du couple, et son fils Paul. Sarah, à peine âgée de 15 ans, a échappé à la déportation en couchant avec des soldats S.S. Tondue à la libération, elle évoque cet épisode sans aucune gêne, et arrondit ses fins de mois en se prostituant occasionnellement.
Alternant avec les chapitres consacrés à l’enquête, Abril, une jeune espagnole, raconte dans une longue lettre sa jeunesse, son passé de militante anarchiste, son premier amour, sa grossesse et la naissance de Nieves…

« Il ne me connaissait pas, et pour cause ! Ma mère ne savait encore pas que j’étais en route quand il avait été arrêté en 39…
Je voyais cet homme, grand, raide dans ses habits comme s’il portait tout le malheur du monde caché sous sa veste, un pantalon de flanelle flottant sur sa maigreur, une figure allongée, faite de rectangles et de lignes droites, des os saillants, maxillaires apparentes, des yeux qui paraissaient perdus dans un ailleurs que lui seul pouvait voir, capables en même temps de pénétrer intensément les miens, une bouche de géant qui lui mangeait tout le visage, il me faisait peur.
Je me jetai au cou de ma mère et lui demandai à l’oreille si c’était un ogre qui tendait les bras pour me prendre. Elle rit : »C’est ton père, Abril. » »

Au-delà de deux magnifiques portraits de femmes, de part et d’autre des Pyrénées, l’une et l’autre confrontées à la perte d’un enfant, ce roman nous plonge dans les tristes heures d’un passé pas si lointain. A cette époque où le gouvernement français encourageait la collaboration de la police française avec les services secrets de Franco, ce dictateur enfin devenu « fréquentable ». Cette collaboration consistait bien souvent à rechercher des anti-franquistes réfugiés en France, en vue de leur élimination.

Ce roman aborde également le thème des enfants volés, enlevés à des jeunes femmes dans une situation difficile, pour être proposés à l’adoption, ou même vendus à des couples en mal d’enfant.

S’appuyant sur une solide documentation historique, et  beaucoup de témoignages « de première main », ce roman a valeur de document sur cette période récente.

D’une écriture agréable et poétique, sans aucune outrance, Simone Gélin nous propose une intrigue habilement construite, mêlant la fiction avec des évènements réels de notre Histoire récente, imbriqués de façon très étroite à son roman, sans que cela ne nuise à sa fluidité. Elle pose un regard plein de bienveillance et d’amour sur ces hommes et ces femmes, victimes d’un régime inique et de pratiques indignes.
La scène finale, au cœur de la manifestation de la Puerta del Sol, en janvier 2011 à Madrid, en mémoire des enfants volés, est porteuse d’une intense émotion.

« Regards éperdus, en quête d’un ou d’une inconnue, d’une part d’eux-mêmes qu’on leur a dérobée à la naissance. Certains brandissent des pancartes comme s’ils jetaient des bouteilles à la mer. Des dates, des lieux, des appels au secours….
Une multitude de ballons blancs est lâchée.
Des ballons pour des enfants volés, qui s’élèvent dans le ciel gris de Madrid. »

Comme avec « Le journal de Julia « , et les sujets qu’elle aborde, Simone Gélin a su encore une fois me toucher au cœur, car j’ai retrouvé au travers de ce livre pas mal de points communs avec ma propre histoire.

Un immense merci pour ce très beau roman, que j’ai reçu comme un magnifique cadeau, et qui fut pour moi l’occasion d’un excellent moment de lecture, un véritable coup de cœur.

Éditions Vents salés, mai 2016

 

4ème de couv :

Jane-de-Boy_2240En 1960, dans le village de Jane de Boy, une petite fille de 3 ans disparaît sur la plage.
Enlèvement ? Crime politique, passionnel, crapuleux ?
Qu’est venu faire en France ce jeune couple d’Espagnols, Felix et Justina ? Que sait Sarah, la voisine, prostituée du samedi soir ? Le commissaire Lasserre s’interroge, aidé par son vieux camarade Hippolyte.
L’enquête se déroule à Bordeaux, dans l’ambiance du mythique hôtel de police de Castéja, au cœur du quartier Saint-Michel, dans les ruelles de la petite Espagne, au marché des Capus… Et se corse aux bassins à flot.

L’ auteure :

Enseignante retraitée, Simone Gélin vit à Lège-Cap-Ferret, dans la région de Bordeaux.
Elle a obtenu le prix de la nouvelle au salon d’Hossegor pour « Entre chiens et loups ».
« L’affaire Jane de Boy » est son cinquième roman.

Autres romans :
« La fille du port de la lune » (2010)
« Le banc de l’injustice » (2011),
« Le journal de Julia » (2013) ,
« Le truc vert »  (2014)

 

Simone Gélin – Le journal de Julia

Un jour de mai 1975, Amélie, une petite fille, traverse la route en courant après son ballon, Julia se précipite pour l’arrêter au moment où surgit une Alfa Romeo que conduit Lucio. L’accident est évité de justesse, Julia a seulement été frôlée par la voiture. Ce jour, cette rencontre vont marquer le point de convergence de leurs existences, pour Julia et Lucio le début du bonheur, mais également le compte à rebours du malheur.

Vingt-cinq ans plus tard, sur les cimes dominant l’Espagne, se tient un vieil homme  :
« Enfin, il s’assit sur la frontière. Le vertige. Du haut de son promontoire, il sillonnait l’Espagne, survolait la chaîne, les cimes, et s’enfonçait dans les vallées. Sous les rayons de l’après-midi, l’automne chatoyait. Grenats, jaunes safranés, pourpres, vermeils, ocres ensoleillés trouaient d’or, de cuivre et de sang la masse vert sombre des sapins, mais le flanc de montagne, aspergé de lumière, modelé par la palette de couleurs, pouvait bien essayer de rivalise avec une toile impressionniste , Emilio ne se donnait pas la peine de monter jusqu’ici pour contempler le paysage Il venait nourrir sa mémoire, au cas où la camarde s’amènerait un soir sans lui avoir envoyé de préavis. Il voulait partir en se souvenant de la patrie et aussi de tous ceux qu’il avait vu tomber de ce côté des Pyrénées. Il voulait pouvoir jusqu’au bout se rappeler les visages de ces hommes qui avaient accepté, le sourire aux lèvres, de faire le sacrifice de leur vie. Ne jamais oublier leur courage incommensurable. »

Ce roman s’étire sur trois époques : Les années 30, avec le franquisme et la guerre civile en Espagne, les années 70, où l’on assiste à la rencontre de Julia et de Lucio, de leur amour naissant et des évènements dramatiques qui s’ensuivront, et les années 2000, avec le retour du grand-père et de son petit-fils en terre de Provence, en quête de vérité et de réhabilitation.

« Ils voient des femmes qui hurlent comme des louves, serrant leurs enfants morts contre leur poitrine. Les survivants errent comme des morts-vivants dans les rues jonchées de cadavres, croisant des mutilés hagards au milieu des ruines, des chiens et des chats à moitié fous eux aussi, dans un silence interrompu de temps en temps par des cris déchirants qui s’élèvent au-dessus des décombres, des cendres et de la fumée. Un décor de fin du monde. »

Engagé dans la lutte anti fasciste à 16 ans, il a vu le nuage de mort sur Guernica, et son père Juan tué à ses côtés dans les combats. Sa mère Pilar, suite à une dénonciation, sera emmenée et exécutée en pleine rue « pour faire des exemples ».
« Ils tremblent tous en silence, sur la place. Ceux qui sont à genoux, mais aussi ceux qui sont debout, en rond, tout autour.
Et puis tout à coup, des voix s’élèvent, Pilar se demande si elle rêve ou si ce qu’elle entend est bien réel. Dolores la regarde et sourit.
-Chante, Pilar ! Chante !
Pilar articule les premières paroles de ce chant révolutionnaires des Asturies qu’elle connaît par cœur.
« Asturies, terre sauvage, Asturies, terre de combattants ! »
Sa voix pure s’élève au-dessus des autres, alors elle reçoit une rafale de mitraillette en pleine poitrine. Juste le temps de balbutier : « Emilio ». »

Les mots me manquent pour décrire l’émotion qui m’a saisi à la lecture de la scène où Pilar entonne son chant révolutionnaire, sa voix s’élevant au-dessus du tumulte et des balles qui vont lui hacher la poitrine.

Les deux personnages principaux sont d’une épaisseur psychologique peu commune. A eux seuls, ils captent toute la lumière du roman, ne laissant aux autres que des miettes.
Emilio, le grand-père, magnifique personnage, tout en émotion, animé par une soif de justice et une colère contenue, depuis ses jeunes années. Sa vie n’est qu’une longue suite de deuils.

Julia est une jeune femme d’une grande noblesse, pleine d’empathie, une institutrice enthousiaste et toute dévouée à ses élèves, digne représentante des « hussards de la république » qui ont fait la grandeur de l’École publique. Douée d’une force d’âme hors du commun, elle est le soutien de Lucio dans toutes les épreuves qu’il traverse.
Lucio, le compagnon de Julia, et Nino ont moins d’importance dans le récit, même si ce sont eux sur qui repose l’histoire, et la quête du fils pour réhabiliter le père.

Ce roman est avant tout une histoire d’amour, mais aussi un vibrant plaidoyer contre les injustices, et plein d’humanisme quand il s’agit de dénoncer les excès du franquisme, et le comportement de l’État Français, dans l’accueil des réfugiés, ou bien l’absurdité et la barbarie de la peine de mort, ce qui faisait dire à Maître Robert Badinter, «La guillotine, c’est prendre un homme vivant et le couper en deux morceaux.» 

Écrit avec finesse, d’une grande intelligence, magnifiquement construit et articulé, ce roman est baigné d’une sensibilité et d’une émotion à fleur de peau. Et je le répète, empreint d’une grande humanité. Un vrai coup de cœur !

Éditions Anne Carrière, 2013

4ème de couv :

lejournaldejulia2En 2003, à bord d’un cabriolet Alfa Romeo des années 1970, Nino et son grand-père Emilio sillonnent la France du Pays Basque aux routes de Provence. Ils sont déterminés à exiger la révision d’un procès, ou à rendre justice à leur manière.
Le journal de Julia, la mère de Nino, accompagne leur périple. Ils relate les évènements dramatiques de 1975, alors que Julia était institutrice dans une petite école de Provence. Une fillette avait été assassinée et Lucio, le compagnon de Julia, arrêté.
Vingt-sept ans plus tard, peut-on demander des comptes à la justice ? Jusqu’où le grand-père et son petit-fils sont-ils prêts à aller ?
Un roman d’amour et de haine où se mêlent action et émotion.

L’auteure :

gelin2Enseignante retraitée, Simone Gélin vit à Lège-Cap-Ferret.
Après « La fille du port de la lune » (2010) et « Le banc de l’injustice » (2011),
« Le journal de Julia » (2013) est son troisième roman.
« Le truc vert » est paru en 2014.
Elle a obtenu le prix de la nouvelle au salon d’Hossegor pour « Entre chiens et loups »