Gilles Vincent – Ce pays qu’on assassine

Alors qu’il circule à moto, Tarek Bsarani, riche homme d’affaires franco-syrien, est abattu de trois balles en pleine tête. Il était depuis peu le directeur de campagne de Manon Péan, jeune députée du Vaucluse et étoile montante de Parti National de France, surnommée « la nièce » ou « la petite-fille ».
L’affaire échoit à la Commissaire Aïcha Sadia, héroïne récurrente de Gilles Vincent. Policière expérimentée, ayant la confiance de sa hiérarchie, elle gère son groupe d’une main efficace, un peu comme une famille. Son amant  Sébastien Touraine, détective privé, participe régulièrement aux enquêtes de leur groupe, et leur apporte une aide précieuse.
Au Nord du pays, près de Calais, on retrouve à demi enterrés dans la boue, les corps de deux jeunes filles. Betiel et Yohanna Seyoum, migrantes Érythréennes de 12 et 19 ans, victimes d’un viol collectif, et littéralement massacrées.
En charge de ce dossier, le Lieutenant Carole Vermeer n’a pas la tâche facile. En butte à l’hostilité ou au mieux, l’indifférence de sa hiérarchie et de son équipe, elle n’est pas dans les meilleures dispositions pour enquêter dans la sérénité. C’est une jeune femme fragile « une blessure ambulante », qui traîne le fardeau de l’absence d’un jeune frère disparu trop tôt, et d’une enfance passée en famille d’accueil.

« Derrière elle, les mains posées contre les yeux, le petit Jason, son bermuda en jean, son tee-shirt rouge, ses petites tennis scratchées ; Derrière elle, la voix du gamin qui compte jusqu’à vingt. Qui hurle les derniers chiffres parce qu’il n’a même pas peur. Presque pas.
Elle s’est accroupie derrière un buisson. Elle a fermé les yeux. S’est laissée envahir par les senteurs du sous-bois, a perçu le clapotis du lac contre la berge d’herbes folles. Elle a entendu nettement Jason crier l’ultime nombre. Alors, elle a guetté le froissement des feuilles sous ses pas. A attendu qu’il vienne… »


Entre Nord et Sud, nous suivons en parallèle les enquêtes d’Aicha et de Carole, toutes deux soumises aux mêmes pressions, de leurs supérieurs, et des responsables politiques du secteur.
Entre trafics divers, magouilles politiques, corruption, clientélisme, manipulations, Aïcha, Carole et leurs équipes marchent sur des œufs. Les élections régionales approchent et il faut ménager toutes les susceptibilités, éviter toute erreur qui pourrait avoir une influence sur le scrutin à venir.

Cette région du Nord-Pas de Calais, était, il n’y a guère, terre d’élection d’un communisme et d’un socialisme ouvriers et militants. L’impéritie des différents gouvernements qui se sont succédé, de gauche comme de droite, ont livré cette population déboussolée et désespérée au féroce appétit d’une droite extrême.
Le même constat vaut pour la région marseillaise. Les populations immigrées, parquées dans les tours de banlieue des quartiers nord sont un terreau fertile pour les extrémistes de tout bord, qu’ils soient fondamentalistes islamiques ou bien de l’extrême droite représentée par le Parti National Français.

Deux beaux portraits de femmes, l’expérimentée et fougueuse Aïcha et  la fragile Carole. Bloquée dans son enquête, humiliée et impuissante face aux mafieux, aux politiques ou les deux ensemble, cette dernière ne verra d’autre issue que de quitter la scène.
« Devant ses yeux défilent les posters de la chambre de Carole : Mike Brant, Nino Ferrer, Marilyn, et puis les œuvres complètes d’Hemingway, de Virginia Woolf et de Stefan Zweig.
Et ça lui vient d’un coup. Ces chanteurs, ces acteurs, ces écrivains, tous ils se sont donné la mort. Sans exception.
Autour du lit de Carole Vermeer, des compagnons de solitude. »

Caroe se suicide avec son arme de service et laisse un carnet à l’intention de son supérieur, le commissaire Kaminski. Pendant qu’elle est dans le coma, il lui en fait la lecture. Ainsi, en remontant le fil de l’enquête qu’a conduit Carole, il prend la mesure de tous leurs manquements à son égard. Elle lui apparaît alors sous un jour bien différent de ce qu’il avait imaginé, et nous lecteurs, saisissons mieux toute la détresse qui habitait cette jeune femme.

Que l’on ne s’y trompe pas, au travers de Manon et Maryse Péan, l’auteur brosse le portrait de deux femmes bien connues dans notre paysage politique pour leurs positions extrêmes. « Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé est purement volontaire. Le reste n’est que fiction. »

Les deux enquêtes policières nous laissent sur des impressions, des quasi-certitudes, mais rien de définitif. Mais là n’est pas le plus important. L’auteur dresse ici un état des lieux de notre pays, gangrené par la voyoucratie de nos élites, le clientélisme et la corruption.
Il n’est qu’à voir les dernières affaires à la une des médias, de Bygmalion, aux écoutes de l’Élysée, aux emplois fictifs pour la famille et les amis. Ce polar de Gilles Vincent est noir, très noir même. Il ne laisse que peu d’espoir sur notre société en décomposition, livrée aux vautours de la politique et de la finance, plus soucieux de se servir que de servir leur pays. Ainsi on peut comprendre que certains se laissent abuser par des discours extrêmes.

En fin de roman, la sinistre tuerie du Bataclan change la donne. Les enquêtes criminelles sont reléguées aux oubliettes. La priorité est d’assurer la sécurité des Français, de lutter contre le terrorisme, de rassurer la nation sur notre capacité à faire face à ce nouvel ennemi.
Les polars de Gilles Vincent sont toujours solidement ancrés dans notre réalité sociale et historique. Il nous pousse à nous interroger sur les problèmes de notre société et d’un monde en pleine mutation.
Il signe là un très bon roman, placé dans une récente actualité, habité de magnifiques personnages, et loin d’être politiquement correct. Une très belle lecture, que je vous recommande.

Editions In Octavo, 2017

4ème de couv :

Au cœur de Marseille, on exécute Tarek Bsarani de trois balles dans la tête. Il était le directeur de campagne d’une jeune députée du Vaucluse, espoir prometteur du Parti National de France. A l’autre bout du pays, on découvre dans la boue les corps meurtris de deux jeunes Erythréennes. Deux migrantes égarées sur les routes dévastées de l’exode.
Forte de son expérience et d’une équipe soudée, la commissaire Aïcha Sadia tente de dénouer l’affaire marseillaise, tandis qu’au nord, dans ces territoires laminés par la crise, le capitaine Carole Vermeer, flic fragile et vacillante, butte sur la solitude et le mensonge. A mesure que l’échéance électorale approche, la tension politique vient brouiller les pistes…
Des houillères du Pas de Calais aux plaines brûlantes de Camargue, l’auteur livre un roman noir, lyrique, politique et social. Le portrait sans concession d’une terre au bord de l’abîme, un pays sombre et parfois lumineux : le nôtre.

L’auteur :

Gilles VINCENT est né à Issy-les-Moulineaux le 11 septembre 1958. Un grand-père député du Front Populaire, grand résistant, déporté… Une grand-mère institutrice, hussarde de la République, bouffeuse de curés. Un père prof de Fac, une mère prof de Lettres, puis psychanalyste. Et c’est du côté de Valenciennes qu’il passe sa jeunesse dans laquelle ne trouvent grâce à ses yeux que les livres et les mondes imaginaires. À 14 ans, au Maroc, il dévore San Antonio jusqu’à en oublier la magie du désert. Sa décision est prise : plus tard lui aussi il racontera des histoires. À 20 ans, il abandonne ses études pour une carrière de commercial. Puis il rejoint le sud, Marseille tout d’abord puis les environs de Pau où il vit depuis quelques années, tout entier consacré à « l’aventure des mots » : ateliers, classes, conférences et romans. Dans les auteurs qui l’ont marqué, on retrouve Duras, Besson, Van Cauwelaert, Jim Harrison, Jesse Kellerman et Frédéric Dard bien sûr ! Dans ses passions se mêlent le ciné, les bouffes entre copains, les courses autour du lac, la lecture, les rêves, tous les rêves, et Madrid où il se verrait bien vivre un jour…

(Source :Éditions Jigal)

 

Gilles Vincent – Djebel

10400774_885043804844872_1229128013295815397_n4ème de couv.

Pendant des décennies, ils ont enfoui leurs lourds secrets…
Mars 1960 en Kabylie, le jeune appelé Antoine Berthier achève à l’aube sa dernière garde avant d’être libéré et pouvoir enfin retrouver ses parents et sa sœur jumelle qui l’attendent sur le continent. Quelques jours plus tard, sans aucune explication, il se donne la mort sur le bateau du retour.

En septembre 2001, on découvre à Marseille, les corps sans vie de plusieurs de ses anciens compagnons d’armes. Très vite, Aïcha Sadia, jeune femme d’origine kabyle, aujourd’hui commissaire, et Sébastien Touraine, ex-flic à la dérive, désormais détective, vont remonter les traces de l’Histoire…
Entre les errances d’alors et les rancœurs d’aujourd’hui, ils vont découvrir que des deux côtés de la Méditerranée les mémoires saignent encore…

Ce que j’en pense:

Sébastien Touraine, ex-flic de la brigade des stups reconverti en détective privé, muré dans sa douleur depuis la disparition d’Emma, se voit confier par la sœur du soldat le soin d’enquêter sur sa mort. En effet, quelques jours auparavant, elle a été contactée par un ancien compagnon d’armes de son frère, qui lui a révélé que son frère n’était pas mort au combat, mais s’était suicidé.

« Un brave gosse. Pas fait pour la mort des autres et encore moins pour la donner » Elle charge donc Touraine d’aller interroger les trois anciens camarades d’Antoine. Or, tous ces témoins potentiels sont retrouvés morts avant qu’il n’ait pu les interroger. Pire encore, son logement est visité, on retrouve sa cliente égorgée à son hôtel, et coincé dans son dos, un rasoir lui appartenant.

Il n’en faudra pas plus pour en faire le premier suspect et coupable idéal. Et dès la première rencontre avec la commissaire Aïcha Sadia, on se doute bien que ça va faire des étincelles…

La recherche du tueur va nous ramener dans le passé, dans une sale guerre qui n’osait pas dire son nom, où les bourreaux se trouvaient dans chaque camp, dans les montagnes de Kabylie écrasées de soleil. Aïcha Sadia, de par ses origines, prend cette enquête très à cœur, jusqu’à commettre des erreurs de jugement dans ses analyses. Le duo avec Touraine, plus intuitif, fonctionne à merveille, et laisse prévoir de beaux lendemains.

L’écriture est vive, précise et le rythme de la narration ne nous laisse pas un instant de répit, d’un chapitre à l’autre, jusqu’à la surprise du dénouement, drôlement malin.
Avec en toile de fond, toujours le rappel de toutes les souffrances qui ont été générées par ce conflit, des deux côtés de la Méditerranée.

J’ai avalé ce livre en une soirée, comme une lampée de vieux marc. C’est fort, ça brûle quand ça passe, mais qu’est-ce que c’est bon !

Gilles Vincent – Parjures

1471957_766853916663862_1352831896_n4ème de couv.

Aïcha Sadia, commissaire de police, est une femme désespérée depuis la mystérieuse disparition de son compagnon Sébastien au large d’une plage.

Mais quand plusieurs cadavres décapités d’ex-taulards sont découverts dans des entrepôts abandonnés de la ville, c’est elle et son équipe qui se retrouvent en première ligne.

Certains indices laissent penser que quelques extrémistes pourraient avoir trouvé là, un moyen radical de remettre la peine de mort au goût du jour.

Ce que j’en pense :

À sa sortie de prison, Abdel Charif, condamné pour meurtre puis finalement gracié, leur échappe de justesse… Et pour sauver sa peau et obtenir sa réhabilitation, il propose à Aïcha un étrange marché : elle prouve son innocence, il la mène jusqu’à Sébastien…

Manipulations, horreurs et parjures vont alors guider Aïcha dans une enquête libératrice…
Au-delà de la réflexion sur la peine de mort et la fragilité du témoignage humain (cf. l’affaire Omar Raddad), un bon roman policier à la trame classique, une intrigue multicouches, au service de personnages très humains, dans leurs qualités comme dans leurs vices.

Récit mené à un train d’enfer, avec son lot de fausses pistes et de rebondissements. Lorsqu’enfin on croit tenir la solution, un dernier coup de théâtre en forme de conclusion, dûment expliquée et détaillée, nous livre la clef de l’énigme…

Gilles Vincent – Beso de la muerte

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4ème de couv.

« En parcourant les derniers mètres avant la pension, Aïcha Sadia songea aux troubles ressentis face aux crimes atroces. Elle avait appris, il y a longtemps, que ces troubles ne forment en fait qu’un habile déguisement de l’âme. La mort, se dit-elle en poussant la porte d’entrée, pareille à une vieille enjôleuse, n’en finirait sans doute jamais de fasciner les vivants… ».
Août 1936, en Espagne, on assassine Garcia Lorca, accusé de sympathie républicaine.
Août 2011, à Marseille, on découvre le corps calciné d’une femme, abandonné entre les rails. Entre ces deux morts, s’écrivent les tragédies du vingtième siècle, les secrets d’État, les coulisses de la démocratie espagnole naissante et la passion dévorante d’une jeune femme pour l’ombre du poète…

Entre ces deux âmes suppliciées, un pacte étrange, bien au-delà du temps, va profondément bousculer la nouvelle enquête de la commissaire Aïcha Sadia…

Ce que j’en pense:

Le roman commence très fort avec la description de l’exécution de prisonniers par les soldats fascistes menés par « El Capitan », « trois pauvres types et un poète, la prise de la soirée ». Le poète, homosexuel, sera exécuté de la manière la plus dégradante qui soit, en une ultime humiliation, et enterré dans cette fosse commune à Viznar. Il avait pour nom Federico Garcia Lorca, et est considéré par beaucoup comme le plus grand poète espagnol.

De nos jours : Thomas Roussel, flic fatigué et alcoolique repenti, reçoit le soir même de ses noces avec Délia Cabrini, médecin toxicologue qui l’a guéri de ses addictions, un appel au secours de Claire, son ex-compagne. Le lendemain, le cadavre calciné de Claire est retrouvé à Marseille. Les derniers mots de Claire: « El capitan, El capitan »! Sont-ils le lien qui relie ces deux meurtres, à travers l’espace et le temps ?

La commissaire Aïcha Sadia et son équipe, accompagnés de Thomas Roussel vont, de Marseille à Madrid, en passant par Montpellier et Toulouse, suivre la piste trop évidente peut-être et qui paraît avoir été tracée pour eux, par un manipulateur qui semble devancer leurs faits et gestes.

Ce polar est très bien ficelé, et s’appuie sur une documentation solide, avec un grand souci du détail et de la vérité historique, des alliances et des accords politiques de l’époque, par la mise en scène d’événements et de personnages réels, pour certains encore vivants.

L’auteur nous donne à voir des personnages profonds, complexes et tourmentés, comme Thomas Roussel, et Claire dont la passion et la quête éperdue de justice confinent à la folie. Les personnages secondaires ne sont pas négligés pour autant et, de Estéban à Joaquin Vargas et Sébastien Touraine, ont tous une certaine épaisseur.

C’est très bien écrit, pas mené sur un rythme endiablé, et malgré la complexité de l’intrigue et ses multiples ramifications, ça se lit sans difficulté car structuré en chapitres très courts. On se laisse totalement embarquer par l’auteur, pas à pas, nous prenant par la main pour nous conduire, de retournements en coups de théâtre, jusqu’aux collines de Viznar, où tout a commencé, pour un final surprenant.

Gilles Vincent nous livre là une magnifique histoire, où la passion extrême conduit à tous les excès.

Une réussite que ce roman, sur lequel souffle l’esprit de Federico Garcia Lorca, symbole du peuple d’Espagne en lutte contre toutes les oppressions, toutes les dictatures. Il ne pouvait laisser indifférent l’andalou qui est en moi, et c’est déjà un de mes gros coups de cœur de l’année !

Année de sortie : 2013

Lettre NoyelÉditeur : Jigal polar