Maurice Gouiran – L’ Irlandais

Clovis Narigou, ancien journaliste d’investigation, est maintenant éleveur de chèvres à La Varune, sur le massif de la Nerthe, au nord de Marseille. De passage au Beau Bar, un bistrot où il a ses habitudes, il apprend la mort de son ami Zach Nicoll, « l’Irlandais ». Après avoir débuté dans le street art contestataire, Zach avait quitté l’Irlande et la rue et s’était installé dans un atelier marseillais.

Son épouse Aileen l’a trouvé mort dans son atelier, le crâne défoncé. Le vol semble être le mobile du crime, d’autant que certaines des toiles de Zach ont été retrouvées en vente au marché aux puces. Après que les receleurs ont été alpagués par les policiers, il leur apparaît bien vite que ces petits délinquants n’ont rien à voir avec le meurtre.
Clovis, qui commençait à s’ennuyer un peu après un hiver passé en solitaire, sans autre compagnie que celle de ses chèvres, éprouve le besoin de se mêler de l’enquête, pour aider son amie et amante occasionnelle Emma Govgaline, inspectrice de police.

Craignant l’accueil de la famille de Zach, Aileen demande à Clovis de l’accompagner en Irlande pour y enterrer son mari. Clovis y voit là une bonne opportunité d’enquêter sur le passé de Zach, qui s’est toujours montré très réticent à évoquer cette époque.
Clovis a déjà séjourné en Irlande pour divers reportages à l’époque des « Troubles », doux euphémisme pour qualifier une période où les deux camps se sont allègrement trucidés pendant trois décennies.

« Le granit sombre des croix celtiques surgissait des pelouses. Je retrouvais les traces rouges des mains peintes sur les tombes, les vieux drapeaux tricolores irlandais aux couleurs fanées par le vent, les plaques commémoratives, les bouquets vert, blanc et orange et, plus loin, la tombe très simple – toujours du marbre noir – que Bobby Sands partageait avec ses camarades Joe McDonnell et Terence O’Neill.
Non, décidément, Milltown n’avait guère changé depuis plus de trente ans. »

Lors de son séjour, Clovis va rencontrer plusieurs personnes qui ont connu Zach, chacune éclairant le personnage sous un jour différent – Nigel et Terry, les compagnons de lutte, Ghetusa la veuve de son frère Vortimer, contrainte à un éternel veuvage par la rigidité du clan, l’évocation de Breena, combattante féministe, qui aurait eu une relation avec Zach, avant d’être exécutée.
Tous ces personnages formidables ne représentent que quelques unes des nombreuses pièces du puzzle qui composait la société irlandaise à l’époque des Troubles.
« Chaque camp avait eu ses peintres, ses martyrs et ses héros.
Chaque camp avait désormais ses guides et ses balades. »…
« Depuis le début des temps, les nationalismes et les guerres de religion étaient à l’origine des grandes catastrophes humaines et des plus beaux massacres… En Irlande du Nord on avait fait fort en réussissant à conjuguer ces deux causes essentielles ».

Avec « Franco est mort jeudi » je découvrais la plume de Maurice Gouiran, sa façon directe d’aborder les épisodes méconnus de l’Histoire, et de montrer ce qui dérange, là où d’autres se contentent de détourner les yeux.
Dans ce roman il ne déroge pas à ses habitudes, et avec le même talent il nous raconte l’Histoire au travers d’une histoire.

Sur la base d’une enquête policière sur l’assassinat de Zach, artiste militant et résistant, il nous propose une réflexion profonde sur la révolution irlandaise, sur les multiples raisons qui ont conduit le peuple irlandais à se déchirer de la sorte. Loyalistes anglicans et républicains papistes se sont ainsi affrontés durant plusieurs décennies.
Il met l’accent sur la complexité de cette époque, où nuances entre les différents courants politiques, les frontières entre les nombreux groupes paramilitaires, se réclamant de l’IRA, n’étaient jamais clairement définies, et où le héros d’un jour pouvait se voir accusé de traîtrise et exécuté le lendemain.

Maurice Gouiran développe son intrigue, dans son style très incisif, avec une verve bien méridionale. Des bistrots marseillais aux pubs de Belfast, « où la mauresque cédait la vedette à la pinte de Guinness et le cagnard à la bruine », entre secrets et non-dits, il nous propose une lecture plus précise de l’Histoire, dans les méandres du dédale historico-politique que fut le conflit irlandais.

Et, encore une fois, à mon grand plaisir, je me suis laissé entraîner pour ce voyage en Irlande, qui fut un très bon moment de lecture.
Éditions Jigal, 2018

4ème de couv:

Lorsqu’on découvre le peintre Zach Nicoll, le crâne fracassé dans son atelier marseillais, son ami Clovis n’a qu’une idée en tête : aider Emma, en charge de l’enquête, à retrouver l’assassin.
Zach s’était illustré dans le street art avant de devenir bankable et de fuir Belfast vingt ans plus tôt. C’est donc en Irlande du Nord que Clovis va chercher ce qui se cache derrière ce crime.
Zach était l’un des artistes républicains auteurs des célèbres murals, ces peintures urbaines, outils de mémoire et de propagande.
Mais pourquoi avait-il quitté son pays juste au lendemain des accords de paix de 1998 ?
Ce sont des femmes, étonnantes et déterminées, toutes liées à Zach – Aileen, son épouse, Ghetusa, la veuve ad vitam aeternam de son frère, et Breena, combattante féministe au sein de l’IRA – qui donneront peut-être à Clovis les premiers indices…

L’auteur :

Maurice Gouiran est un écrivain français né le 21 mars 1946 au Rove (Bouches-du-Rhône), près de Marseille, dans une famille de bergers et de félibres.
Il passe son enfance dans les collines de l’Estaque, avant d’effectuer ses études au lycée Saint-Charles et au lycée Nord de Marseille, puis à la Faculté, où il obtient un doctorat en mathématiques.
Spécialiste de l’informatique appliquée aux risques et à la gestion des feux de forêts, il a été consultant pour l’ONU. Il enseigne également à l’université.
Depuis 2000, il a écrit de nombreux romans policiers, dont plusieurs ont été primés.

Maurice Gouiran – Mais délivrez-nous du mal

délivre nous du mal4ème de couv.

Des hommes d’affaires sans scrupules qui s’étripent sans merci pour prendre le contrôle d’établissements médicaux aux bénéfices juteux.
Des malades qui deviennent alors des clients dans une guerre des cliniques qui laissera en route quelques sommités sur le tapis.
Des interventions chirurgicales ratées qui brisent la carrière de quelques sportifs prometteurs…
Une justice qui tente de faire le tri entre la rapacité d’un patron et la négligence des chirurgiens.
Une rumeur persistante qui insinue qu’un tueur en série abrège le séjour des hospitalisés…
Clovis, enfin, qui partage son coeur – ou plutôt son lit – entre deux femmes que tout oppose, mais qui vont l’inciter à fourrer son nez dans ces histoires frelatées.
Tiraillé entre naïveté, amour et curiosité, Clovis va prendre des risques inconsidérés afin de découvrir l’hypothétique sérial killer qui tient tant à délivrer ses semblables du mal…

Ce que j’en pense :

Dans son petit village, dans le vallon de La Varune, Clovis Narigou, ancien grand reporter, aspire à une vie plus tranquille tout en s’adonnant à l’élevage de chèvres du Rove, aux noms de stars du cinéma, telles Demi Moore ou Kim Basinger. Son emploi du temps est rythmé par les sorties à l’avanade, la traite, les visites au bistrot pour écluser quelques mominettes de « mauresque » et, de temps en temps des piges pour les journaux.

En ce matin de mai, sa tranquillité est troublée par le lieutenant de police Baldiserro. On vient de découvrir un corps calciné dans un champ à 200 mètres de chez lui.

« C’était un meurtre des plus banals qui soient. Pas d’éviscération, pas de cannibalisme, pas de corps décapité ou de membres tranchés et éparpillés, rien de ces scènes chères à nos auteurs de thrillers qui mettent en transes leur fidèles lectrices assoiffées de sang et de violence. Tout juste une dépouille à demi carbonisée qu’un vététiste matinal venait de découvrir. Milou faillit s’en montrer déçu, mais quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut se contenter de ce qu’on a, comme le serinent les maîtres à leurs serviteurs.
… Cette scène bucolique me rappelait une récitation jadis apprise au primaire. Rimbaud. Seulement notre « dormeur du val » n’avait pas deux trous rouges au côté droit, mais un seul dans le ciboulot, et il reposait dans la camomille et non dans le frais cresson bleu, si rare sous nos latitudes soumises à un implacable climat semi-aride. »

Le cadavre  n’est autre que celui de Jean-Lucien de Ponterne, directeur de la clinique « des Acacias » , impliquée dans une série d’erreurs médicales laissant handicapés à vie de jeunes et prometteurs sportifs, dont le procès commence ce matin à Marseille. Clovis se trouve naturellement intéressé par l’affaire, un grand quotidien parisien l’ayant engagé pour couvrir ce procès.

Deux jours après, Élodie, infirmière en chef aux « Acacias » et accessoirement ancienne maîtresse de Clovis, inquiète de la disparition de son amant Paul Herminasse, chirurgien dans cette même clinique vient solliciter son aide. Emma Govgaline, lieutenant de police et maîtresse occasionnelle de Clovis, est chargée de l’enquête et nul besoin de dire qu’entre ces deux sources, Clovis va trouver matière à glaner toutes les informations relatives à son reportage.
Viennent se greffer à cette affaire déjà compliquée, des rumeurs sur un « ange de la mort » qui soulagerait ses semblables de leurs souffrances.
Clovis va devoir jouer serré, et payer de sa personne pour démêler ces sacs de nœuds, pris dans un triangle amoureux qui le laisse parfois sur les rotules, afin de venir au bout de cette enquête.

En plus de Clovis l’ex-reporter un peu usé que son penchant pour la mauresque me rend déjà sympathique, et d’Emma, la fliquette androgyne, lesbienne au look gothique, des personnages de ce roman que les habitués de l’auteur connaissent déjà, Élodie nous offre une savoureuse composition dans un rôle de cagole particulièrement réussi.

Comme souvent, Maurice Gouiran se saisit de thèmes d’actualité, pour en faire la matière de ses romans. Dans ce cas, il s’agit de la lutte pour le contrôle de cliniques, représentant une manne financière non négligeable, dans la recherche de la rentabilité à tout prix. Le risque étant de voir une baisse de qualité des soins, et le but recherché un enrichissement facile et rapide.
Il évoque également le problème de l’évasion fiscale, les relations troubles entre le milieu du banditisme et celui des affaires, voire de la politique.

Malgré la gravité du sujet abordé, j’ai trouvé cet ouvrage d’un ton plus léger et plus enjoué que certains autres romans de l’auteur, sûrement dû à la présence alternée des deux jeunes femmes dans ses journées et ses nuits, et les séquences en chambre, décrites avec beaucoup d’humour, qui ponctuent cette enquête.

L’auteur, natif du Rove, met en vedette une ville et une région qu’il connaît bien, et nous décrit avec beaucoup de poésie les parfums de la garrigue, le charme des drailles arides et des baous. Il met également beaucoup de chaleur dans ses descriptions de Marseille.
« Les pêcheurs étalaient leurs prises miraculeuses: les dorades encore vives voisinaient avec les maquereaux, les rascasses, les saint-pierre, les roucaous, les bonites…Ils proposaient même des cigales de mer, ce matin-là. Je me suis attardé pour goûter chaque scène de la vie du petit port. »
L’intrigue, devrais-je dire les intrigues, sont compliquées à souhait et nous donnent maintes occasions de nous activer les neurones pour dénouer l’écheveau, entre jeux de pouvoir et d’influence et, plus trivialement, appât du gain.

Et toujours cette langue qui a les parfums du Midi, cet « assent » qui accompagne la lecture de cette histoire, entre cagoles, bordilles et cacous, prompts à foutre le ouaille ou créer des engambis. Histoire, selon les propres mots de l’auteur, « dans laquelle les parfums de garrigue sont pollués par de sales relents d’anesthésiques. »
Vraiment une très agréable lecture que ce roman, même si je le classe un ton en-dessous des excellents « Franco est mort jeudi » et « L’hiver des enfants volés », de ce même auteur, qui semble s’être octroyé avec ce titre une sorte de récréation.

Éditions Jigal Polar, 2013

L’auteur :

gouiran-maurice
Maurice Gouiran
est un écrivain français né le 21 mars 1946 au Rove (Bouches-du-Rhône), près de Marseille, dans une famille de bergers et de félibres.
Il passe son enfance dans les collines de l’Estaque, avant d’effectuer ses études au lycée Saint-Charles et au lycée Nord de Marseille, puis à la Faculté, où il obtient un doctorat en mathématiques.
Spécialiste de l’informatique appliquée aux risques et à la gestion des feux de forêts, il a été consultant pour l’ONU. Il enseigne également à l’université.
Depuis 2000, il a écrit de nombreux romans policiers, dont plusieurs ont été primés.