Richard Wagamese – Jeu blanc

Fortement inspiré de l’histoire même de l’auteur, ce roman raconte l’histoire de Saul Cheval Indien, jeune indien Ojibwé.
Son enfance est déjà oblitérée par le système avant même qu’il intègre le pensionnat indien de St Jérôme en 1961, à l’âge de 8 ans. Ses parents sont des « survivants » de ces pensionnats.
« Ce spectre se voyait chez d’autres adultes, mon père, ma tante et mon oncle. Mais c’est chez ma mère que sa présence nous effrayait le plus.
– « Le pensionnat, chuchotait-elle dans ces moments-là. Le pensionnat. » »
Sa mère s’était à ce point repliée sur elle-même que, « pour le monde extérieur, elle cessait parfois d’exister. »

Une fille, Rachel, leur ayant déjà été enlevée pour  un de ces pensionnats, les parents emmènent Saul et son frère ainé Benjamin dans la forêt, vers le « lac de Dieu », pour vivre de la terre avec un oncle et leur grand-mère.

« Keewatin. C’est le nom du vent du nord. Les Anciens lui donnaient un nom parce qu’ils voyaient en lui un être vivant, une créature comme les autres. Le Keewatin prend naissance à la lisière des terres sans arbres et serre le monde entre ses doigts cruels, nés dans le sein glacé du pôle Nord. Le monde ralentit peu à peu son rythme afin que les ours et les autres créatures qui hibernent remarquent l’inexorable progression du temps. Cette année-là, cependant, le froid est descendu rapidement, à la façon d’une gifle, soudaine et vengeresse. »

En dépit de toutes leurs précautions, Benjamin finit par être enlevé et conduit au pensionnat. Quelques années plus tard, il s’en échappe pour venir retrouver les siens mais, malade de la tuberculose, il meurt peu de temps après.
Saul, se retrouve seul dans les bois avec sa grand-mère, après le départ de ses parents, pour une brève parenthèse de bonheur, qui prendra fin lorsque la vieille femme meurt de froid.  Livré à lui-même, Saul est envoyé à St Jérôme.

« … Là, à l’abri, ma grand-mère aurait trouvé un moyen de me garder près d’elle.  À la place, elle était partie. Morte de froid pour me sauver. Et je suis à mon tour parti à la dérive sur une nouvelle et étrange rivière. »

Saint-Jérôme était une institution religieuse dédiée non pas à aider les enfants, mais à les formater  en s’efforçant de couper tous les liens les rattachant encore à leur indianité, et les convertir à la langue et à la religion des «Zhaunagush», les hommes blancs. Il leur était interdit de parler leur langue, sous peine de sévères punitions. Les élèves en ressortaient brisés, certains acculés au suicide.
Dans cet enfer, l’espoir viendra pour Saul par la personne du père Leboutilier, un jeune prêtre qui entraîne l’équipe de hockey. Saul va révéler des possibilités étonnantes pour ce sport, une technique de patinage hors du commun, et une vision instinctive du jeu, quasiment surnaturelle. Son obstination et sa volonté de progresser pour maîtriser son art peuvent lui laisser espérer l’accès aux ligues majeures.
Il sera bien vite confronté au racisme, aux insultes, et au refus des blancs de laisser les indiens s’approprier ce qu’ils considèrent comme LEUR sport. Il finira par abandonner le hockey, qui était devenu sa raison de vivre, pour partir dans une longue errance à travers le pays.

La prose de Wagamese, d’une grande force d’évocation, nous plonge dans la culture amérindienne et les paysages glacés du Nord, où l’homme est en relation étroite avec la nature. Des bancs du pensionnat jusque sur la glace des patinoires, il nous fait ressentir avec force les humiliations subies par Saul, et au-delà par les Indiens en général.

Richard Wagamese  a beaucoup écrit sur l’impact terrible qu’ont eu ces écoles sur leurs anciens élèves,  la douleur et les blessures endurées par les victimes,  qu’elles transmettent souvent à leurs propres enfants. Les parents de l’auteur ont eux-mêmes survécu au système scolaire du pensionnat, mais en sont sortis tellement abîmés par les abus dont ils ont été témoins et qu’ils ont subis, qu’ils n’ont pas été capables d’élever eux-mêmes leur fils.
Les dommages causés par ces pensionnats aux jeunes indiens qui les ont fréquentés, et qui y ont survécu, sont absolument terrifiants. Dans la bouche de Saul, ils représentaient « l’enfer sur terre ». Ils sont la résultante d’un système qui avait pour but de gommer toute leur identité indienne.

Dans ce roman, sombre et émouvant, à mi-chemin entre récit initiatique et chronique sociale, Richard Wagamese s’attaque de front à cet héritage, faisant revivre de manière très réaliste, et en même temps empreinte d’une grande sensibilité, un pensionnat indien d’une nature difficilement imaginable dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Peuplé de personnages forts et vrais, c’est également un implacable réquisitoire sur un racisme institutionnalisé, à une époque pas si lointaine, mais aussi, selon les propres mots de l’auteur, un roman sur « la rédemption, la guérison et l’espoir ». Dans le même temps, c’est une célébration enthousiaste du sport national canadien.
Un excellent moment de lecture, je recommande chaudement…

Éditions ZOÉ, septembre 2017

Éditions XYZ, sous le titre « Cheval Indien », 2017

4ème de couv:
Voici l’histoire de Saul Indian Horse, un jeune Ojibwé qui a grandi en symbiose avec la nature, au cœur du Canada. Lorsqu’à huit ans il se retrouve séparé de sa famille, le garçon est placé dans un internat par des Blancs. Dans cet enfer voué à arracher aux enfants toute leur indianité, Saul trouve son salut dans le hockey sur glace. Joueur surdoué, il entame une carrière parmi les meilleurs du pays. Mais c’est sans compter le racisme qui règne dans le Canada des 70’s, jusque sur la patinoire. On retrouve dans Jeu blanc toute la force de Richard Wagamese : puisant dans le nature writing et sublimant le sport national canadien, il raconte l’identité indienne dans toute sa complexité, riche de légendes, mais profondément meurtrie.

L’auteur:
Richard Wagamese (1955-2017) est l’un des principaux écrivains indigènes canadiens. Appartenant à la Nation des Ojibwés, originaires du nord-ouest de l’Ontario, il est devenu en 1991 le premier lauréat amérindien d’un prix de journalisme national et a été régulièrement récompensé pour ses travaux journalistiques et littéraires. Après Les Étoiles s’éteignent à l’aube, Jeu blanc (paru au Canada en 2012) est son deuxième roman traduit en français, et est fortement inspiré de sa propre histoire.

James Lee Burke – Lumière du monde

A la suite des événements qui ont failli lui coûter la vie, Dave Robicheaux, Molly, et leur fille Alafair sont venus se reposer dans les montagnes du Montana, loin des bayous de Louisiane. Sont également du voyage son ex-partenaire à la brigade des homicides et ami de toujours, Clete Purcell et sa fille Gretchen, dont nous avons fait la connaissance dans « Créole belle ».

A la recherche de paix et de solitude, d’un endroit pour soigner leurs blessures, ils ne trouveront pas ici le calme et le repos escomptés. Lors d’un jogging dans les bois, Alafair manque de peu d’être atteinte par une flèche tirée dans sa direction, ce qui n’est pas le signe le plus encourageant pour des vacances paisibles. Non loin de là elle recontre Wyatt Dixon, un ancien cow-boy de rodéo, qu’elle croit être l’auteur du tir.
En revanche, Dave ne paraît pas convaincu, car d’autres indices concordants semblent plutôt indiquer le mode opératoire d’Asa Surrette, un serial killer qu’Alafair avait interviewé quelques années plus tôt dans une prison du Kansas. Le hic, c’est que Surrette est supposé mort, carbonisé dans l’accident du fourgon cellulaire qui le transportait.

Dans le même temps, Angel Deer Heart, une jeune fille indienne disparue est retrouvée morte quelques jours plus tard, étouffée avec un sac en plastique. C’est la petite-fille adoptive de Love Younger, un grand ponte du pétrole qui a une résidence d’été dans la région. Dans les jours suivants, on déplore d’autres disparitions et d’autres meurtres, comme autant d’indices de la présence maléfique de Surette.

« On essaie de protéger les innocents et de punir les méchants, et on ne réussit bien ni l’un ni l’autre. Pour finir, on adopte les méthodes de nos adversaires, on les balaie de la surface de la terre, et on ne change rien. C’étaient ces mêmes pensées qui m’habitaient quand je suivais une piste nocturne truffée de mines chinoises, près de cinquante ans plus tôt. Si mon vieil ami le sergent était encore de ce monde, je me demandais ce qu’il aurait à dire. Sans doute me dirait-il que la plus grande illusion de l’existence, c’est d’être persuadés que nous pouvons tout contrôler. »

Dave et Clete vont mener leur propre enquête, et bien sûr se heurter aux autorités du coin : un shériff incompétent, des inspecteurs de police ripoux ou tout simplement laxistes qui n’aiment pas que l’on vienne piétiner leurs plates-bandes. Ils paraissent même bien accommodants avec le riche Love Younger. Clete, quant à lui, entame une relation amoureuse compliquée avec Felicity Louvière, la bru du même Younger, qui se trouve au cœur de l’affaire.

Dans ce 20ème épisode, on retrouve, tel qu’en lui-même, le Robicheaux que nous connaissons, avec son passé d’ancien alcoolique et de violence. A lui seul, il a affronté dans sa vie plus de démons que toute une convention d’exorcistes. A ses côtés, Clete Purcell traîne un fardeau tout aussi pesant. Tous deux portent les stigmates, visibles et invisibles, de tant d’années à côtoyer la mort, des rizières du Vietnam aux services de police de la Nouvelle Orléans. Ce sont des hommes courageux, pleins de compassion, qui ont toujours le souci du bien d’autrui et de la justice. Ils sont accompagnés par des seconds rôles de qualité : Molly son épouse, Alafair sa fille et Gretchen, ainsi que des acteurs « locaux » très bien dessinés, comme Felicity Louvière, Asa Surrette ou Wyatt Dixon.

James Lee Burke excelle dans la description psychologique de ses personnages, tant pour mettre en valeur leur humanité, que pour les décrire sous leurs côtés les plus sombres, comme Surrette, le mal à l’état pur, identifié par ceux qui le côtoient par l’odeur qu’il dégage, « la puanteur fécale qui émanait de ses glandes ».

On retrouve chez Burke une certaine dichotomie. Il peut nous asséner des passages d’une noirceur et d’une violence extrême et, l’instant d’après nous offrir des descriptions de la nature très poétiques et d’une grande sensibilité, qui nous feraient rêver de vivre les petits matins dans les Bitteroot Mountains.

« Après les crues de printemps, l’eau est d’un bleu-vert, vive et froide, courant en longs rapides parmi des rochers à moitié submergés tout au long de l’année. Les canyons sont à pic, couronnés de sapins, de ponderosas et de mélèzes qui, à l’automne, deviennent dorés. Si l’on écoute attentivement, on entend s’entrechoquer au fond du torrent les cailloux qui produisent un murmure, comme s’ils se parlaient entre eux, ou nous parlaient à nous. »

On a le sentiment que Dave et Clete arrivent au bout de leur longue route, après bien des blessures, autant physiques que morales. Plus encore que le précédent « Créole belle », ce roman, teinté d’un peu de mysticisme, ressemble à leur chant du cygne. Peut-être est-ce aussi une façon de passer le flambeau à la génération suivante, incarnée par Alafair et Gretchen, dont le sourire, comparé à la lumière du monde, donne son titre au roman.
Je finis ce roman, triste à l’idée de ne peut-être pas retrouver ces deux personnages qui ont accompagné ma vie de lecteur depuis plus de vingt ans, et m’ont procuré autant de plaisir.
Et ce fut le cas cette fois encore, une très belle lecture.

Éditions Rivages/Thrillers,  Janvier 2016

En complément, James Lee Burke nous livre ici quelques secrets d’écriture :

http://www.lepoint.fr/livres/sur-la-piste-americaine-2-3-james-lee-burke-sort-de-la-brume-02-04-2016-2029481_37.php

4ème de couv :

En vacances avec sa famille dans le sauvage Montana, Dave Robicheaux est troublé par une succession d’événements étranges qui laissent penser qu’une présence vénéneuse hante ces paysages sublimes. Dans cette vingtième aventure, Dave Robicheaux affrontera son adversaire le plus diabolique.

 

 

L’auteur :

James Lee Burke est né à Houston (Texas) le 5 décembre 1936. Deux fois récompensé par l’Edgar, couronné Grand Master par les Mystery Writers of America, lauréat en France du Grand Prix de littérature policière (1992) et deux fois du Prix Mystère de la Critique (1992 et 2009), James Lee Burke est le père du célèbre policier louisianais Dave Robicheaux.
Sa bibliographie complète ici:
http://www.payot-rivages.net/index.php?id=7&infosauteur=Burke%2C+James+Lee

Emily Fridlund – Une histoire des loups

Madeline est une adolescente de 14 ans. A l’école, personne ne l’appelle par son prénom, mais Linda, ou la Soviet ou la Cinglée. Ces surnoms méchants viennent du fait qu’elle a passé son enfance dans une communauté hippie du nord du Minnesota, maintenant abandonnée par tous ses résidents idéalistes, à l’exception de ses parents. Linda est une énigme pour son entourage, extrêmement sérieuse, dépourvue de l’insouciance joyeuse des autres enfants.
« Mes parents ne possédant pas de voiture, voici comment je rentrais chez moi lorsque je loupais le bus. Je marchais six kilomètres sur l’accotement déneigé de la Route 10, puis je tournais à droite sur Still Lake Road . Un kilomètre et demi plus loin, il y avait un embranchement. A gauche, la route longeait le lac, à droite, elle s’enfonçait dans une colline non déneigée. C’est là que je m’arrêtais pour rentrer mon jean dans mes chaussettes et réajuster les poignets de mes moufles en laine. En hiver, les arbres se détachaient contre le ciel orangé, pareils à des veines. Le ciel entre les branches ressemblait à un coup de soleil. Il me fallait marcher vingt minutes dans la neige et les sumacs avant que les chiens m’entendent et aboient, tirant sur leurs chaînes. »

Cette étrangeté, elle la doit à l’éducation reçue de ses parents, derniers survivants d’une secte oubliée, passés de la mouvance hippie à une profonde dévotion chrétienne, comme pour expier leurs fautes passées. Ce n’est pas facile pour elle de s’intégrer dans le monde qui l’entoure.

« Sans prononcer le moindre mot, Lily donnait aux gens l’impression d’être encouragés, bénis. Elle avait des fossettes aux joues, ses tétons pointaient comme deux signes de Dieu sous son pull. J’avais la poitrine plate, j’étais aussi quelconque qu’une planche. Je donnais aux gens l’impression d’être jugés. »

Ces quelques phrases résument tout le mal-être adolescent dans lequel se trouve Madeline. Elle a l’impression d’être transparente, et elle a bien peu d’estime pour sa propre personne.

Deux évènements vont chambouler sa morne existence : L’arrivée au collège de M. Grierson, professeur d’Histoire-Géographie va la sortir de sa coquille en l’incitant à participer à l’Odyssée de l’Histoire, et présenter son exposé sur « L’histoire des loups ».
Elle effectuera une bien timide tentative de séduction envers ce professeur qui, à la rentrée suivante sera renvoyé pour avoir eu une présumée relation avec une camarade de classe de Mattie.

L’autre fait marquant de cet été se passe de l’autre côté du lac : un jeune couple accompagné d’un petit garçon vient de s’installer. Pour Mattie, qui passe beaucoup de temps à les observer au travers de ses jumelles, ils sont l’image de la famille idéale. Peu à peu, elle va oser se rapprocher et passer un peu de temps avec eux, pour ensuite être engagée comme baby-sitter.
Patra, la très jeune maman de Paul, un garçonnet de 4 ans, travaille à la maison pour relire et corriger les travaux de son mari, professeur d’université.
Tous deux sont profondément impliqués dans la Science Chrétienne.
Patra est une jeune femme pleine de fantaisie, qui s’éteint complètement en présence de son mari, professeur d’université et astronome, qui cite les Écritures à tout bout de champ, citations que répète le petit Paul, comme un perroquet.
La famille de Mattie est aussi un peu étrange : sa mère, qui va à l’église deux à trois fois par semaine, lui impose régulièrement des simulacres de baptême.
Entre présent et passé, dans un savant désordre, les chapitres alternent, décrivant la vie de Mattie à différentes époques et en différents lieux.

Il n’y a pas à proprement parler de suspense dans ce roman. Dès les premières pages, nous apprenons que le petit Paul va, et qu’il y aura un procès. La seule interrogation qui vaille est de savoir ce qui va conduire à cette issue. Là réside tout le talent de l’auteure, de nous conduire pas à pas vers ce dénouement.

Le style de l’auteure est généreux et précis, son histoire marquée par la morosité est d’une grande force émotionnelle. Elle sait comment créer une atmosphère maussade, dans un paysage gris et la froideur de l’environnement s’infiltre jusque dans ses mots. Elle se glisse aisément dans la peau d’une adolescente malheureuse et nous révèle comment la négligence et l’isolement peuvent marquer un enfant pour la vie.

Pour ce roman sur la difficulté du passage à l’âge adulte, Emily Fridlund a construit un personnage marquant, émouvant et dérangeant, qui accompagnera longtemps le lecteur.
Ce premier roman, puissant et profond, nous révèle une écrivaine de talent, à suivre assurément.
Editions Gallmeister, 2017

En partenariat avec :
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4ème de couv :

Madeline, adolescente un peu sauvage, observe à travers ses jumelles cette famille qui emménage sur la rive opposée du lac. Un couple et leur enfant dont la vie aisée semble si différente de la sienne. Bientôt, alors que le père travaille au loin, la jeune mère propose à Madeline de s’occuper du garçon, de partager ses après-midi, puis de partager leurs repas. L’adolescente entre petit à petit dans ce foyer qui la fascine, ne saisissant qu’à moitié ce qui se cache derrière la fragile gaîté de cette mère et la sourde autorité du père. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Troublant et poétique, best seller dès sa parution aux Etats-Unis, le premier roman d’Emily Fridlund a été acclamé par la critique.

L’auteure :

Emily Fridlund, écrivaine américaine, a grandi dans le Minnesota, où se déroule l’action de son roman. Elle vit actuellement dans la région des Finger Lakes dans l’État de NewYork. Titulaire d’un doctorat en littérature et creative writing de l’université de Californie, professeur à Cornell, elle a remporté plusieurs prix pour ses écrits publiés dans diverses revues et journaux.
Une histoire des loups est son premier roman.

Craig Johnson – Molosses

« J’avais du mal à obtenir une réponse claire de la part du petit-fils et de son épouse : pour quelle raison leur grand-père s’était-il retrouvé attaché au bout d’une corde de nylon de 35 mètres de long au pare-chocs arrière de l’Oldsmobile Toronado de 1968 ?
– — Alors, lorsque vous avez freiné au stop, il s’est écrasé contre l’arrière de la voiture ?»

Sixième roman de la série mettant en scène le shérif Walt Longmire, cet opus  démarre d’une façon plutôt inattendue, sur le ton de la comédie. Le grand-père au bout de la corde de nylon est Geo Stewart, propriétaire de la casse automobile et de la déchetterie ou, comme il aime à le rappeler, du Site municipal de dépôt, tri et récupération des déchets. Geo Stewart est en conflit de voisinage avec Ozzie Dobbs Jr, qui voudrait bien obtenir le déplacement de la casse et de la déchetterie pour étendre son complexe immobilier.

« On ne l’appelait pas un projet immobilier, mais c’en était un effectivement – si on acceptait cette appellation s’agissant de petits ranches de deux hectares avec des demeures à quatre millions de dollars disposées le long d’un golf. »

Dans le même temps, le shérif Longmire est appelé à la déchetterie, pardon, au Site Municipal de dépôt, tri et récupération des déchets, car on vient de retrouver là bas, dans une glacière, un pouce humain.

Walt confie à son adjoint Sancho Saizarbitoria, dit « Le Basque », la mission de retrouver le propriétaire de ce pouce. C’est une manière pour Walt de l’occuper car Sancho traverse une passe difficile depuis qu’il a été blessé lors de l’épisode précédent. Walt soupçonne qu’il est atteint de SSPT (Syndrome de stress post-traumatique). De plus la venue d’un nouveau né à son foyer le perturbe quelque peu.
Côté sentimental, son adjointe et compagne, la piquante Vic Moretti est obsédée par l’achat d’une maison, pour y abriter leur couple. Sa fille Cady prépare son mariage avec Michael Moretti le jeune frère de Vic, sous la houlette d’Henry Standing Bear, l’ami indien de Walt, comme maître de cérémonie (je suis impatient de voir ça !).
Ajoutez à tout ça la découverte dans un tunnel, sous la maison de Dobbs, de « ce qui était, semble-t-il, la plus grande plantation souterraine de marijuana de l’histoire », vous conviendrez avec moi que Walt ne manque pas de sujets de préoccupation.

A chaque fois que je retrouve Walt Longmire, je suis toujours partagé entre deux sentiments : le plaisir de retrouver un ami, et l’inquiétude de savoir comment les années ont passé sur lui. Car, ne nous y trompons pas, Walt n’est plus un jeune homme, et on le retrouve dans ce roman, encore plus cabossé que dans les précédents. Il doit passer des examens médicaux qui doivent confirmer son aptitude à poursuivre son travail, et qu’il essaye d’éviter en usant de tous les prétextes possibles.

Comme toujours chez Craig Johnson, l’écriture est précise et imagée, le ton est chaleureux. On sent de la part de l’auteur une réelle empathie envers ses personnages, même s’il les place parfois dans des situations bien délicates. Outre les personnages habituels de la série, parmi lesquels « le Basque » tient un rôle de premier plan sur cette enquête, on fait la connaissance de « figures » locales de Durant, hautes en couleur et sûrement inspirées par des personnes connues de l’auteur, comme Geo Stewart ou Madame Dobbs, la vieille institutrice de Walt.

Roman policier ou roman western, je me pose à chaque fois la même question. Et s’il est vrai que l’enquête policière a toujours son importance dans le roman, ce qui retient finalement l’attention, c’est sa manière de décrire les grands espaces des hautes plaines de l’Ouest américain, la poésie avec laquelle il nous dépeint son univers, qu’on arrive à trouver beau même lorsqu’il est franchement hostile.

«Nous étions sur le point d’entamer notre seconde semaine de résistance à des températures inférieures à -20 °C, pour la troisième fois de l’hiver ; pendant la journée, elles ne dépassaient jamais un clément -15 °C, soit une température assez douce, et la nuit, elles descendaient à des profondeurs abyssales, en deçà de -40 °C…
On était lundi, la deuxième semaine de février, et les gens parlaient moins, parce que le vent leur arrachait les paroles de la bouche et les expédiait directement jusqu’au Nebraska. J’avais une image de toutes les déclarations et conversations inachevées du Wyoming, empilées le long des talus jusqu’à ce que la neige les étouffe et qu’elles s’enfoncent dans la terre noire. Peut-être renaissaient-elles au printemps comme les fleurs des champs, mais j’en doutais. »

Au fil de ses aventures, Walt m’émeut chaque fois un peu plus. C’est un homme vieillissant, qui malgré les aléas de la vie, continue à aller de l’avant. Et même si ce n’est pas toujours facile, il se lève tous les jours pour accomplir sa mission.

Craig Johnson est un maître conteur qui, dès les premières phrases, vous captive et vous entraîne à la suite de ses héros jusqu’à la toute fin du récit. J’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman, souvent teinté d’humour, qui m’a encore donné l’occasion d’un très bon moment de détente.
Éditions Gallmeister, 2014

4ème de couv :

Alors que l’hiver s’installe dans le comté le moins peuplé de l’État le moins peuplé des États-Unis, Walt Longmire, son shérif, se voit confier une curieuse mission : celle de mettre la main sur le propriétaire d’un pouce abandonné à la décharge. L’enquête devient rapidement haute en couleur, car Walt se trouve face à deux molosses qui gardent le terrain, à son vieux propriétaire loufoque et à un promoteur immobilier multimillionnaire qui cherche à prendre possession des lieux pour étendre son vaste ensemble de ranchs luxueux. Sans parler d’un jeune couple fleurant bon la marijuana, de la vieille institutrice au charme incontesté, du perroquet dépressif et déplumé et de quelques cadavres qui bientôt viennent compliquer cette affaire.

L’auteur :

Craig Johnson, né le 1er février 1961, est un écrivain américain, auteur de romans policiers, connu pour sa série de romans et de nouvelles consacrés au shérif Walt Longmire.
Avant d’être écrivain, il exerce différents métiers tels que policier à New York, professeur d’université, cow-boy, charpentier, pêcheur professionnel, ainsi que conducteur de camion et il a aussi ramassé des fraises. Tous ces métiers lui ont permis de financer ses déplacements à travers les États Unis, notamment dans les États de l’Ouest jusqu’à s’installer dans le Wyoming où il vit actuellement. Toutes ces expériences professionnelles lui ont servi d’inspiration pour écrire ses livres et donner ensuite une certaine crédibilité à ses personnages.

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Matthew F. Jones – Une semaine en enfer

Il suffit d’un instant pour changer le cours d’une vie. John Moon est un gars qui n’a pas de chance. Il vit seul dans une vieille caravane dans les bois. Depuis que sa femme l’a quitté, emmenant son fils avec elle, il se cantonne à des petits boulots. Il supporte mal de vivre ainsi sur les terres qui jadis appartenaient à sa famille, avant que son père ne soit ruiné.

Alors qu’il braconne, sur les traces d’un cerf qu’il a blessé, John Moon entend un bruit dans un fourré et, instinctivement, il tire. Derrière le buisson, au lieu du cerf qu’il visait, gît le corps d’une très  jeune femme, morte, la poitrine trouée par une balle. Il découvre près d’elle un sac rempli de dollars, et sur elle une lettre adressée à une amie.  Un terrible dilemme s’impose donc à lui : doit-il déclarer l’accident, et reconnaître ainsi son délit de braconnage ? Ou bien prendre l’argent et ignorer sa responsabilité dans la mort de la fille ? Moon fait son choix : il cache le corps et prend l’argent.
A partir de ce moment, John Moon, le chasseur, est devenu la proie.

La lettre qu’il a trouvée sur la jeune femme la rend plus présente à ses yeux, et renforce son sentiment de culpabilité. Chacune des décisions qu’il prendra par la suite, vont le précipiter au-devant de problèmes, dans une sorte de fuite en avant. En pensant faire pour le mieux, il accumule les mauvais choix.

« John se méfie de ses propres pensées. Il se sent mal à l’aise, comme si en ce premier jour entier de sa nouvelle vie il ne s’était pas encore habitué à une autre façon de penser. Il suspecte tous ceux qui le regardent de deviner qu’il dissimule un sombre secret. Dans son esprit, il n’arrête pas de revoir l’éclair marron et blanc qui était la fille morte, l’herbe aplatie qu’il a remarquée sur la route avant de lui tirer dessus, puis la pelle-pioche contre la paroi de la carrière. »

Le personnage de Moon est assez complexe. C’est une vraie calamité : chacune de ses initiatives, même la plus anodine, enchaîne des réactions catastrophiques. C’est un perdant qui, jusqu’à ce jour, a subi les évènements, davantage spectateur qu’acteur de sa vie.

« Tout à coup, il est furieux contre la fille morte de lui faire voir qu’il est aussi lâche que la majeure partie de l’humanité. Il arrête de marcher et se touche le front du revers de la main. On dirait de la viande à température ambiante. « Tu es morte et moi pas, lui dit-il. Et je veux pas aller en prison, d’accord ? »
Il évolue entre le rêve et l’instant présent, vivant son cauchemar dans sa chair autant que dans son esprit enfiévré. On se demande toujours quel est le sentiment qui prédomine chez lui, entre la moralité induite par son sentiment de culpabilité, ou bien sa cupidité.

L’auteur a le talent de nous faire accueillir favorablement  chacune des mauvaises décisions de John. Son entêtement à se foutre dans la merde finit par générer une certaine sympathie à son encontre, lui qui cherche son chemin vers la rédemption.

La narration est fluide, l’auteur passe avec brio de la réalité au fantasme. Incroyablement sombre, et parfois déprimant, il y a peu de lumière dans ce roman particulièrement noir.
« Il rêve d’incendie, d’hectares de flammes orange aussi hautes que les arbres qu’elles dévorent. D’une conflagration, attisée par un vent violent. D’un pan de montagne entier s’élevant comme une chandelle romaine. D’un brasier qui anéantit les plantes, les animaux, les humains ; infeste l’air de son souffle ; soulève la terre ; transforme les chairs en fumée et les os en cendres ; n’épargne aucune vie, grande ou petite. Après l’incendie, sur le champ calciné de Dieu, ne s’étend plus qu’un silence de mort. »

L’ambiance de ce roman, la galerie de personnages secondaires très disparates, parfaits archétypes de « rednecks » de cambrousse, ainsi que l’omniprésente nature,   m’ont fait penser à maintes reprises au film « Deliverance » de John Boorman. On y trouve la même noirceur, la même sauvagerie et la même déréliction.

Dans la lignée des grands écrivains de « nature writing », Matthew F. Jones signe là un roman âpre et sauvage, un mélange puissant d’amour et de violence, d’une sombre flamboyance. Un très bon moment de lecture.

Éditions Denoël, 2013

4ème de couv :
Une-semaine-en-enfer_6453Abandonné par sa femme et leur jeune fils, John Moon vit dans une misérable caravane en lisière de la forêt, désabusé et aigri : son père, ruiné, a vendu la ferme, et depuis John survit de petit boulot en petit boulot.
Un jour, il part braconner et, croyant tirer sur un daim qui s’enfuit à travers les bois, il abat une jeune fille. C’est sa première faute, les autres suivront…
Pourtant, cette fois-ci, John ne se laissera pas faire. Il se lance dans une fuite en avant désespérée, bien décidé à prouver à tous qu’il peut s’en sortir.
Mais depuis quand les losers auraient-ils une seconde chance?

L’auteur :

Matthew F. Jones est écrivain, scénariste et producteur. Né à Boston, il a grandi à la campagne, au fin fond de l’état de New-York.
Son roman « Deepwater » (1999) a été adapté au cinéma en 2005. Il a écrit le scénario du film « A Single Shot » (Une semaine en enfer) d’après son livre (1996), sorti en 2013.
Il est également scénariste de « La mort en sursis », sorti en 2012.
« Une semaine en enfer »  est son troisième roman sur les six écrits à ce jour.