Nicolas Lebel – De cauchemar et de feu

A Paris, en 2016, à quelques jours du dimanche de Pâques, le groupe du capitaine Mehrlicht est appelé sur les lieux d’un crime. Dans un pub parisien, un homme a été abattu de trois balles, une dans la tête et dans les deux genoux. A l’autopsie, son corps recouvert de tatouages celtiques et des lettres IRA.

« Une balle dans chaque rotule… Alors j’ai creusé et j’ai trouvé : c’était la punition des traîtres, des balances, en Irlande du Nord : le knee-capping. Quand le type pouvait remarcher, il boitait pour le reste de ses jours, indiquant par sa démarche à tous ceux qu’il croisait qu’il avait trahi. Dans des cas plus graves, les victimes recevaient aussi une balle dans les coudes et dans les chevilles… puis dans la tête. » 

En plein état d’urgence, et avec la proximité du Championnat d’Europe de football, Mehrlicht fait un peu la grimace. De plus, on vient d’adjoindre à leur groupe une nouvelle stagiaire. Mehrlicht, qui a toujours opposé une vive résistance à l’accueil de stagiaires, lui impose un baptême du feu un peu « hard ».
« Pendant longtemps, la police avait été une histoire d’hommes. Si aujourd’hui il avait toujours un peu de mal à accepter que les femmes y fissent le même travail, Mehrlicht ne pouvait se résoudre à y voir entrer des enfants… Vingt-trois ans ! Tout à son indignation, il ne voyait cependant pas que c’était à cette « enfant » qu’il imposait une autopsie. »

D’autres victimes sont bientôt à déplorer, retrouvées carbonisées par des bombes au phosphore. Et à chaque fois la même signature, un bonhomme bâton, semblable à un dessin d’enfant, et une phrase en gaélique Ná dean maggadh fum (ne te moque pas de moi) comme un jeu de piste que laisse l’assassin. A cause de ce dessin, le tueur est surnomme le Far Darrig, ou bien le Croquefeu, du nom d’un lutin des légendes irlandaises.
Pour cette enquête sur des cellules terroristes irlandaises, ils reçoivent bientôt le renfort du superintendant Mick Tullamore, un expert du contre-terrorisme de Scotland Yard.
Nicolas nous dévide son histoire, alternant le présent à Paris, et l’Irlande du Nord, où cinquante ans plus tôt, une bande de gamins du Bogside, le quartier catholique de Derry, en butte à la ségrégation et aux restrictions des droits civiques, participait aux premiers défilés et manifestations, prémisses d’une violence qui connaîtra son apogée en ce tristement célèbre dimanche sanglant du 30 janvier 1972.

J’ai beaucoup appris sur ce conflit, d’une grande complexité, eu égard au nombre important de factions mises en cause. Didactique sans être barbant, l’auteur nous donne ici une belle leçon d’histoire contemporaine, au travers de l’évolution de ces jeunes gens, au sein de leur époque, et des chemins différents qu’ils seront amenés à prendre. Ses personnages, rencontrés au fil des romans, je les ai retrouvés comme des amis un certain temps perdus de vue, chacun d’eux avec sa propre histoire: le rigide Mickael Dossantos, exalté du code pénal, qui a du mal à se dépêtrer de ses errements de jeunesse, la rousse bretonne Sophie Latour, avec son amoureux « sans-papiers » et bien sûr le capitaine Mehrlicht, petit bonhomme malingre à la figure de batracien et aux dents jaunes, ennemi juré de Julien Lepers, « le « dandy frisottant de France 3 », « l’égérie des mamies », « celui qui, sans ses fiches, n’était rien », était devenu sa bête noire, son ennemi personnel, et la simple évocation de l’Infâme suffisait à déclencher chez Mehrlicht les foudres les plus sombres… »

Ce dernier, s’il peut être par moments odieux, persistant à imposer à tout son entourage la fumée de ses Gitane, cache sous ses dehors abrupts beaucoup d’humanité.
On voit l’évolution de la relation avec son fils, tous les deux éprouvant, de façon différente, le manque de la mère et de l’épouse disparue. A ce propos, il y a deux pages magnifiques sur le travail de deuil, très bien vu et très bien analysé. Elles m’ont laissé les yeux humides et la gorge serrée. Combien le simple rangement d’une armoire peut s’avérer être une épreuve insurmontable.

Nicolas Lebel franchit encore un palier avec ce roman. Son écriture est fluide, agréable à lire, et il conjugue avec bonheur l’humour (voir les saillies verbales qu’il prête à Mehrlicht, et le commissaire Matiblout qui aime citer les présidents de droite, y compris Hollande), et un ton beaucoup plus sérieux lorsque la situation l’exige. Ses chapitres en forme de compte à rebours horaire, donnent à son histoire une sensation d’inéluctable, de catastrophe annoncée.

Héritier naturel de Dard et Audiard, il allie à sa gouaille naturelle une solide connaissance de la langue française. Certaines expressions argotiques m’ont valu de me « creuser un peu le caberlot », pour ma plus grande joie.
Il donne aussi quelques coups de griffe envers les médias, qui dans leur souci de sensationnel et de taux d’écoute, en sont amenés à transformer en vedettes « des petits délinquants arrachés à leur anonyme médiocrité, soudain portés aux nues pour leurs exactions ».

Je vous dirai en conclusion que j’ai pris un très grand plaisir à lire ce roman, un méga kiff, comme disent les « djeuns ». C’est à mon humble avis le roman le plus abouti de l’auteur à ce jour. Je ne peux que vous recommander sa lecture.

M.P : Merci pour ta confiance, Nicolas.

Éditions Marabout, 2017.

Et pour rester dans l’ambiance:

 

4ème de couv :

Paris, jeudi 24 mars 2016 : à quelques jours du dimanche de Pâques, le cadavre d’un homme d’une soixantaine d’années est retrouvé dans un pub parisien, une balle dans chaque genou, une troisième dans le front. À l’autopsie, on découvre sur son corps une fresque d’entrelacs celtiques et de slogans nationalistes nord-irlandais. Trois lettres barrent ses épaules : IRA. Le capitaine Mehrlicht fait la grimace. Enquêter sur un groupe terroriste irlandais en plein état d’urgence ne va pas être une partie de plaisir. D’autant que ce conflit irlandais remonte un peu. Dans ce quatrième opus, Nicolas Lebel nous entraîne sur la piste d’un un assassin pyromane, un monstre né dans les années 70 de la violence des affrontements en Irlande du Nord, qui sème incendie, chaos et mort dans son sillage, et revient aujourd’hui rallumer les feux de la discorde à travers la capitale.

L’auteur :

Nicolas Lebel est linguiste, traducteur et enseignant.
Nicolas Lebel a fait des études de Lettres et d’anglais puis il s’est orienté vers la traduction. Il est parti en Irlande quelque temps avant de devenir professeur d’anglais. Il enseigne aujourd’hui dans un lycée parisien.
Il est aussi l’auteur de :
L’heure des fous (2013)
Le jour des morts (2014)
Sans pitié ni remords (2015)

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Nicolas Lebel – L’heure des fous

10351373_910667805615805_6323786806316521133_n4ème de couv.

Mardi 9 septembre : le cadavre d’un SDF poignardé est retrouvé près de la gare de Lyon, sur une voie désaffectée. Tout semble indiquer qu’il s’agit d’un simple règlement de comptes.
Mehrlicht, capitaine de police au commissariat du 12e arrondissement de Paris, est envoyé sur place pour expédier l’affaire mais, rapidement, certaines zones d’ombre apparaissent : pourquoi ne retrouve-t-on sur la victime le carnet de circulation qui permettrait de l’identifier ? Comment les trois assassins présumés ont-ils pu s’évaporer dans la nature et ne laisser aucune trace de sang sur les lieux du crime ? Pourquoi traînaient-ils leur victime le long des rails ? Où cherchaient-ils à l’emmener ?

Après l’interrogatoire des clochards du quartier, les enquêteurs apprennent que la victime vivait dans la Jungle avant de découvrir que la victime, Marc Crémieux, n’était pas SDF mais journaliste et qu’il menait une enquête auprès de cette communauté de sans-abris installée au coeur du bois de Vincennes devenue une zone de non-droit.

Que voulait à mettre au jour Marc Crémieux ? Pourquoi avait-il en sa possession un fusil de 1866, marqué du sceau de la manufacture impériale de Châtellerault ? Que cherchait-il à propos de Napoléon III ? Dans cette enquête qui la mènera des bancs de la Sorbonne jusqu’aux égouts de Paris, l’équipe du capitaine Mehrlicht découvrira que l’heure des fous a sans doute sonné.

Ce que j’en pense :

Ce capitaine Mehrlicht et son équipe forment un assemblage plutôt original, et c’est le moins qu’on puisse dire. Lui, physique de batracien, grand fumeur, adepte de sudoku, et sous ses dehors vulgaires, d’une grande culture. Le lieutenant Mikaël Dossantos, un mordu du code pénal et des séries américaines d’où il puise son inspiration, acharné à faire respecter la loi et l’ordre, quitte à se permettre quelques écarts, s’ils satisfont à sa vision de ce qui est bien, et dont le lieutenant Sophie Latour a bien du mal à déjouer les avances permanentes. Enfin le stagiaire Ménard, souffre-douleur de Mehrlicht.

Cette équipe va se voir adjoindre la compagnie de la capitaine Zelle de la Police Judiciaire.
Nous avons là tous les ingrédients pour une bonne histoire policière, sur fond de guerre des services.
L’enquête nous conduit dans des lieux typiques de Paris, depuis la Sorbonne, en passant par les catacombes où se trouvait le refuge de la Cour des Miracles.

Le récit est conduit d’une plume alerte, et émaillé de nombreuses références à Audiard, par les citations de Mehrlicht et les sonneries de son mobile qui sont des extraits de films culte du même Audiard. Certains pourront s’en agacer, j’ai trouvé pour ma part que cette note d’humour était tout à fait bienvenue pour faire pendant au côté plus sombre de l’histoire.

« Deux intellectuels assis iront toujours moins loin qu’une brute qui marche »
C’est d’ailleurs cet extrait, tiré d’ »Un taxi pour Tobrouk », qui amènera Mehrlicht vers la solution.

J’ai passé un bon moment de lecture avec ce roman, et compte bientôt me pencher sur « Le jour des morts », du même auteur.