Adam Sarkis, officier du renseignement militaire en Syrie, appartient à groupe de résistance au régime de Bachar el Assad. Un jour il est témoin d’une scène qui confirme l’extermination méticuleuse et organisée des opposants au gouvernement. Dans un hangar, plusieurs centaines de cadavres sont photographiés et enregistrés, pour un macabre archivage. Lorsqu’il voit parmi les cadavres celui d’un de ses camarades résistants, manifestement torturé, il comprend que sa situation risque de devenir vite intenable. Il organise la fuite vers l’Angleterre de sa femme et de sa fille, via la Lybie et la France, en attendant de les rejoindre par la suite.
« Il ne pourrait pas sauver son pays. Seules sa femme et sa fille comptaient à présent. Il allait quitter la Syrie par tous les moyens possibles. Et que ceux qui diraient qu’il aurait pu se battre pour aider son peuple aillent se faire foutre. Ou viennent à sa place, dans ce hangar surchauffé, recenser des suicidés aux pieds brûlés et aux dents arrachées. »
Bastien Miller vient d’être affecté à Calais. Jeune lieutenant de police, il a choisi cette affectation pour rapprocher sa femme dépressive de sa famille.
Lorsqu’enfin Adam arrive à Calais, Nora et Maya ne sont pas encore arrivées dans la jungle. Tous les jours, il se rend à l’entrée du camp, dans l’attente de leur arrivée. Malgré son désir de se faire le plus discret possible, ses réflexes de policier prennent vite le dessus lorsqu’il s’agit de défendre Kilani, un jeune garçon victime d’un viol collectif.
Dans le hall des urgences, Adam, venu déposer Kilani après son agression, croise la route de Bastien. Ces deux hommes, l’un et l’autre père et mari vont être amenés à collaborer et à développer, au-delà de la confraternité professionnelle, une solide estime réciproque, et devenir des amis. Bastien ira même jusqu’à inviter chez lui Adam et Kilani, au grand dam de son épouse.
Olivier Norek nous dépeint de façon très crue et réaliste le quotidien de ce qui fait la jungle. « Comme bloqués entre deux mondes », cohabitent au cœur de ce gigantesque bidonville, nombre de nationalités différentes Il nous décrit les incessantes tentatives des migrants pour rejoindre Youké, leur terre promise, à bord des camions, quitte à poser des barrages pour les ralentir au risque de provoquer des accidents, ce qui ne manque pas d’arriver régulièrement.
« Le sang battait fort à ses tempes, son souffle devint plus court, saccadé, comme si l’air n’était plus respirable. Sa vision se troubla, sa course devint presque aveugle, et lorsque les phares d’un imposant bahut de trente-trois tonnes l’éblouirent, la lumière violente devint flammes, immenses, brûlantes, et tout autour de lui s’embrasa. Il entendit alors les cris provenant des huttes de son village, leurs toits en feu sous un nuage noir de cendres. Le claquement des mitraillettes. Son lac. Le Nil Blanc. Son océan vert en herbe grasse. Il entendit la voix de sa mère l’appeler au loin. « Ayman ! » Il s’écroula, inconscient, sur le bord de la route, sur une herbe jaunie, nourrie aux gaz d’échappement. »
En marge de cette jungle, la ville de Calais où les habitants, même les moins extrémistes, n’en peuvent plus de cette situation, de ce bidonville installé à leurs portes, comme un abcès. Dans cet îlot de misère, même les services de l’État ont du mal à assurer leur mission. Mal équipés, en sous-effectif chronique, elles font ce qu’elles peuvent. De même que les différentes organisations humanitaires, admirables de dévouement.
Ce roman est peuplé de personnages forts : Bastien bien sûr, mais aussi Ousmane le Soudanais, qui prendra Adam sous sa protection, Kilani, le lumineux petit black au sourire désarmant, symbole de tous ces enfants-soldats, arrachés à leur famille et embrigadés pour une cause à laquelle ils ne comprennent rien. Erika, Passaro et les flics qui travaillent avec lui, obligés de se blinder moralement pour arriver à surmonter le quotidien, Jade, la fille de Bastien, adolescente boudeuse, et Manon son épouse dépressive, sortiront à jamais changées par le contact avec Adam et Kilani. Tous ces personnages nous laissent espérer en l’humain.
Comme beaucoup de lecteurs, je me demandais comment Olivier allait négocier le virage «sortie de banlieue». Autant vous le dire tout de suite, il s’en est tiré haut la main. Admirablement documenté, il aborde ce sujet d’actualité avec énormément d’empathie et d’humanité, et donne à ce roman valeur de témoignage.
Avec lui, nous sommes en immersion totale dans la jungle de Calais, plus vivante et plus réelle à nos yeux, loin des reportages de journaux télévisés qui bien trop souvent ne voient que la surface des choses.
Olivier, j’ai personnellement été très touché par la dédicace à ton grand-père, immigré Silésien, et par là à tous les immigrés qui ont vécu un jour le déracinement. Combien il a dû être dur pour toi d’écrire cette histoire !
Ce n’est pas un roman policier que nous avons là, ni même un thriller. L’enquête policière passe au second plan et le roman se centre sur la vie de ces hommes et femmes. C’est un roman social et noir, du noir le plus absolu, avec en conclusion, une petite note d’espoir.
C’est pour moi le plus abouti des ses quatre romans et assurément le plus humain.
Un vrai coup de cœur, une lecture bouleversante et nécessaire.
Éditions Michel Lafon, 2017
Le mot de l’éditeur :
Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l’attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir.
Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu’il découvre, en revanche, c’est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n’ose mettre les pieds.
Un assassin va profiter de cette situation.
Dès le premier crime, Adam décide d’intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est flic, et que face à l’espoir qui s’amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou.
Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu’elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d’ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.
L’auteur :
Né il y a 42 ans à Toulouse, Olivier Norek est lieutenant de Police Judiciaire
Après deux ans dans l’humanitaire, pour «Pharmaciens sans frontières, en Guyane puis en Croatie, en pleine guerre des Balkans, il devient gardien de la paix à Aubervilliers, puis rejoint la Police Judiciaire. Après avoir réussi le concours de lieutenant, il choisit Bobigny au sein du SDPJ 93.
Après « Code 93 » (2013), « Territoires » (2014), « Surtensions » (2016) » « Entre deux mondes » est son quatrième roman.