Mon ressenti:
Dans la ville du Cap, 20 ans après la fin de l’apartheid, derrière les hauts murs d’une villa du quartier huppé de Newlands, à l’ombre de la Montagne de la table, vivent deux familles. Michael Lane, Beverly sa fille et son fils Christopher, star montante du rugby. Dans une petite maison au fond du jardin, vivent Denise l’employée de maison et sa fille Louise. Leur fils Lyndall, depuis des problèmes de drogue, a été banni de la propriété.
Une nuit, Michael est réveillé par des cris et surprend son fils en train de frapper à mort, dans une scène d’une rare sauvagerie, une jeune fille qu’il avait ramenée à la maison. Sur le point de téléphoner à la police, sa femme l’en empêche et décide de faire accuser à sa place Lyndall.
« Trois croix sont plantées dans le sol près du tronc. Leur bois a pourri et l’une d’elles est presque tombée. Vingt ans plus tôt, elle étaient neuves et blanches, et chacune portait une inscription.Des noms effacés depuis longtemps, mais restés à jamais gravés dans sa mémoire: Errol, Petunia et Petit Brandon…. C’est à cause de ces croix que Lane a fait tout ça, une sorte de sparadrap pour panser sa culpabilité.«
La faiblesse de Michael, qui cède à la volonté de sa femme Beverly, comme lors d’un autre drame survenu 20 ans plus tôt est, en opposition à la force de Louise, fille métisse de l’employée de maison, le moteur de cette histoire. Louise, qui a eu par le passé un aperçu du caractère violent de Chris, a compris dès le début que son frère ne pouvait avoir commis ce meurtre.
Et la question qui se pose est de savoir jusqu’où sera-t-elle prête à aller pour lui, quels sacrifices sacrifices sera-t-elle prête à consentir pour rétablir la vérité ?
Ce meurtre implique les deux familles, les sépare, aspirées dans une spirale de culpabilité, de souffrance et de vengeance qui finira par les détruire toutes les deux.
Ce cinquième roman de Roger Smith explore le thème de la culpabilité, de la vengeance, de la lâcheté et de la recherche d’une impossible rédemption. L’auteur dépeint une société Sud-Africaine divisée, gangrenée par le racisme, la pauvreté et la corruption. Il nous parle sans fards de son pays, de ses tares, du « tik » omniprésent, de la prostitution, de l’insécurité de certains quartiers où la simple lueur de l’écran d’un téléphone portable vous désigne comme une victime en puissance.
D’après le Centre d’Etude sur la Violence et la Réconciliation, l’Afrique du Sud n’est pas seulement accablée par une subculture de violence et de criminalité, elle se caractérise aussi par une « culture de violence » basée sur une tolérance généralisée et normative de la violence »
Et l’auteur de s’interroger : « Si ces hauts murs électrifiés, protégés par des sociétés de sécurité, n’étaient pas là pour empêcher le mal et le danger d’entrer, mais simplement pour contenir à l’intérieur tout ce mal et cette noirceur ? »
La psychologie des personnages est très complexe : Louise prise en étau entre deux mondes, celui des Flats et celui des blancs qu’elle a pu entrevoir, comme Alice en passant de l’autre côté du miroir. Michael, qui traîne sur la conscience depuis 20 ans, un accident ayant causé la mort d’une famille. Beverly, femme machiavélique d’une noirceur d’âme peu commune, qui s’imagine que la couleur de sa peau et sa richesse lui permettent tout, même l’innommable. Christopher le fils est à l’image de sa mère, avec la force physique en plus.
C’est peut-être à travers le personnage de Louise que le roman prend tout son sens : Petite fille métisse élevée avec des blancs, elle a été dans des écoles de blancs, elle a longtemps caressé l’espoir d’être comme eux, mais au bout du compte au terme de l’histoire, elle sera ramenée à sa condition première, et sa soif de vengeance va absorber toute son humanité
Le style de l’auteur est du genre « coup de poing ». Très cinématographique, il nous décrit d’une manière très visuelle, des scènes d’une violence extrême sans rien édulcorer. Le rythme est moins échevelé que dans ses précédents romans, mais l’intensité dramatique est maintenue, de façon continue jusqu’au final, inéluctable, et surprenant!!!
C’est à mon avis le roman le plus noir de l’auteur à ce jour, à l’intrigue davantage psychologique que policière. Il ne laisse aucune lueur d’espoir, aucune porte de sortie dans cet enfer fermé où chaque meurtre conduit à un autre meurtre, dans une sorte de fuite en avant vers un futur qui ne laisse entrevoir aucune possibilité de rédemption. Il n’y a point de manichéisme dans ce roman, le mal est équitablement réparti entre noirs et blancs.
Il porte un regard très amer sur la société Sud-Africaine, et en un décryptage impitoyable décrit sans complaisance l’échec avéré de la nation Arc-en-ciel rêvée par Mandela, ce « foutu pays », son monde en complète déliquescence.
Un excellent cru que ce « Pièges et sacrifices », que je vous recommande.
Éditions Calmann-Lévy, 2015
Et pour mieux comprendre l’Afrique du Sud, et apprécier à leur juste valeur les romans de Roger Smith, je vous invite à lire ce texte qu’il écrivait pour Télérama, en 2013:
« Foutu pays » L’ Afrique du Sud, par Roger Smith
4ème de couv.
Gonflé aux stéroïdes, le fils de Mike Lane, un riche Blanc du Cap, vient d’assassiner la fille qu’il a ramenée chez lui. Pas question pour sa mère que la police l’arrête et l’expédie à Pollsmoor, une prison dont il n’aurait que très peu de chances de ressortir vivant. Sans vergogne, elle accuse le fils de sa femme de ménage. Faible, Mike ne dit rien. Quant à la police, elle est trop heureuse de résoudre le meurtre et marche dans la combine.
Mais la femme de ménage a aussi une fille… et cette fille, elle, ne lâchera pas tant qu’elle n’aura pas rétabli la vérité. Dans une Afrique du Sud où les rapports Noirs-Blancs sont toujours tendus et où la police n’aime pas trop qu’on mette le nez dans ses affaires, l’histoire risque fort de mal finir…
L’auteur :
Né à Johannesburg, ancien militant de la cause anti-apartheid (sa femme est noire et originaire des Flats), partage aujourd’hui son temps entre Le Cap et la Thaïlande.
Il est producteur, réalisateur et auteur de scénarios.
« Pièges et sacrifices » est son 5ème roman traduit en français.