Mör, en suédois, adjectif qui signifie tendre, s’appliquant à la viande. Cet extrait du prologue devrait vous donner une idée de ce qui vous attend au long des pages de ce nouvel opus mettant en scène Emily Roy, la profileuse québécoise, et l’écrivaine Alexis Castells, rencontrées dans « Block 46 »…
« Lobes à ma façon
Trempez les lobes dans deux jaunes d’œufs battus.
Panez avec une chapelure de pain de mie.
Faites frire dans du beurre persillé.
Servez accompagné d’une purée à l’huile d’olive. »
En Suède, sur les berges de Torvsjön, près de Falkenberg, le corps d’une jeune femme est découvert nu et affreusement mutilé, exposé dans une macabre mise en scène. Karla Hansen, de la police d’Halmstad, est appelée sur les lieux.
« Une fille nue était assise par terre, adossée au tronc mort, les jambes écartées, les bras de part et d’autre de son corps, paumes vers le ciel. Sa tête était penchée en avant et son menton, plissé par la pose, touchait presque sa poitrine. Séparés par une raie médiane, ses longs cheveux blonds maculés de boue étaient ramenés derrière les épaules, dégageant ainsi son buste où deux cratères rouge sombre remplaçaient les seins. Le tueur avait également découpé de larges morceaux de chair au niveau des hanches et des cuisses. »
Les caractéristiques de ce meurtre forment la signature particulière de Richard Hemfield, le tueur de Tower Hamlets, interné en hôpital psychiatrique depuis 10 ans. Lors de son arrestation, il avait tué Samuel Garel, le compagnon d’Alexis Castells. Hemfield serait-il innocent, ou bien imité par un « copycat » ? Pourtant certains éléments de la signature ont été tenus secrets.
Alexis se refuse à croire en l’innocence de Hemfield. Elle ressent sa culpabilité comme une évidence, dans toutes les fibres de son corps.
Dans le même temps à Londres, Emily Roy est appelée en consultation sur un cas de disparition inquiétante : l’actrice Julianne Bell a disparu. L’exploitation des bandes des caméras de surveillance, omniprésentes à Londres, révèlent qu’à l’endroit où stationnait sa voiture a été abandonné un sachet de congélation contenant les chaussures de la disparue. Ce dernier élément qui faisait partie de la signature de Richard Hemfield, vient confirmer la relation existant entre les deux affaires.
« Richard Hemfield. Hemfield.
Il était partout, où qu’elle regarde ; comme le visage d’une maîtresse qui s’invite jusque dans votre lit. Leur rencontre à Broadmoor, la veille, l’avait fait régresser dans son processus de deuil. Son obsession n’avait pas été apaisée ; au contraire, elle avait été nourrie. Pétrie de haine et de colère, Alexis s’était laissé vampiriser et dévorer par cet homme qui l’avait déjà privée d’un chemin de vie. »
En Suède, l’équipe du commissaire Lennart Bergström, composée des détectives Kristian Olofsson et de Karla Hansen va se voir adjoindre une stagiaire pour le moins inattendue : Aliénor Lindbergh, une autiste Asperger au comportement déroutant, mais d’une redoutable efficacité dans le décryptage de documents et leur interprétation
Au cours de la narration, de fréquents retours en arrière nous conduisent dans le Londres de la fin du XIXème siècle, à l’époque de Jack l’Éventreur. Là débute l’histoire de Freda, une jeune Suédoise exilée à Londres dans l’espoir d’une vie meilleure, confiante en sa beauté pour échapper à la misère et s’élever dans la société. A cette même époque, le misérable et sordide cloaque qu’est le quartier de Whitechapel, est le terrain de chasse d’un certain Jack l’Éventreur.
« Freda suivait Liz en refrénant des haut-le-cœur. Trois mois qu’elle était arrivée en Angleterre, trois mois que Liz la traînait dans des pubs après leur journée de travail. Pourtant, Freda ne s’était toujours pas habituée aux odeurs à vous retourner l’estomac. L’air du Ten Bells était saturé de relents âcres de bière et de gin, de puanteur de vêtements crasseux et de remugles de corps malmenés par de longues journées de labeur. »
Johana Gustawsson applique à ce nouveau roman la même recette, tout aussi savoureuse, que celle utilisée pour « Block 46 » : elle nous balade entre présent et passé, entre Suède et Angleterre, pour notre plus grand plaisir. Les descriptions du Whitechapel de l’époque victorienne ont l’accent de l’authenticité et son évocation très approfondie des meurtres attribués à Jack l’Eventreur témoigne d’un gros travail de recherche.
Parmi les très nombreux personnages, Emily et Alexis gagnent en épaisseur et les « seconds rôles », comme Karla, Aliénor, Lennart ou Olofsson sont traités avec beaucoup de soin. (J’ai bien aimé le personnage de Mado Castells, toute en exubérance méditerranéenne)… L’occasion pour moi de souligner cette ambivalence de Johana, toute en contradictions, entre rigueur nordique et chaleur méridionale.
Le propos est particulièrement sombre, et pourtant il n’y a pas de surenchère dans le gore. Les mutilations des victimes sont évoquées d’un point de vue assez froid, presque clinique. Quelques touches d’humour disséminées ici et là viennent adoucir l’ambiance macabre du récit.
Cette enquête sans temps mort, est servie par une écriture fluide, des chapitres courts qui alternent les personnes et les lieux, donnant au livre son rythme et maintiennent le suspense d’une intrigue tirée au cordeau, jusqu’au dénouement… renversant !
Johana Gustawsson nous concocte ici un thriller diabolique et ténébreux, superbement agencé, et confirme tout le bien que l’on pensait d’elle après son précédent roman. Elle signe ainsi son entrée dans le cercle très prisé des grandes dames du thriller.
A lire, absolument !!!
Editions Bragelonne, 2017
4ème de couv:
Née en 1978 à Marseille et diplômée de Sciences Politiques, Johana Gustawsson a été journaliste pour la télévision et la presse françaises. Elle vit aujourd’hui à Londres, en Angleterre.
Après Block 46, sorti en 2015, Mör est son deuxième roman.