Tony Parsons – Des garçons bien élevés

« Prologue:
Dans ses derniers instants, elle pensa à sa famille qui ne la reverrait plus jamais et – au-delà, comme un chemin aperçu brièvement mais jamais emprunté – elle vit très clairement l’époux quelle ne rencontrerait jamais, ses enfants qui ne naîtraient pas, la vie heureuse et remplie damour qui lui avait été arrachée.
Alors, tandis que son âme s
’éteignait, son dernier soupir fut un cri silencieux de colère et de chagrin pour tout ce quils lui avaient volé, la nuit de sa mort. « 

20 ans après…
Max Wolfe, héros de la brigade antiterroriste, a été décoré pour son action où, ignorant les directives de sa supérieure, il avait neutralisé un terroriste avant que celui-ci n’actionne sa charge explosive.

Père célibataire, il élève seul sa fille Scout âgée de 5 ans, et jongle avec les nécessités du service pour donner à sa fille le cadre d’une vraie famille. Sa femme les a abandonnés, partie un jour pour un autre homme, une autre vie.
Il a une personnalité plutôt individualiste, du genre « loup solitaire » (quand on s’appelle Wolfe !), et a tendance à se fier plus à son propre raisonnement et à ses  intuitions plutôt que de se conformer strictement à la procédure, ce qui lui vaut l’inimitié de sa supérieure, la Superintendante Elizabeth Swire.

Ayant demandé son transfert à la Brigade criminelle, sous les ordres du DCI Mallory, la première affaire qui lui échoit est l’assassinat d’Hugo Buck, un banquier, égorgé et quasiment décapité.
« La gorge du banquier avait été plus que tranchée. Elle était béante. La partie antérieure de son cou avait été découpée proprement, avec une grande précision. Il était allongé sur le dos et on aurait dit que seul un fragment de cartilage grisâtre reliait encore sa tête à son corps. Le sang avait jailli de son cou en larges giclées. Sa chemise et sa cravate se confondaient en une sorte de monstrueux bavoir rougi. »
Les premiers soupçons se portent sur son épouse Natasha, avec qui il avait eu une violente dispute.

Quelques jours après, un SDF est retrouvé mort, égorgé de la même façon.
Les deux victimes ne sont apparemment pas du même monde, mais on retrouve au domicile de chacun d’eux, la même photo de 7 jeunes gens en uniforme : 7 représentants de la bonne société britannique issus de familles riches et privilégiées.

Cette photo date de leur adolescence, lors de leur scolarité à  « Potter’s Field », sorte de pensionnat paramilitaire privé.

Vengeance de classe, ou vengeance de femme battue ? Wolfe n’a pas la moindre piste, contrairement à nous lecteurs qui, après avoir lu le prologue, avons une idée très précise, sinon de l’auteur, au moins de son mobile.
Et lorsque un après l’autre, les membres de ce groupe sont victimes du tueur, apparaît sur Facebook un certain « Bob le boucher » qui revendique ces meurtres.
Wolfe ne croit pas à ces déclarations, et demeure persuadé que la réponse à toutes ses interrogations se trouve entre les murs de Potter’s Field, qui paraissent abriter de bien sombres secrets.
C’est donc dans cette direction qu’il va orienter son enquête, assisté de la jeune inspectrice Edie Wren.

« Pas un mot à la presse, compris ? Jamais. On a des gens pour ça. Nos spécialistes du service médias. Il faut les laisser sen occuper, OK ? Parce que, dès qu’on commence à parler aux journalistes, dès qu’on commence à leur exposer nos petites théories, tous les gentils garçons frustrés par la société dégainent leur iMac, sortent du bois et déversent sur les réseaux sociaux leurs prétendus exploits antisociaux. Et une fois qu’ils ont commencé… une fois qu’ils ont proclamé que Bob le Boucher, c’est eux… alors on doit leur emboîter le pas, traquer leur adresse IP, se pointer chez eux et leur dire qu’ils ont été méchants, très méchants. Bref : on ne parle pas à la presse, nos experts s’en chargent. OK ? ».
Au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête dans les milieux huppés de la bourgeoisie britannique, jusque dans l’antichambre du pouvoir, émerge une critique à l’égard de cette classe sociale de « nantis », de leur morgue et leur dédain par rapport aux classes « inférieures ». C’est également l’occasion de quelques coups de griffes aux média, au travers de la journaliste de tabloïd Scarlet Bush, et autres réseaux sociaux qui s’invitent dans l’actualité et la parasitent.

« Des garçons bien élevés » est le premier volet d’une trilogie policière mettant en scène le Détective Constable Max Wolfe. Pour cette première incursion dans le monde du polar, j’ai l’impression que Tony Parsons s’est  surtout attaché à respecter les « fondamentaux » du genre. Et, ma foi, force m’est de reconnaître qu’il s’en tire plutôt bien. Les différents personnages sont bien dessinés, le récit est rapide, rythmé et bien équilibré, entre les scènes d’action, les scènes d’enquête, et celles où nous voyons Wolfe sous un jour plus attendrissant dans son rôle de père. L’intrigue est intelligemment construite, les indices nous sont dévoilés en temps voulu, avec les nécessaires rebondissements pour maintenir le suspense, jusqu’au dénouement que pour ma part, j’ai trouvé un peu escamoté.

Si les visites au Black Museum, le musée du crime de Scotland Yard ajoutent une vision documentaire sur le travail de la police, elles n’apportent pas grand-chose à l’intrigue.

Il demeure, en fin de lecture, cette impression de trop bien léché. L’auteur aurait sans doute pu lâcher la bride et se laisser aller.
Il n’empêche que ce roman est d’une très agréable lecture, et que cet essai appelle une transformation, que j’attends avec le second volet de sa trilogie « Les anges sans visage ».
Read you soon, Mr Parsons !

Editions La Martinière, octobre 2015

4ème de couv :
garcons-bien-elevesIls sont sept. Ils se connaissent depuis vingt ans, tous anciens élèves de la très prestigieuse école de Potter’s Field. Des hommes venus des meilleures familles, riches et privilégiés. Mais quelqu’un a décidé de les égorger, un à un. Quel secret effroyable les lie ? Sur quel mensonge ont-ils construit leur vie ? L’inspecteur Max Wolfe va mener l’enquête, depuis les bas-fonds de Londres jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Au péril de sa vie.


L’auteur :

Né dans le Comté d’Essex, en Angleterre, Tony Parsons abandonne ses études à l’âge de 16 ans ; les jobs mal payés qu’il enchaîne lui laissent le temps de se consacrer à son seul vrai but : la littérature.
Devenu journaliste, spécialisé dans le punk rock, il traîne avec les Sex Pistols, enchaîne femmes, drogues et nuits sans sommeil.

Dix ans plus tard, changement de vie : il connaît un immense succès mondial avec Man and Boy (Un homme et son fils), Presses de la cité, 2001), publié dans 39 langues, vendu à plus de deux millions d’exemplaires, lauréat du British Book Award.

En 2014, il publie son premier roman policier, « Des garçons bien élevés ».
« Les anges sans visage »
, deuxième volet de la trilogie Max Wolfe, vient de paraître aux Editions La Martinière, en septembre 2016.

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Massimo Carlotto – L’immense obscurité de la mort

Après un braquage qui a mal tourné, Raffaello croupit en prison depuis 15 ans. Lors de ce braquage, shooté à mort, il a abattu froidement un petit garçon de huit ans et atteint sa mère d’une balle dans le ventre. Elle décèdera peu après à l’hôpital. Il n’a jamais dénoncé son complice, qui a pu s’enfuir avec l’argent du braquage.

« C’est tout noir, Silvano. Je vois plus rien, j’ai peur, j’ai peur, aide-moi, c’est tout noir. » Moi aussi, j’aurais voulu hurler jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la mort.

Les derniers mots de son épouse, alors qu’elle est en train de mourir et qu’il lui tient la main, obsèdent Silvano depuis plus de 15 ans.
Alors, lorsque Raffaello, après 15 ans de détention, comme le lui permet la loi italienne, lui demande son pardon pour bénéficier d’une remise de peine, Silvano, scandalisé et choqué, refuse.

Dans un deuxième temps, il acceptera d’accorder son pardon, par le biais d’une lettre ouverte aux journaux, mais pour mieux mettre en place une vengeance terrible et mûrement réfléchie.
Ces quinze ans de solitude, il les a occupés à devenir transparent, il ne supportait plus d’être « le pauvre mari » de la victime, époux et père endeuillé.

« Les seules photos que je gardais près de moi avaient été prises sur le lit en acier de l’institut médico-légal. J’observai le thorax ouvert et saccagé par les bistouris de ma femme et de mon fils. La douleur battit plus fort en moi et un coup monta de l’estomac jusqu’à la gorge, mais de penser que Beggiato était malade ne me fit pas pleurer. Ce pauvre connard pensait que j’étais capable de gestes nobles. Pour pardonner, il faut éprouver des sentiments, avoir une vie. Or, tout ce qui m’était resté, je le tenais là, dans la main. »

Après la libération de Raffaello, Silvano met en place son plan machiavélique, et l’on assiste à la modification des caractères. Le meurtrier, malade du cancer, et qui n’a plus que deux ans à vivre, n’aspire qu’à retrouver son ancien complice, récupérer sa part de butin et finir sa vie au Brésil. Il semble regagner un peu d’humanité, alors que Silvano, prisonnier de sa haine et de sa rancœur, va peu à peu devenir pire que le monstre qui lui a tout pris. Il va s’acharner, sur ses proches, s’octroyant les faveurs sexuelles de la petite amie de Raffaello emprisonné, et ensuite, sous la menace du chantage, de la femme de son complice.

« T’es libre et t’as plus de temps à perdre. Maintenant la mort, ça me fait vraiment flipper. Dans ma cage, parfois, j’pensais que ça pouvait être ma seule libération de la perpète, mais là, maintenant, j’me sens comme un condamné à mort. J’ai l’impression d’avoir une bombe à retardement dans le fion. Le cancer, c’est une énorme bite qui t’encule jusqu’à te tuer. »

Carlotto nous donne à voir deux monstres générés par les conséquences d’un même évènement. Le premier a purgé sa peine et serait plutôt sur la voie de la rédemption. Le second s’est enfermé dans une conduite vengeresse, déterminé à appliquer la justice lui-même. Il se révèle d’une cruauté froide, sans bornes.

Tout au long du roman, la référence aux derniers mots de la morte, sonnent comme un leitmotiv qui justifie tous les actes de Silvano, obstiné à venger la mort de sa femme et de son fils, dusse-t-il pour cela endosser lui-même le costume du monstre.

Ce roman à deux voix alternées, est une œuvre noire, poisseuse. Carlotto utilise un style très direct, un langage très cru, voire vulgaire. Et tout son récit est mené sur un rythme endiablé, sans une respiration, sans un moment de répit, jusqu’à ce que toutes les frustrations et le désir de vengeance accumulés pendant quinze ans se déchaînent, dans une explosion de violence gratuite et paroxystique.

Un excellent roman, d’une noirceur désespérée, où nul n’est complètement innocent, et où on ne sait plus bien qui sont les victimes et les bourreaux.

Éditions Métailié, 2006

Merci, mon ami Pierre de m’avoir incité à me pencher sur cet auteur. Il en vaut vraiment la peine.
4ème de couv.

immense obscurite de la mort (s)-300x460Au cours d’un braquage, une femme et son fils de 8 ans, pris en otages, sont tués. L’un des braqueurs est condamné à la perpétuité, l’autre s’échappe avec le butin. Quinze ans plus tard, atteint d’un cancer le prisonnier formule un recours en grâce et demande, selon la loi italienne, le pardon de Silvano Contin, père et mari des victimes.

La réponse de cet homme ravagé par la douleur et la solitude, obsédé par les dernières paroles de sa femme, est au centre de ce roman implacable qui place face à face l’assassin et la victime. Qui purge la peine la plus dure? De ce duel il ne sortira pas de vainqueur.

 

L’auteur :

Massimo CarlottoMassimo Carlotto est né à Padoue en 1956.
Découvert par le critique et écrivain Grazia Cherchi, il a fait son entrée sur la scène littéraire en 1995 avec le roman Il fuggiasco (Le Fugitif, non traduit en français), publié par les éditions E/O, qui a obtenu le prix Giovedì en 1996. Depuis, il a écrit quinze autres romans, des livres pour enfants, des romans graphiques et des nouvelles publiées dans des anthologies.
Ses romans sont traduits dans de nombreux pays; certains ont été adaptés au cinéma. Massimo Carlotto est aussi auteur de pièces de théâtre, scénariste pour le cinéma et la télévision, et il collabore avec des quotidiens, des magazines et des musiciens.
En 2007, il est lauréat du prix Grinzane Cavour – Piémont Noir.
« L’Immense Obscurité de la mort » reçoit en 2007 le Grand Prix du Roman Noir étranger du festival du film de Cognac.