Olivier Barde-Cabuçon – Casanova et la femme sans visage

Premier roman mettant en scène le Chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges. Un jeune policier, dont les enquêtes se situent dans le Paris et Versailles du XVIIIème siècle, ça ne vous rappelle  rien ?

Le jeune chevalier de Volnay, après avoir sauvé le roi Louis XV lors de l’attentat de Damiens, s’est vu élever à la charge de « Commissaire aux morts étranges » de la police de Paris.

Une douce soirée de printemps de l’an 1759, une jeune fille est retrouvée morte, la peau du visage arrachée. Le chevalier de Volnay, lors de l’examen préliminaire, à son arrivée sur les lieux, remarque une lettre tombée de la poche de la victime. Cette lettre portant le sceau royal, il la glisse dans sa poche, et fait emporter le corps par son étrange compagnon, un moine qui se charge des autopsies lors des affaires dont Volnay est chargé.

Il remarque sur les lieux la présence d’un visage qui lui évoque quelque chose. Cette personne se présente comme le Chevalier de Seingalt. Il s’agit en réalité de Casanova, qui semble avoir remarqué que Volnay avait subtilisé la lettre. C’est le début d’une enquête compliquée pour Volnay, qui après avoir ouvert la lettre adressée au Comte de Saint-Germain, et portant la signature de Louis XV, va être obligé d’agir avec la plus extrême prudence.

Les premiers éléments de l’enquête conduisent Volnay à Versailles où la jeune femme était perruquière du roi. Il va pénétrer dans un univers d’intrigues, de secrets, de luttes d’influence, sous les dorures de la cour de Versailles, et y croiser d’autres figures marquantes de l’époque, tels l’aventurier  Casanova et l’énigmatique Comte de St Germain. Il va également être amené à rencontrer Madame de Pompadour, la favorite vieillissante qui, délaissée par le roi, tente de garder un peu d’influence sur lui, en fournissant la maison du « Parc-aux-cerfs » en très jeunes filles…

Sartine, le lieutenant de police de Paris, ne voit pas d’un très bon œil cet électron libre que représente Volnay et le fait suivre de près par son réseau de « mouches », dans une capitale où toutes les factions se surveillent étroitement.

Comment faire une chronique sur cet ouvrage sans évoquer Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet et héros des romans de Jean-François Parot ? Mis à part l’époque et leur métier, nos deux personnages n’ont rien en commun : Nicolas Le Floch aime son roi, et il reçoit avec gratitude toutes les marques de sympathie et d’estime que le monarque daigne lui témoigner. Volnay quant à lui, malgré son poste au service du roi, hait la monarchie, et ne rêve que de la renverser.

Certes, leur approche du métier est identique, ce sont tous deux des précurseurs en matière de police technique et scientifique, et ils ont chacun leur légiste attitré : le mystérieux moine pour l’un, le bourreau Sanson pour l’autre. Au niveau du caractère, là où Le Floch est plutôt enjoué et d’un commerce agréable, Volnay est un solitaire, n’ayant pour seuls amis que ce moine hérétique et sa pie qui parle. Il traîne avec lui le poids d’un passé douloureux, hanté par la vision d’un père soumis au bûcher.
« Les flammes d’un bûcher s’élevaient sous les yeux d’un petit garçon qui pleurait, consumant son âme parce que ce petit garçon… c’était lui.
— Je ne crois plus en Dieu, mademoiselle, car on dit de lui qu’il a fait l’homme à son image. Ce doit être alors quelqu’un de bien détestable.
 »

Il est d’un tempérament plus sombre et plus rigide, lequel va être mis à rude épreuve par la belle Chiara d’Ancilla, agent de la Pompadour, pour laquelle il a une tendre inclination, mais qui est aussi courtisée par ce diable de Casanova. Et entre les deux va naître une rivalité, perturbant Volnay et affectant ses capacités de réflexion, ce dont va jouer Casanova, rompu aux intrigues de toute nature, qui paraît être dans cette affaire plus qu’un témoin.

Volnay hait le Roi et la monarchie, et parallèlement à cela il les sert fidèlement, par amour de la vérité et de la justice, ce qui crée en lui une certaine dichotomie. Malgré son côté rigide, il nous apparaît tout de même sympathique, cette rigidité masquant les failles intimes que nous devinons. J’ai bien aimé aussi le personnage de ce moine énigmatique, savant et médecin, et le rapport presque filial qu’il entretient envers le chevalier de Volnay.

Louis XV, que l’histoire a surnommé « Le bien aimé », nous est présenté ici sous un jour un peu moins flatteur, peut-être exagéré, monarque obsédé de sexe à qui il faut des concubines de plus en plus jeunes. Il a l’air de n’être pas concerné par les affaires du pays, le mécontentement du peuple et sa misère grandissante. Son comportement même pourrait augmenter le ressentiment à son égard. On remarquera que tous les ingrédients sont déjà en place pour le grand embrasement qui ne se produira que 30 ans plus tard…

Il est quand même curieux de constater qu’en ce siècle dit « des lumières », qui voit l’émergence des encyclopédistes, où la raison et le progrès triomphent de l’obscurantisme, où la philosophie bat en brèche la religion, les gens soient prêts à croire aux mirages de l’alchimie, et toutes autres superstitions.

Ce roman est bâti sur un arrière-plan historique d’une grande précision, érudit sans être didactique ni assommant. Fort bien troussé, d’une écriture fluide et élégante, l’intrigue captivante comporte son lot de rebondissements et de péripéties assez rocambolesques. C’est un roman que j’ai lu sans peine, même si par moments je me suis un peu embrouillé et ai perdu le fil de l’histoire, parmi tous ces personnages et factions aux intérêts multiples et divergents.

Une roman fort agréable à lire, présentant une vision  de l’Histoire assez éloignée des images d’Épinal, bien différente de celle que l’on nous a enseignée sur les bancs de l’école, mais sûrement bien plus proche de la réalité. Je suivrai avec intérêt le jeune Volnay, lors de ses prochaines aventures.

Éditions Actes Sud, 2012


4 ème de couv.

casanovaAprès avoir sauvé Louis XV de la mort lors de l’attentat de Damiens, et malgré son peu de goût pour la monarchie, le jeune Volnay obtient du roi la charge de « Commissaire aux morts étranges » dans la police parisienne. Aidé d’un moine aussi savant qu’hérétique et d’une pie qui parle, Volnay apparaît comme le précurseur de la police scientifique, appelé à résoudre les meurtres les plus horribles ou les plus inexpliqués de son époque. Épris de justice, c’est aussi un homme au passé chargé de mystère, en révolte contre la société et son monarque qu’il hait profondément.
Lorsqu’en 1759, le cadavre d’une jeune femme sans visage est retrouvé dans Paris, Volnay doit conduire une enquête sur le fil du rasoir avant que le meurtrier ne frappe de nouveau. Mais entre des alliés aussi incertains que le libertin Casanova et des adversaires redoutables, à qui le commissaire aux morts étranges peut-il se fier ?


L’auteur:

Barde-cabuçonOlivier Barde-Cabuçon vit à Lyon. Son goût pour les intrigues policières et son intérêt pour le XVIIIe siècle l’ont amené à créer le personnage du commissaire aux morts étranges, dont quatre enquêtes ont déjà paru dans la collection « Actes noirs » :
– Casanova et la femme sans visage (2012, prix Sang d’encre 2012),
– Messe noire (2013) et
– Tuez qui vous voulez (2014).– Humeur noire à Venise (2015)

Laurent Scalese – L’ombre de Janus

Depuis quelques semaines, j’entends dire beaucoup de bien de Laurent Scalese et de son dernier bébé, « La voie des âmes ». Je connaissais peu de chose de l’auteur si ce n’est qu’il avait travaillé comme scénariste pour la télévision, notamment à travers la série Chérif. Alors, en attendant de m’engager sur cette  » voie des âmes », je vous propose ma vision de « L’ombre de Janus ».

Le Commissaire Paul Legac, chef de l’unité Avalanche, est convoqué par le préfet qui lui signifie le démantèlement de son service, en raison de leur bilan médiocre. Legac avait créé cette unité spéciale consacrée à l’étude et à la résolution des crimes violents deux ans auparavant. C’était une première en France. Ce groupe de travail faisait partie du SIR et comptait cinq éléments : une femme et quatre hommes.
Peu de temps après, on retrouve à Versailles une jeune femme assassinée et mutilée avec une rare sauvagerie. Le tueur a coupé et emporté sa langue et a signé son crime en lettres de sang sur le corps de la victime : le chiffre 5 et cette phrase, comme un défi lancé aux enquêteurs : »Vous n’arrêterez jamais Janus ! » L’enquête, au grand désappointement  de Legac, est confiée au commandant de police Favreau.

Le jour suivant, après un deuxième meurtre, selon le même schéma, le préfet est contraint de réactiver le groupe de Legac, à la grande colère de Favreau qui n’apprécie pas de devoir travailler avec ce flic « à l’américaine », dont il désapprouve les méthodes modernes.
« — J’ai une méthode de travail différente de la vôtre. Pour comprendre ce qui se passe dans la tête de l’assassin, je me mets dans sa peau, j’essaie de penser comme lui. Cela peut vous paraître stupide, voire dérangeant, mais c’est une étape indispensable à la compréhension du crime. »
Janus défie la police, en particulier Legac qu’il considère comme seul adversaire à sa mesure, en jouant avec lui, lui adressant des énigmes à résoudre. Janus, le dieu romain, représenté par deux faces sur une même pièce, présent et avenir, symbolise la dualité qui peut exister dans chaque individu, le bien ou le mal, ou bien même la référence à deux personnes, le maître et l’élève, agissant dans un même but.

januspièce« Vêtus d’oripeaux, conspués par une population qui n’a plus confiance en eux, les justiciers modernes sont payés une misère pour nettoyer les rues et se coltiner les vices d’une humanité qui ne cesse de régresser. Trop souvent, la violence urbaine les oblige à agir avant de réfléchir. »
Les policiers représentés ici ne sont pas des surhommes, simplement des personnes qui ont à cœur de remplir leur mission du mieux possible. Les personnages sont tous d’une grande humanité, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs souffrances et leurs joies, comme le commun des mortels.

L’auteur apporte également un grand soin à la psychologie de ses personnages, notamment à la rivalité exacerbée entre Favreau et Legac, sorte de querelle entre anciens et modernes.

L’auteur joue avec brio de tous les codes du thriller, avec un tueur en série d’une intelligence redoutable, à l’esprit retors, qui profite de la rivalité entre les deux officiers pour se jouer d’eux à sa guise. L’auteur nous manipule à travers un scénario jalonné de multiples fausses pistes et rebondissements, allant jusqu’à nous servir dès le premier tiers de l’histoire un coupable qui, forcément, n’est pas le bon. Ce qui permet à Janus de continuer à tuer, dans un suspense grandissant. Et pour finir, son identité, sur laquelle j’avais ma petite idée, nous est révélée, dans un dernier chapitre vraiment surprenant.
En conclusion, un très bon moment de lecture.

Éditions Pygmalion, 2001

4ème de couv:

Janus1Versailles : une région empreinte d’histoire, d’art, de beauté… et d’horreur. Car lorsque le corps mutilé d’une jeune femme est retrouvé, c’est le choc. Surtout que l’assassin lui a coupé la langue avant de signer son crime en lettres de sang sur la peau de sa victime.
Une seconde est bientôt découverte, au grand dam du commissaire Legac que le meurtrier prend bientôt comme porte-parole, lui adressant de macabres charades dont dépend la vie des femmes suivantes. Très rusé, celui qui se fait appeler Janus semble posséder un esprit retors et pervers, ainsi qu’une manière bien particulière de manipuler victimes et enquêteurs.
Forcé de collaborer avec le commandant Jacques Favreau – les deux hommes se détestent cordialement – conscient que le temps joue contre lui, le commissaire Legac parviendra-t-il à mettre un terme à la sordide carrière d’un serial killer pas comme les autres ?

L’auteur :

scalesePassionné par le roman noir des années 1930-1940 et le cinéma anglo-américain, Laurent Scalese est aujourd’hui un scénariste reconnu pour le cinéma et la télévision. Auteur de romans policiers à succès, il a publié Le Samouraï qui pleure, L’Ombre de Janus, Des pas sous la cendre chez Pygmalion et, chez Belfond, Le Baiser de Jason, prix Sang d’encre des lycéens 2005, Le Sang de la mariée (2006) et La Cicatrice du diable (2009).
Il est réputé pour ses romans rythmés, au dénouement surprenant. Avec son deuxième roman L’Ombre de Janus, il a contribué à renouveler le thème du serial killer.
Son dernier roman « La voie des âmes« , qui vient de paraître en 2015 chez Belfond, semble promis à un bel avenir.