Craig Johnson – Enfants de poussière

« Grand Esprit, garde-moi de critiquer mon voisin
tant que je n’ai pas marché une heure durant
dans ses mocassins. »
VIEILLE PRIÈRE INDIENNE

C’est toujours avec le même enthousiasme que je commence un nouveau roman de Craig Johnson.

De retour dans son comté d’Absaroka, Wyoming, le shérif Walt Longmire passe le plus clair de son temps libre avec sa fille Cady, en phase de rééducation après la grave agression dont elle avait été victime à Philadelphie (cf son précédent roman « L’indien blanc »).

En bordure d’une route est découvert le corps d’une jeune fille asiatique. A proximité, dans un tunnel sous la route, on trouve un vagabond endormi. Virgil White Buffalo,  bâti en colosse. J’ai appris là une signification inconnue du sigle F.B.I. (Fucking Big Indian). Il donnera bien du mal à Walt et ses adjoints pour se laisser appréhender. Il a en sa possession, le sac à main de la victime, contenant une photo où figure Walt.
« Elle était vieille et décolorée par le soleil, les coins rebiquaient là où l’eau avait imprégné le papier. C’était un instantané d’une femme asiatique perchée sur un tabouret de bar. Elle lisait un journal et un homme était assis devant un piano à sa droite. Il tournait le dos à l’objectif. Il portait un treillis et son visage était un peu caché. Il était grand, jeune, très musclé et il avait un visage d’ange joufflu et une coupe militaire. Et c’était moi. »

A partir de ce moment, le roman bascule, suivant deux strates distinctes du cours de la vie de Walt. Ponctuant l’enquête qui se déroule dans le présent, visant à reconstituer le parcours qui a conduit cette jeune vietnamienne au cœur du Wyoming pour y être assassinée, de nombreux flashbacks jalonnent le récit sur la période où Walt, jeune enquêteur des marines, servait au Vietnam.
Cette partie du roman, rendue de façon très réaliste, nous montre un Walt déjà très concerné par les notions de justice, du bien et du mal, traits de caractère bien présents chez le Walt que nous connaissons.

Dans ce roman je retrouve les thèmes chers à Craig Johnson : le culte de l’amitié, la force que donne la sensation d’appartenir à un groupe, une communauté. Et il porte toujours ce regard plein de bienveillance envers la population indienne. Il nous décrit un univers de western, où les 4×4 ont remplacé les chevaux et les chariots, où les communications sont à l’heure de l’internet et du WiFi, quand le réseau est accessible…
Je perçois toujours cette nostalgie du vieil Ouest, et cette façon qu’il a de magnifier la nature sauvage et les grands espaces, quand il nous emmène dans la ville fantôme de Bailey, peuplée de serpents à sonnettes, ou bien dans les Big Horn Mountains, au « Hole in the Wall », rendu célèbre par la bande de Butch Cassidy et Sundance Kid, qui y avaient établi leur repaire.

Le thème principal de ce roman tourne autour des « enfants de poussière », vocable poétique qui désigne les jeunes métis nés de mère vietnamienne et de père américain. Ces enfants, rejetés dans leur propre pays, cherchent à gagner l’Amérique pour y faire leur vie, fournissant ainsi à leur insu la matière première pour un gigantesque trafic d’êtres humains, pour alimenter les réseaux de prostitution.

« Elle cala mon autre bras dans son dos et m’emporta dans une valse fantaisiste, son visage calé contre mon épaule. Nous tournions dans la salle de bal vide et silencieuse, et je pensais à Virgil White Buffalo et je regardais ma fille, qui levait la tête et souriait. Une fois que nous eûmes parcouru tout le salon, je me penchai pour déposer un baiser sur la cicatrice en U à la racine de ses cheveux et m’efforçai de me concentrer sur tous les bonheurs de ma vie. »
Son attitude de père envers Cady a évolué depuis qu’il a failli la perdre. Il s’inquiète pour elle et il réalise l’importance qu’elle a dans sa vie. Il dégage aussi beaucoup de complicité, de tendresse et d’humour à l’égard de Vic, et des autres personnages qui gravitent autour de lui. Il entretient avec Henry Standing Bear une amitié de longue date, ambivalente, à laquelle se mêle une certaine rivalité.

De par son évocation du Vietnam, l’auteur plonge plus profondément dans le passé de Walt, ajoutant une couche supplémentaire à l’épaisseur du personnage. Mais malgré la force tranquille dont il fait preuve, Walt demeure toujours en proie à l’introspection et aux questionnements.
« Je me demandais ce que j’aurais dit à ce marine au visage poupin, et ce que je ne lui aurais pas dit. Je me demandais ce qu’il aurait eu à me dire. Est-ce qu’il aurait approuvé ce que nous étions devenus ? Est-ce qu’il aurait pensé que j’étais quelqu’un de bien ? »
Je te rassure tout de suite Walter, tu es devenu quelqu’un de bien, de très bien même.

Une très belle lecture, en vérité.

Éditions Gallmeister, Février 2012

 

4ème de couv:

enfants de poussièreDans le comté d’Absaroka, Wyoming, la découverte du corps d’une jeune Asiatique étranglée en bordure de route n’est pas monnaie courante. Et quand on retrouve près des lieux du crime un vagabond indien au physique de colosse, Virgil White Buffalo, en possession du sac à main de la victime, l’affaire semble être vite expédiée. Pourtant, le shérif Longmire a du mal à croire que Virgil soit l’assassin, d’autant que dans le sac à main de la morte, on découvre un vieux cliché qui le ramène à sa première enquête criminelle, près de quarante ans plus tôt, en pleine guerre du Vietnam.

Enfants de poussière est un polar haletant qui nous entraîne des boîtes de nuit de Saïgon aux villes fantômes du Wyoming. Ce nouveau volet des aventures de Walt Longmire est l’un des plus ambitieux de son auteur.

L’auteur:

Craig JCraig Johnson, né en 1961 , est un écrivain américain, auteur de romans policiers, connu pour sa série de romans et de nouvelles consacrés au shérif Walt Longmire.
Avant d’être écrivain, il exerce différents métiers tels que policier à New York, professeur d’université, cow-boy, charpentier, pêcheur professionnel, ainsi que conducteur de camion et il a aussi ramassé des fraises. Tous ces métiers lui ont permis de financer ses déplacements à travers les États Unis, notamment dans les États de l’Ouest jusqu’à s’installer dans le Wyoming où il vit actuellement. Toutes ces expériences professionnelles lui ont servi d’inspiration pour écrire ses livres et donner ensuite une certaine crédibilité à ses personnages.
Déjà parus : Little bird (2009), Le camp des morts (2010), L’indien blanc (2011), Enfants de poussière (2012), Dark horse (2013), Molosses (2014), Tous les démons sont ici (2015), Steamboat (2015)
A paraître: A vol d’oiseau (mai 2016)
(Source: Wikipedia)

R.J. Ellory – Les neufs cercles

Ellory-NeufCercles-HiRes4ème de couv.

1974.De retour du Vietnam, John Gaines a accepté le poste de shérif de Whytesburg, Mississippi. Une petite ville tranquille jusqu’au jour où l’on découvre, enterré sur les berges de la rivière, le cadavre d’une adolescente. La surprise est de taille : celle-ci n’est autre que Nancy Denton, une jeune fille mystérieusement disparue vingt ans plus tôt, dont le corps a été préservé par la boue. L’autopsie révèle que son cœur a disparu, remplacé par un panier contenant la dépouille d’un serpent. Traumatisé par le Vietnam, cette guerre atroce dont « seuls les morts ont vu la fin », John doit à nouveau faire face à l’horreur. Il va ainsi repartir au combat, un combat singulier, cette fois, tant il est vrai qu’un seul corps peut être plus perturbant encore que des centaines. Un combat mené pour une adolescente assassinée et une mère de famille déchirée, un combat contre les secrets et les vérités cachées de sa petite ville tranquille. Si mener une enquête vingt ans après le crime semble une entreprise périlleuse, cela n’est rien à côté de ce qui attend John : une nouvelle traversée des neuf cercles de l’enfer.

Ce que j’en pense :

Pour les amateurs de romans noirs et thrillers, dont je fais partie, la sortie d’un titre de RJ. Ellory est toujours un évènement très attendu. Celui-ci ne déroge pas à la règle et remplit parfaitement son objectif : nous entraîner dans un inoubliable voyage au cœur des ténèbres.

« 
Quand la pluie arriva, elle rencontra le visage de la jeune fille. Juste son visage. C’est du moins ce qu’il sembla au début. Puis ce fut sa main – petite et blanche, aussi délicate que de la porcelaine. Elle remonta jusqu’à la surface de la vase noire et se révéla. Rien que son visage et sa main, le reste de son corps toujours submergé. En baissant les yeux vers la berge, la vision de sa main et de son visage était surréaliste et troublante, et John Gaines – un Louisianais de Lafayette qui était récemment, par hasard ou par défaut, devenu le shérif de Whytesburg, dans le comté de Breed, Mississippi, et qui était avant ça revenu vivant des neuf cercles de l’enfer qu’avait été la guerre du Viêtnam – s’accroupit et observa la scène avec un esprit tranquille et un œil implacable.« 

Dès les premières phrases, nous sommes plongés dans l’ambiance humide et poisseuse des bayous de la Louisiane. Le shériff John Gaines, pour faire la lumière sur ce meurtre vieux de vingt ans, va devoir retrouver des personnes qui ont connu la jeune fille. Il est rapidement orienté sur la piste de Michael Webster, un survivant de la 2ème guerre mondiale, qui paraissait proche de la jeune fille. Il reconnaît avoir enlevé le cœur de la jeune fille, mais reste muet sur ses motivations.

Suite à une erreur de procédure commise par John Gaines,  Webster peut être libéré sous caution, payée par Matthias Wade, héritier d’une riche famille de la région et qui faisait partie du cercle d’amis de Nancy. Peu après, Michael est découvert mort dans sa cabane incendiée, décapité et une main tranchée. La tête et la main manquante sont retrouvées enterrées dans un champ, face à la maison du shériff.

A partir de ce moment, John Gaines va se sentir personnellement visé, et ce sentiment, venant s’ajouter à la promesse qu’il a faite à la mère de Nancy de découvrir le coupable, va renforcer sa détermination. L’enquête va l’amener à s’intéresser à ce groupe d’amis, parmi lesquels deux frères et deux sœurs de la dynastie des Wade, puissante famille du sud, auxquels s’ajoutent Nancy et son amie Maryanne.

Maryanne, dont les souvenirs personnels font l’objet de chapitres insérés au long du récit, et nous permettent de commencer à cerner la personnalité des différents personnages, et des sentiments qui les animaient.

Les deux personnages principaux, Michael Webster « l’homme le plus chanceux de la terre » et John Gaines, vétérans de deux guerres différentes à 25 ans d’intervalle, en sont revenus marqués à tout jamais, marqués par l’horreur des combats, et le souvenir des souffrances infligées et endurées. Ils ont le sentiment qu’une part d’eux-mêmes est morte là-bas, et ce traumatisme du survivant renforce leur sentiment de culpabilité. John Gaines  a traversé (je ferai à l’auteur le petit reproche de nous le répéter trop souvent) les « neuf cercles de l’enfer » que fut la guerre du Vietnam, dont il est revenu, mais où il a laissé une part de son âme. Il n’a aucune vie sociale en dehors du travail, il se consacre uniquement à sa mère, chez laquelle il vit et qui se meurt doucement d’un cancer.

« Nous avons vu des choses que les autres ne pourraient jamais imaginer, shérif. Pas même dans leurs cauchemars les plus fous. Et pire encore. Les hommes ne devraient pas voir de telles choses, mais ce sont eux qui les ont créées, alors pourquoi seraient-ils épargnés ? On ne peut pas supporter un tel fardeau en menant une vie ordinaire. Nous avons survécu, peut-être. Nous ne sommes pas morts, mais nous aurions tout aussi bien fait de mourir. Les personnes que nous étions quand nous sommes partis au front n’étaient pas celles que nous étions à notre retour. »….. »  « Nous ne serons jamais normaux. Nous serons toujours des étrangers. Nous n’aurons plus jamais notre place. »

Les autres acteurs de ce roman sont tous très bien dessinés, chacun d’eux a sa part d’ombre et de lumière, de blessures secrètes et trouve aisément sa place dans le puzzle d’une redoutable précision  que représente cette enquête, passionnante et complexe. L’amitié, la politique, l’argent, le pouvoir, la corruption et le racisme, sont autant de thèmes qui sont évoqués au long de ce récit, et autant de leviers qui motivent les actions des personnages.

L’ambiance du sud est très bien rendue, ces petites villes ou chacun connaît tout le monde, où dans les années 70 le ségrégationnisme est toujours d’actualité, et même le vaudou, héritage des anciens esclaves, encore très présent.

Les sentiments et les situations sont décrits avec beaucoup de finesse. La narration est menée d’une plume très efficace, nous ménageant bon nombre de rebondissements et de cadavres tout au long de l’histoire, jusqu’à un final inattendu et flamboyant, où le shériff Gaines fait encore preuve de sa grande humanité. Gaines est un héros extrêmement attachant, son ambivalence entre force et fragilité, son empathie avec les victimes nous le rendent particulièrement sympathique et je suis sûr que beaucoup (dont moi…) aimeraient le retrouver dans une autre histoire.

Petit clin d’œil : Étant un grand fan de James Lee Burke, Je me suis retrouvé ici en terrain connu, des bayous au bord de la rivière Atchafalaya, jusqu’à la Nouvelle-Ibérie ou New Iberia ou officie un certain Dave Robicheaux.

Pour ce qui me concerne, je dirai que cet opus de R.J. Ellory est une indéniable réussite, alternant entre le plus sublime et le plus sordide. Une très belle lecture qui figurera à coup sûr dans mon Top 5 pour 2014.

Éditions Sonatine 2014

R._J._Ellory_-_001L’auteur:

Roger Jon Ellory est né à Birmingham en juin 1965. Sa mère, danseuse et actrice, l’élèvera seule jusqu’à ce qu’une pneumonie la terrasse au tout début des années 1970. À 16 ans, il rejoint sa grand-mère maternelle, qui décèdera en 1982. Après avoir connu la prison à l’âge de 17 ans, il se consacre à plusieurs activités artistiques – graphisme, photographie… et musique : il joue de la guitare dans un groupe de rock, les Manta Rays, qu’il quittera à la mort du batteur.
Entre 1987 et 1993, RJ Ellory écrivit pas moins de vingt-deux romans, chacun lui valant systématiquement des refus éditoriaux, polis mais fermes, des deux côtés de l’Atlantique.
Découragé, RJ Ellory cesse d’écrire et occupe un emploi de bureau pour la première fois de sa vie. En 2001, il reprend la plume et écrit trois romans en moins de six mois. Le second, Candlemoth, sera publié par Orion ; nommé pour le Crime Writers’ Association Steel Dagger for Best Thriller 2003, il est traduit en plusieurs langues. Mais c’est avec Seul le silence, son cinquième roman publié en Angleterre que le public français le découvre. S
Aujourd’hui il se consacre pleinement à son écriture et à la musique avec son groupe de blues, « The Whiskey Poets ».

Source: Wikipedia