Malceny, ville imaginaire du 93, en banlieue parisienne. Des dealers sont froidement abattus, sous l’œil des caméras d’une équipe des « Stups » en surveillance, qui guettait le flagrant délit. Quelques jours après, on leur signale la présence d’un cadavre dans l’un des boxes à voiture de la cité. La victime est ligotée sur une chaise, bâillonnée avec du ruban adhésif, et les genoux « travaillés » à la perceuse. Tous ces cadavres semblent faire partie du tableau global d’une lutte d’influence entre malfrats pour s’assurer le contrôle du trafic de drogue dans la cité.
« Sur le trottoir, les badauds forment un cercle autour du corps. Juste pour voir. Se repaître de cette image de mort à laquelle ils viennent d’échapper. Fascinés par cette flaque de sang chaud, d’un rouge presque vivant, qui s’élargit sous le crâne ouvert en deux.
Un caïd vient de tomber. Un caïd de vingt-quatre ans au royaume pas plus grand que quelques rues ».
A la tête de cette ville, Andrea Vesperini, surnommée « la reine ». Elle dirige sa ville avec fermeté, ne reculant devant rien, clientélisme, menaces, corruption, pour asseoir son pouvoir, recrutant d’anciens délinquants pour en faire ses adjoints et avoir ainsi la main sur les quartiers.
Le capitaine Victor Coste et son équipe de la Crime vont être saisis de l’affaire, en collaboration avec la brigade des « Stups ».
La découverte du décès d’une petite vieille sans histoires va mettre en lumière l’implication de retraités servant de « nourrices » aux dealers : ces derniers planquent la dope et le pognon chez eux. Quelle meilleure cache que le domicile de petits vieux bien tranquilles ?
On aurait pu craindre d’Olivier Norek qu’il soit un peu trop « documentaire », un peu trop « flic ». Ce n’est vraiment pas le cas. C’est un vrai conteur, un auteur, qui a mis son expérience professionnelle au service de son écriture et de l’intrigue. Il n’y a pas de lourdeur, pas d’accumulation de clichés, seulement la réalité de la vie de ces cités, et de leur quotidien pas toujours très rose. Pour éviter la précarité, la voie de la délinquance est souvent la plus aisée.
Et qui a eu l’occasion de voir, dans certains quartiers populaires de nos grandes villes, où le taux de chômage dépasse allègrement les 20%, des jeunes à peine sortis de l’adolescence, au volant de grosses berlines allemandes, qui coûtent au bas mot 3 ou 4 ans de SMIC, auront une petite idée des profits que peuvent générer ces activités délictueuses.
Quant à l’achat de la paix sociale, par injection d’argent public sous forme de subventions, c’est une réalité incontournable. De plus, il y a encore beaucoup trop de villes ou par pur électoralisme, des « tribus » entières sont embauchées pour des emplois de complaisance aux frais de la République…
« Le gouvernement a vite compris que pour faire des économies, il fallait tuer ces soulèvements dans l’œuf. Et tout spécialement ceux du 93.
– Pourquoi la Seine-Saint-Denis aurait-elle un traitement de faveur ?
– Parce que nous sommes le paillasson de Paris. Toute la politique est centrée dans la capitale et quand ça brûle en banlieue, l’odeur arrive jusque sous leur fenêtre. Nous sommes trop proches du cœur pour qu’ils acceptent que la situation s’envenime. »
En plus d’un roman distrayant, Norek nous assène, sans avoir l’air d’y toucher, un véritable cours de sociologie urbaine, sur des pans entiers de notre société, laissés à l’abandon, mais qui sont le fonds de commerce de certains politiques peu scrupuleux.
« À huit ans il subvenait déjà à ses propres besoins, puis à dix il dut pallier ceux de sa mère suite à l’arrêt du versement des Allocations familiales. Pas d’école, pas d’enseignement, il ne savait ni lire ni écrire et son avenir ne s’inscrivait dans aucun des cursus existants. C’était un gosse des rues, et s’il arrivait à l’âge adulte, il serait un paria.
Rien ne lui serait jamais offert, ni même accessible. Il devait prendre de force, arracher, soustraire, voler, escroquer, braquer et frapper fort quand il se faisait attraper ».
La narration est vive, les chapitres très courts donnent une impression d’urgence. Il est également violent, à l’image de ces jeunes, ces petits loubards qu’il nous décrit, dont le jeune Bibz, qui n’ont d’autre règle que la loi du plus fort, et pour convaincre les plus hésitants, ne reculent devant rien. A ce propos, la recette du chat aux micro-ondes est un exemple frappant de leur inventivité en la matière.
Olivier Norek nous semble assez peu indulgent envers ses semblables. Il vraisemblable que les situations auxquelles il a été confronté en tant que policier ont dû écorner les dernières illusions qu’il pouvait avoir en l’humain. Les personnages qu’il nous décrit ne sont pas des modèles d’honnêteté ni d’une grande rigueur morale. Mais des loubards ou des politiques, on se demande lesquels sont les pires. Même si la ville de Malceny est imaginaire, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec certains faits d’actualité plus ou moins récente.
Et malgré ce constat pessimiste et amer sur notre société, l’humanité de l’auteur se fait jour lorsqu’il évoque l’équipe du capitaine Coste, ce groupe de personnes si différentes, aux relations quasiment fraternelles, mais soudé comme une seule et même famille. Ils ont, selon les propres mots de l’auteur, « eu tellement peur ensemble que c’est comme si ils s’étaient mis à poil ensemble. Ils ont l’impression qu’ils ne peuvent plus rien se cacher. »
Un très bon polar, vif, sans aucun temps mort, au rythme de ces banlieues qui palpitent, prêtes à s’enflammer à la moindre étincelle. Un roman très actuel, qui a valeur de témoignage.
Un excellent bouquin, que je recommande chaudement.
Éditions Michel Lafon, 2014
4ème de couv :
Depuis la dernière enquête du capitaine Victor Coste et de son équipe, le calme semble être revenu au sein du SDPJ 93. Pas pour longtemps, hélas ! L’exécution sommaire de trois jeunes caïds va les entraîner sur des pistes inimaginables.
Des pains de cocaïne planqués chez des retraités, un chef de bande psychopathe d’à peine treize ans, des milices occultes recrutées dans des clubs de boxe financés par la municipalité, un adjoint au maire découvert mort chez lui, torturé… et Coste se retrouve face à une armée de voyous impitoyables, capables de provoquer une véritable révolution.
Mais qui sont les responsables de ce carnage qui, bientôt, mettra la ville à feu et à sang ?
Avec ce polar admirablement maîtrisé, Olivier Norek nous plonge dans une série de drames terriblement humains et de stratégies criminelles – loin d’être aussi fictives qu’on pourrait le croire – où les assassins eux-mêmes sont manipulés.
L’auteur :
Né il y a 41 ans à Toulouse, Olivier Norek est lieutenant de Police Judiciaire. il suit ses parents instituteurs dans leurs douze déménagements, avant de quitter, le cursus scolaire à 17 ans et demi. Ce sera des missions pour «Pharmaciens sans frontières, en Guyane puis en Croatie, en pleine guerre des Balkans. «Une première approche de la protection des citoyens».
Après deux ans dans l’humanitaire, il devient gardien de la paix à Aubervilliers, puis rejoint la Police Judiciaire au service financier puis au groupe de nuit chargé des braquages, homicides et agressions.Après avoir réussi le concours de lieutenant, il choisit Bobigny au sein du SDPJ 93, à la section enquêtes et recherches (agressions sexuelles, enlèvement avec demande de rançon, cambriolage impliquant un coffre-fort…).
Après « Code 93 », « Territoires » est son deuxième roman, dont les droits sont déjà acquis pour la télévision.