Janis Otsiemi – Les voleurs de sexe

Le titre de ce dernier polar de « mon compatriote gabonais » Janis Otsiemi trouve son origine dans une folle rumeur, une légende urbaine apparue au Nigéria dans les années 70. Des individus pourraient voler le sexe d’autres personnes, simplement par simple contact, en leur serrant la main ou leur touchant le bras.
Cette rumeur se propage bien vite dans les rues des différentes capitales africaines, dont Libreville.
Ces affaires déclenchent bien souvent un grand désordre car, une fois le « voleur de sexe » identifié, à tort ou à raison, il se trouve bien rapidement lynché et battu à mort par la populace.

Dans leur quartier d’Akébé 2, Benito, Tata et Balard, jeunes paumés désœuvrés, dont les soirées s’écoulent entre la bière, la musique de rap et les filles, sont témoins d’un accident d’automobile. En s’approchant du véhicule, ils voient que le conducteur est « cadavéré » et remarquent, sur le siège arrière, une mallette. Sans une hésitation, Tata s’empare du bagage et quitte la scène de l’accident.
Dans la mallette, il y a trois cent mille francs CFA et une enveloppe contenant une dizaine de photos de hauts responsables politiques  gabonais lors d’une cérémonie de la franc-maçonnerie.
« Sur la photo, un homme.
Il se tenait debout devant un pupitre. Il était engoncé dans un costume noir dont les épaulettes étaient constituées de rosettes frappées aux couleurs du drapeau national – vert, jaune, bleu. Ces rosettes retenaient un collier composé de onze étoiles séparées par des entrelacs au bout desquels pendait un pendentif serti d’un compas. Tata remarqua le tablier ceinturant les reins de l’homme et ses mains gantées de blanc.
Les cheveux gominés, le visage gras, la petite taille… finirent par achever le portrait du personnage sur la photo. Ce visage lui était familier. Autant à lui qu’à ses potes. Ce qui expliquait leur étonnement. Ils le voyaient tous les jours à la télé. Sur la première chaîne nationale. »
Un de ces hauts personnages n’est autre que Papa Roméo (le Président de la République), en train de prêter serment. Les trois lascars décident de contacter un ami journaliste pour essayer de tirer un avantage financier de ces photos.

« Pepito descendit du véhicule, habillé comme un épi de maïs. Il était habillé d’une veste bleue assortie à ses pompes. Il barreauda les deux portières automatiquement puis traversa la rue sous le regard des passants. Pepito avait grandi dans le patelin et y était connu comme un adepte de la sapologie. En bon frimeur, il sortit son mouchoir et essuya ses pompes – des Tod’s à 280 000 F CFA la paire – puis disparut entre deux maisons. »

Un autre trio, Pepito, Kader et Poupon, projettent de tendre un guet-apens au patron de China-Wood, après qu’il soit passé à la banque, et le délester de la somme qu’il a retirée pour la paye de ses employés.
Chargez de ces deux enquêtes deux policiers ripoux, des « mange-mille » comme on dit de manière très évocatrice dans le langage populaire, et vous aurez un tableau assez précis de ce que nous donne à voir ce roman de Janis Otsiemi. Il tricote ses trois histoires avec maîtrise, sans que le lecteur ne perde jamais le fil, ni ne s’ennuie une seule seconde, en compagnie de ces Pieds Nickelés.

Les personnages de son roman ne sont pas franchement mauvais. Ils sont même assez attachants, ces jeunes Gabonais, dans leur recherche d’une vie meilleure, même si c’est en prenant quelques libertés avec la loi. Et on a bien du mal à trouver vraiment antipathiques les deux policiers Koumba et Owoula. Tous sont bien représentatifs du petit peuple de ce Gabon d’aujourd’hui, où les richesses sont au bénéfice d’une minorité et où chacun cherche à tirer le meilleur parti du système, largement dévoyé.
« La Sobraga  (Société des brasseries du Gabon) était l’une des boîtes qui ne connaissait pas la crise. La consommation d’alcool était ici un sport national. Dans le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé sur la consommation d’alcool, le Gabon se hissait à la troisième place mondiale derrière les Pays-Bas et à la première sur le continent africain. »

Le Gabon, aux yeux de l’observateur non averti, pourrait apparaître comme le pays idéal, un parangon de démocratie d’une prospérité infinie et d’une stabilité à toute épreuve. Pourtant, quand on y regarde de plus près, on est saisi par le contraste entre les mots et les choses.
Selon les propres mots de l’auteur :«L’opposition n’existe pas, il ne s’agit que de déçus qui auraient voulu prendre la relève de Bongo père et qui ne font qu’essayer de négocier leur retour à l’étable.» «Le pays est bradé, à la Chine, à Singapour, à Dubaï.»
Ce pays, aux mains de la dynastie Bongo depuis 1968, où chaque jour règnent un peu plus le népotisme, le clientélisme, la corruption et le vice, est bien à l’image de ce que devient l’Afrique d’aujourd’hui. Écartelé entre les sirènes du progrès et l’attachement à ses croyances et valeurs ancestrales, les marabouts et des sorciers de tout acabit y ont toujours une place de premier choix.

Janis Otsiemi est un véritable griot urbain qui nous fait un portrait peu flatteur de son pays, sans complaisance.  C’est un vrai conteur qui nous entraîne à sa suite dans ce roman,  écrit dans un style vif, rythmé et non dénué d’humour. Il réinvente le Français à chaque phrase, en une langue résolument moderne et vivante, émaillée de « gabonismes », ces mots et expressions originales qui sont un peu sa « marque de fabrique ».
Un très bon roman noir, qui ravira les amoureux de l’Afrique, dont je suis, et tous les autres.
Décidément, Janis Otsiemi se fait sa place dans le monde du polar, non seulement africain, mais du polar tout court.
Je recommande chaudement!

Editions Jigal, 2015

– A propos des « mange-mille », je vous livre ici une anecdote personnelle : lorsque je vivais au Gabon, j’avais l’habitude de glisser dans la pochette des papiers de mon véhicule un billet de 1000 F CFA (environ 3€). Lorsque j’étais contrôlé, ce qui m’arrivait régulièrement, je présentais les papiers de mon véhicule, et lorsqu’on me rendait la pochette, le billet avait disparu.
Les fonctionnaires de police sont tellement mal payés qu’ils résistent rarement à la tentation d’un petit surplus.

– A noter que l’épisode d’Ali Bongo et de la franc-maçonnerie est authentique. En 2010, une vidéo le montrant lors de son intronisation comme grand maître de la Loge Nationale du Gabon, a connu une large diffusion sur internet.

4ème de couv:

Voleur_de_SexeÀ Libreville, une folle rumeur envahit la ville et crée la psychose…
Dans la rue, tout le monde marche les mains dans les poches en évitant soigneusement d’approcher des inconnus… Il semblerait en effet que d’une simple poignée de main, de louches individus détroussent les passants de leurs « bijoux de famille » ! On les appelle les voleurs de sexe…
C’est dans cette atmosphère électrique que, parallèlement, les gendarmes de la Direction générale des recherches mènent leur enquête sur un trafic de photos compromettantes touchant le président de la République…
De son côté, la police recherche activement les auteurs du braquage qui a mal tourné d’un homme d’affaires chinois, laissant trois morts sur le carreau…
À Libreville, la vie n’est pas tous les jours un long fleuve tranquille…

L’auteur :

otsiemijpgJanis OTSIEMI est né en 1976 à Franceville au Gabon.
Il vit et travaille à Libreville. Il a publié plusieurs romans, poèmes et essais au Gabon où il a reçu en 2001 le Prix du Premier Roman gabonais.
Autres romans:
La vie est un sale boulot (2009)
La bouche qui mange ne parle pas  (2010)
Le chasseur de lucioles (2012)
African tabloïd (2013)

Virginia Pésémapéo Bordeleau – L’amant du lac

Aimablement prêté par mon amie Christine, un titre qui me sort de mes lectures habituelles.
Ce court roman d’une auteure amérindienne n’est pas seulement un roman érotique, tel que le définit l’éditeur en 4ème de couverture, c’est également un magnifique roman sur la nature et les « premiers hommes », tels qu’ils se définissent, attachés à conserver leur identité et leurs façon de vivre, sur les rives du lac, en Abitibi.

Ayant échappé à une tempête, Gabriel le trappeur métis débarque sur les rives du lac Abitibi, sous les encouragements des femmes du clan, parmi lesquelles se trouve  Wabougouni.

« L’homme marchait vers elles, d’un pas encore imprégné du tumulte du lac. Zagkigan Ikwè, la vieille, se pourléchait les lèvres. son œil perçant comme celui d’une corneille happa le corps entier de l’arrivant, soupesant son charisme. Il était beau, sang mêlé en apparence avec une peau cuivrée, des cheveux noirs, des yeux bridés. »

D’une très belle écriture, elle décrit de façon très poétique les paysages et les gens de l’Abitibi. Les scènes d’amour, l’émerveillement des sens et l’embrasement des corps sont traités avec une immense pudeur, d’un plume très poétique en même temps que très suggestive.

« Son ventre brûlait d’un désir véhément depuis sa rencontre avec le métis. Il cognait dans ses veines, grimpait le long de ses jambes, palpitant dans la chair de ses cuisses pour se cramponner à son sexe comme une main de miel. »

Cette population autochtone, vit l’amour et le sexe comme quelque chose de simple, exempt de tous tabous et d’interdits. Et l’érotisme qui se dégage de ce livre nous apparaît comme tout à fait évident, naturel, loin des images parfois avilissantes que véhicule notre culture.

A travers ce roman, qui met en valeur un certain mode de vie, ou les amérindiens sont assez indépendants, l’auteure nous fait tout de même partager ses inquiétudes sur le devenir de son peuple, et sur les méfaits de l’homme blanc, de sa culture et de ses croyances.

Dans un monde qui se transforme, ce très beau roman, porté par les deux personnages lumineux que sont Gabriel le métis et Wabougouni l’Algonquine, reste résolument optimiste.

Éditions Mémoire d’encrier, 2013

4ème de couv.

L-amant-du-lac-810594-d256L’amant du lac est le premier roman érotique écrit par une auteure amérindienne du Québec.

Alors que le système dépossède les peuples des Premières Nations de leur territoire, de leur histoire, de leur mémoire et de leur intimité, célébrer le corps constitue un véritable défi. L’amant du lac bouscule les tabous et fait exploser sexe, désir et jouissance. Virginia Pésémapéo Bordeleau nous offre une histoire d’amour torride, sauvage et puissante entre Wabougouni, une Algonquine et Gabriel, un métis. Violence, colère et extase rythment cette relation tumultueuse avec pour toile de fond la nature envoûtante du lac Abitibi.

Ci-dessous une vidéo de l’auteure, qui nous parle de deux de ses  romans:

L’auteure:

AVT_Virginia-Pesemapeo-Bordeleau_2055Métisse crie, née aux Rapides-des-Cèdres, Virginia Pésémapéo Bordeleau est peintre et romancière. Bachelière en arts plastiques, elle poursuit une œuvre sensible dans laquelle famille et territoire, animaux mythiques et plantes et rochers forment un monde organique, chargé d’une énergie sans cesse renouvelée. Elle a reçu plusieurs prix pour ses toiles. Elle a publié Ourse bleue (roman, La Pleine lune, 2007), De rouge et de blanc (poésie, Mémoire d’encrier, 2012) ainsi que L’amant du lac (Mémoire d’encrier, 2013), le premier roman érotique écrit par une auteure amérindienne.