Michaël Mention – Adieu demain

4ème de couv .
Adieu demainVingt ans se sont écoulés depuis l’arrestation de l’éventreur du Yorkshire. Un nouveau tueur sévit dans le nord de l’Angleterre. Les victimes sont des femmes transpercées par des carreaux d’arbalète. Pour Mark Burstyn, promu au grade de superintendant, le cauchemar recommence. Il a cependant un atout : l’inspecteur Clarence Cooper, un jeune flic aussi obsessionnel que lui. La police n’a pas droit à l’erreur et, pour stopper le meurtrier, Cooper est prêt à tout. Même à devenir quelqu’un d’autre.

 

 

Ce que j’en pense :

Ce roman n’est pas à proprement parler une suite de « Sale temps pour le pays ». Là où le premier suivait fidèlement des faits réels, ce second roman, même s’il prend racine dans la réalité, est une œuvre de pure fiction. Il adjoint à Mark Burstyn un jeune collègue, qui sera le pivot de cette histoire.
« Au-dessus du matelas, un truc. Des trucs horribles, dans chaque coin, et incroyablement laids. Si Peter connaissait le mot, il les qualifierait de « répugnants ». Mais ce n’est pas tout, non. Le pire, c’est que cette laideur fait peur. Et en plus, il y en a deux. Des sortes d’oursins avec des pics tordus : aux extrémités de son matelas, à moins de trente centimètres de son drap, deux araignées grosses et grasses.
Et leurs toiles, écœurantes.
Et leurs abdomens, énormes.
Et leurs pattes, aussi longues que des aiguilles.
Des aiguilles effroyablement difformes, comme les doigts d’une vieille sorcière. Cette vision glace Peter, lui qui n’avait encore rien vu de tel. Choc. Palpitations. Glissement, de la découverte à l’effroi. La minute s’étire autant que les pattes des monstres, qu’il sent frôler son visage. »

Ce passage donne le ton à ce que sera la suite du roman qui, en arrière-plan de l’enquête policière particulièrement difficile, est dominé par un sentiment : la peur, inexplicable, viscérale, omniprésente.

Plusieurs des victimes du tueur suivaient une thérapie auprès du DR Kraven, psychologue. L’inspecteur Cooper, pour les besoins de l’enquête, va se trouver amené à infiltrer ce groupe de soutien psychologique dans lequel, selon Mark Burstyn, le tueur aurait pu rencontrer ses victimes. Parmi ce groupe d’individus, sujets à des peurs diverses, Cooper va devoir s’inventer une phobie, au risque de développer lui-même « par contagion », cette peur panique des araignées qu’il s’est inventée.
« La peur est un phénomène intéressant. Les gens ont un mouvement de recul face à elle. Quand vous dites à une personne de regarder quelque chose qui lui fait peur, elle n’arrive pas à le faire. Cependant, si vous lui dites de se voir regarder cette même chose, elle accepte de le faire, cette fois-ci elle en est capable. C’est comme la différence entre être assis sur le siège avant d’un wagonnet de montagnes russes et être assis sur un banc en vous voyant dans le wagonnet. »
L’auteur ayant, de son propre aveu, souffert d’arachnophobie avait donc un vécu tout particulier pour nous décrire les affres de cette phobie.

Tous les personnages sont présentés avec soin : Peter qui traîne le poids de son enfance saccagée et qui est animé par le désir d’une vie meilleure, Mark promu superintendant et toujours dans l’attente de réentendre cette « voix » qui le hante depuis 20 ans, Clarence le jeune flic dont l’attachement à sa mission tourne à l’obsession. Les autres personnages plus secondaires ne sont pas négligés pour autant, et apportent leur contribution à l’intrigue, à divers titres.

Ce deuxième roman est plus subtil, imprégné de la culture du pays et du contexte de l’époque, rythmé par les évènements dramatiques qui ont marqué notre fin de siècle, depuis les accidents ferroviaires successifs, jusqu’à la chute des Twin towers à New York, et jalonné de références musicales et cinématographiques.

Le rythme, justement : L’auteur imprime à son roman un tempo tout particulier, fait d’une écriture très précise et d’un scénario au découpage quasi cinématographique. J’ai bien aimé ces fins de chapitre où avec un mot ou deux en suspension, il nous conduit d’une scène à l’autre, par une sorte de « fondu/enchaîné littéraire ». L’action s’accélère progressivement pour atteindre son maximum d’intensité dramatique dans le final.

C’est un roman noir et psychotique dans une société britannique en pleine déréliction, soumise aux peurs engendrées par le libéralisme galopant que connaît notre monde occidental, peur de perdre son travail, peur de ne pas en retrouver, peur de vieillir, et surtout peur de l’autre, symbolisée par la peur ultime, surgie des décombres du World Trade Center, ce 11 septembre 2001  qui a dramatiquement marqué au fer rouge l’histoire de notre temps…

« Chaque jour, politiciens et médias taperont sur l’Islam au lieu de crever le véritable abcès de l’Humanité : le Dieu Pognon, qui depuis toujours spécule sur la misère et négocie les os de ses propres suppôts. Scandaleux ? Oui, mais pas autant que les mosquées et la viande halal. Alors, les uns se dresseront face aux autres. Chacun fera tout pour imposer son opinion, sa revendication, sa communauté et dans tout ce vomi d’orgueils, on en viendra même à compter les morts pour comparer les génocides, distinguer l’horreur de l’atrocité. Et tout ça, sans se demander à qui profite le crime, une fois encore. Oui, « plus les choses changent et plus elles restent les mêmes ».

Un roman fort, oppressant, et dont les personnages vivront avec nous, bien longtemps après avoir tourné la dernière page.

Éditions Rivages/Noir, 2014

 

Michaël Mention – Sale temps pour le pays

SALE TEMPS POUR LE PAYS.indd4ème de couv.

1976 – Des femmes, pour la plupart des prostituées, sont agressées ou tuées dans le nord de l’Angleterre. La police locale est sur les dents. Un homme dirige l’enquête : George Knox, avec « sa gueule à la Richard Burton », ses éternelles Ray-Ban, ses états de service légendaires. Secondé par le détective Mark Burstyn, il se lance à corps perdu dans cette affaire, convaincu que tous les crimes sont liés. Mais le tueur récidive et semble brouiller les pistes à plaisir. Plus le temps passe, plus Knox s’enfonce dans l’abîme. Un abîme à l’image du chaos social et de la dépression qui gagnent le pays…

Fasciné par les possibilités romanesques de l’affaire de l’Éventreur du Yorkshire, Michaël Mention la revisite en passionné de la culture des seventies, entre hommage au roman noir et portrait d’une Angleterre déboussolée, à un moment charnière de son histoire.

Ce que j’en pense :

Cette affaire criminelle, celle de l’Éventreur du Yorkshire, qui a frappé les esprits dans l’Angleterre d’avant les années Thatcher, Michaël Mention s’en est emparé, l’a absorbée, assimilée, et nous la restitue sous forme d’un roman bluffant d’authenticité, mais également d’une grande force d’évocation de cette Angleterre des seventies.

Dans ce pays en crise, après le premier choc pétrolier du début des années 70 qui marque un tournant dans l’histoire de ce pays, le début de la fin de l’ère industrielle, les grandes grèves des mineurs, et l’émergence de la culture punk et le règne du rock and roll, ces meurtres sauvages traumatisent une population déjà fortement touchée par le chômage, et la précarité grandissante, qui contraint plusieurs futures victimes de « l’éventreur » à se prostituer occasionnellement pour boucler les fins de mois.

L’inspecteur George Knox, policier d’exception à qui incombe cette affaire, se débat avec des problèmes familiaux. Il a aussi à gérer l’hostilité non déguisée de l’inspecteur Caine, qui supporte mal un autre enquêteur dans sa juridiction. Vient rejoindre son équipe le jeune détective Mark Burstyn, qui est un peu l’antithèse de Knox, sur le plan vestimentaire s’entend. Entre les deux hommes va se nouer une curieuse relation teintée d’agacement pour Knox et d’admiration pour Burstyn.

De plus, George ainsi que les journaux, reçoivent des lettres d’un individu se présentant comme Jack l’Éventreur, revendiquant ces crimes et se moquant de l’impuissance de la police.

Pendant près de six ans, les polices de Leeds et de Bradford seront mises en échec par le tueur, malgré le travail de la police qui compile des tas de données, interroge des suspects. L’impuissance de la police conduira les autorités à imposer un couvre-feu, pour les femmes du nord de l’Angleterre.

Tout ce travail de fourmi finira bien par porter ses fruits, mais George n’en verra pas l’issue. Après le décès de sa femme, il se replonge dans l’enquête de manière quasiment obsessionnelle, jusqu’à finir terrassé par une crise cardiaque. Burstyn reprendra le dossier, de manière officieuse, et identifiera l’assassin, mais sans parvenir à le piéger, jusqu’à ce que… je n’en dis pas plus !

Michaël Mention colle de très près au dossier de l’enquête officielle et des procédures entreprises par tous les effectifs de police de Leeds et de Bradford, et nous les présente de façon infiniment plus digeste que la lecture brute d’un rapport administratif.

Un roman de très bonne facture, d’une écriture limpide et précise, habité par des personnages bien marqués, d’une grande humanité. La bande-son qui accompagne le récit égrène les succès des années 1970, de Roxy Music aux Who, en passant par the Cure et Police, avec un hommage appuyé à Midnight Express d’Alan Parker.

Une peinture très réaliste de cette Angleterre des années 1970, « l’homme malade de l’Europe », en proie à la crise, de la fin du libéralisme travailliste et l’émergence programmée du mouvement conservateur en la personne de la très rigide Margaret Thatcher.

J’ai cru à une coquille en retrouvant l’intégralité du premier chapitre au beau milieu de ma lecture, mais apparemment c’était voulu par l’auteur.

Et deux petits clins d’œil pour finir: Michaël Mention qui apparaît dans une conférence de presse comme journaliste du Monde, et Caine qui écrit, dans le secret de son bureau, un roman sur sa propre expérience dans la Navy, à bord d’un sous-marin…. Tiens donc !

En conclusion, un très agréable moment de lecture.

Éditions Rivages/Noir 2012

L’auteur :

michaël-mention-par-RingMichael Mention est né en 1979 à Marseille, dont il n’a pu s’enfuir que dix-huit ans plus tard. Fan de rock et de cinéma, il a d’abord réalisé des B.D. durant son adolescence avant de passer aux chroniques.
Une nouvelle plus tard, il arrive à Paris en 2001 et s’attèle à son premier roman, Le rhume du pingouin paru en 2008 aux éditions du Rocher, jusqu’à la publication en 2012 de Sale temps pour le pays aux éditions Rivages dans la collection Rivages/noir.
Fils de Sam est un ouvrage alliant documentaire et fiction consacré à David Berkowitz qui terrorisa la ville de New York entre 1976 et 1977.
En 2014, paraît « Jeudi noir », aux Éditions Ombres noires.

Source: Ring.fr