Laurence Fontaine – Larmes rouges sur Belfast

larmes-rouges-sur-belfast4ème de couv .

Au hasard d’une rencontre avec une séduisante violoniste, la vie d’un jeune avocat bascule brutalement. Commence alors pour lui un périple jalonné de meurtres à travers l’Irlande. De Belfast, théâtre des luttes armées, aux falaises sauvages des îles d’Aran sa route croise assassins et victimes au passé trouble. Pourquoi la musique semble-t-elle être le lien qui unit les personnages ? Qui est vraiment cette mystérieuse musicienne ? Quels secrets détient-elle ? Rien ne sera oublié et des larmes rouges, rouge sang, couleront encore longtemps sur l’Irlande du nord.

Ce que j’en pense :

Christopher Smith est un brillant étudiant en droit sur le point de terminer ses études et d’entrer au cabinet de son père, Douglas Foster Smith, brillant avocat d’affaires et membre de la chambre des communes.

Lors d’une fête donnée pour le soixantième anniversaire de son père, il fait la connaissance d’Hazel, une violoniste virtuose venue se produire à cette occasion, magnétique jeune femme, rousse comme seules savent l’être les irlandaises. En bavardant avec elle, il lui avoue jouer du piano, passion qu’il a depuis son tout jeune âge et qu’il a continué à travailler en secret, contre l’avis de son père. Hazel arrive à le convaincre de jouer un morceau, ce dont il s’acquitte avec brio.

Ce qui n’est manifestement pas du goût de son père, qui à la fin de la soirée, le convoque dans son bureau. Lors de la dispute qui s’ensuit, Douglas sous l’emprise de la colère, révèle à Chris qu’il n’est pas son fils, mais le fils de Lorcan Flynn, un terroriste irlandais.

Chris va donc se mettre à la recherche de Hazel, qui sera en mesure de lui révéler plus sur ses origines. Il la retrouve en Irlande, où elle lui remet le journal tenu par son père Lorcan Flynn.

Les chapitres de ce journal, alternant avec l’action au présent, vont lui permettre de visiter le passé et de découvrir son père.

Et à travers l’évolution de ce jeune homme on suit en parallèle l’évolution de son fils Christopher, parti sur ses traces et qui, pour réhabiliter la mémoire de son père, quitte à se mettre en danger, va déterrer des histoires qui ne demandaient qu’à dormir encore.

Ce roman prend racine dans la période qui a violemment secoué l’Irlande dans la deuxième moitié du siècle dernier. Pudiquement dénommée par l’Angleterre sous l’euphémisme « Les Troubles « , cette période de violence et d’agitation politique, initiée par le Mouvement des droits civiques, en réaction à la ségrégation religieuse que subissaient les catholiques, en minorité dans ce pays. Viennent se greffer à ce conflit les dissensions entre loyalistes et unionistes, en désaccord sur l’avenir politique de l’Irlande du Nord. Sont également abordés les complots et les manœuvres ourdis par les services de renseignements militaires anglais (le MI5 pour ne pas le nommer), pour ternir l’image de l’IRA.

C’est donc, à vingt ans d’intervalle, deux histoires semblables qui nous sont racontées, par une sorte d’effet de miroirs, par deux narrateurs différents, Chris/Lorcan à 20 ans d’intervalle.

Les personnages sont psychologiquement très fouillés, très attachants. Lorcan, idéaliste, amoureux de la musique et de la danse irlandaise, dont l’idéal va être perverti par la réalité de l’Irlande, jusqu’à en faire un tueur sans états d’âme, comme le démontre le meurtre de la jeune Priscilla Coolidge.


La danse et la musique sont pour Lorcan un exutoire à toute cette violence qui bouillonne en lui.
« Je sentais la sueur sur mon visage et la morsure du soleil dans mon dos, les clameurs du public. Je faisais peau avec ce monde. Le seul auquel j’ai jamais appartenu. Ma famille. Mon unique patrie. Là où il n’y avait plus ni armes, ni frontières, ni bombes, ni guerre… je devenais LA danse. »

En contrepoint, les personnages de Hazel et Morgane, à 20 ans d’écart, représentent le point d’attache le havre où le héros pourrait enfin trouver la paix du corps et de l’âme. Hazel pour sa part, représente fort bien la dualité de l’Irlande, écartelée dans sa culture, entre les mythes païens et la réalité du monde moderne. Hazel, qui demeure énigmatique durant une bonne partie du récit. Est-elle celle qu’elle prétend être? Les similitudes avec Morgane, la jeune sœur de Lorcan, sont frappantes.

« Je la dévisageai et elle me parut en ce moment-là aussi belle et pourtant aussi éloignée de la femme que j’avais connue à Londres. Comme si deux personnes avaient toujours cohabité en elle sans jamais se croiser. »

Tout au long du roman, le destin des deux jeunes gens, dans le passé et dans le présent, va les confronter à la violence, au meurtre et au sang, rouge comme les larmes sur Belfast. L’intrigue se dénouera vers la fin, avec la découverte des pages manquantes du journal de Lorcan, qui éclaireront d’une lumière bien différente et inattendue la conclusion de cette histoire.

J’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman, beau voyage initiatique mêlant l’intrigue policière, le suspense, avec un soupçon de romance dans le contexte historique dramatique, violent et fratricide de l’Irlande du Nord.
Roman s’appuyant sur une solide documentation, précis sans être ennuyeux, d’une écriture très agréable, émaillé de références à la poésie, à la musique et à la danse, autant de facettes de l’Art qui font partie intégrante de l’âme irlandaise.

Éditions Yoran Embanner, 2011

laurence-fontaine2L’auteur :
Laurence Fontaine, est née à Lille et vit dans le nord de la France. Auteur et  professeur d’Histoire, passionnée de musique et de cinéma, elle a souvent parcouru l’Irlande et les États-Unis.
Elle a publié deux romans policiers sur l’Irlande contemporaine, « Noir dessein en verte Erinn » en 2009, et « Larmes rouges sur Belfast », objet de cette chronique, en 2011.
Son roman d’aventure, « Bleu Eldorado », un road-novel à travers l’Amérique, a reçu le Grand Prix du Roman d’Évasion auprès du jury des lecteurs des Éditions les Nouveaux Auteurs en janvier 2013.

Sam Millar – Les chiens de Belfast

les chiens de Belfast4ème de couv.

Deux mains gauches sont découvertes dans les entrailles d’un sanglier abattu à la chasse. Vingt ans plus tôt, c’étaient des chiens sauvages échappés du zoo qui déchiquetaient les corps…

Et il ne fait pas bon s’attarder dans les bars : une femme mystérieuse — pute ou pas pute ? — attire plusieurs hommes de la ville dans ses filets , puis s’offre à leurs dépens des séances de torture raffinées avant de les achever.

Le soin de démêler les fils sanglants de cette série macabre échoit à Karl Kane, détective privé cabossé par la vie et hanté par un drame digne d’un fantasme de James Ellroy.
Et ce n’est pas la police qui va l’aider.

L’humour noir, très noir, mais cultivé, de Sam Millar est de nouveau présent dans ce premier volet d’une trilogie policière pas comme les autres.

 

 

Ce que j’en pense :

Attention aux âmes sensibles ! Dès le prologue de ce roman, vous pénétrez dans le monde violent et graveleux de Sam Millar. Une jeune femme est agressée par quatre, peut-être cinq hommes, tabassée, violée et sodomisée à tour de rôle et laissée pour morte.

Karl Kane, détective privé, après avoir accepté une affaire relativement simple et lucrative, se trouve pris dans une enquête sur une série de meurtres, commis par une femme particulièrement inventive dans l’exercice de donner la mort avec un maximum de souffrances pour la victime. Ses connaissances dans les bas-fonds de Belfast lui fournissent bien des orientations, mais en même temps l’amèneront à se trouver embringué dans une spirale de morts violentes.

Karl Kane n’est pas l’archétype du détective dur à cuire. Hanté par le meurtre de sa mère alors qu’il était enfant, il éprouve toujours la culpabilité de n’avoir pu faire condamner le coupable. C’est vraiment un privé atypique.  Il n’est pas à l’aise avec les armes, ne fait plus le coup de poing depuis l’école primaire. Il est de plus, ce qui n’est pas très sexy, affligé d’hémorroïdes qui le font cruellement souffrir. Il est également porté sur l’alcool et le tabac. Sa relation avec Naomi, beaucoup plus jeune, lui apporte un certain équilibre.

Le scénario dans lequel navigue notre héros, entre la violence brute des meurtres dont la préparation minutieuse et la sauvagerie laissent supposer un mobile plus personnel et des racines plus profondes, et ses relations pour le moins tendues avec les services de la police, qui ne sont pas des modèles de probité, ne vont pas sans quelques frictions. Ses personnages évoluent dans une Irlande ou la violence semble être perçue comme un état ordinaire, et où le quotidien laisse peu de place à l’espoir ou la rédemption.

L’écriture de Sam Millar, particulièrement tonique, sacrifie volontiers aux codes du roman noir, dans une ambiance souvent macabre et un humour féroce, humour qui vient tempérer la crudité, pour ne pas dire plus, de certains passages, déconseillés aux estomacs délicats. Échantillon de cet humour, le passage relatant la consultation chez le proctologue pour ses hémorroïdes, et la conversation téléphonique à double sens est un grand moment.

L’histoire est menée à bon train, les cadavres s’additionnent, comme autant de jalons qui mèneront notre détective, de manière un peu désordonnée, vers une conclusion  forcément surprenante. Mais cette conclusion laisse encore des questions en suspens, au sujet desquelles on se doute que les deux volets suivants de la trilogie apporteront les réponses.

En conclusion, un bon moment de lecture et j’attends de retrouver Karl Kane dans ses prochaines enquêtes pour lever toutes mes interrogations.

Éditions Seuil Policier 2014

 

L’auteur :

SamMillar2Sam Millar

Né à Belfast il y a une cinquantaine d’années, Sam Millar a été prisonnier politique dans les geôles infâmes de Long Kesh, puis de droit commun aux États-Unis pour avoir conçu et réalisé le 5e casse le plus “cher” de l’histoire américaine. Gracié par Bill Clinton, il est revenu s’installer dans sa ville natale où, devenu écrivain à part entière, il a écrit son autobiographie On the Brinks, deux romans noirs (Poussière tu seras, Points 2013 et Redemption Factory) et la série policière Karl Kane.