Jean-Luc Bizien – Le berceau des ténèbres

Après son dernier voyage mouvementé en Corée du Nord, Seth Ballahan est revenu à New York, où il coule des jours tranquilles, entre son travail de rédacteur en chef du journal et sa famille. A Little Italy et Chinatown, des enfants disparaissent, enlevés en plein jour, sans laisser de traces. Le NYPD ne semble pas très concerné par ces enlèvements. Seth, quant à lui,  pressent que ces disparitions pourraient donner matière à un article. Le naturel du journaliste reprend vite le dessus et, il commence à mettre en branle son réseau d’informateurs pour mener sa propre enquête.

Contrairement à la police, le vieux parrain de la mafia italienne, Vito Del Piero, et son homologue Wang, de la triade chinoise, prennent ces disparitions très au sérieux. Il pourrait s’agir de trafic d’enfants. A l’approche de Noël, la psychose qui pourrait en découler serait sans aucun doute néfaste pour leur business. Ils confient donc à leurs hommes de main la recherche des enfants disparus et la capture de leur ravisseur.
Ces « porte-flingues » n’étant clairement pas formés à ce travail d’investigation, Monsieur Wang, le parrain chinois fait appel au transfuge Paik Dong-Soo, ex-officier du renseignement en Corée du Nord, qui paraît être la personne la plus adaptée à la situation.

Ce que le parrain ignore, c’est que Dong-Soo n’est plus que l’ombre du brillant officier qui est arrivé aux Etats-Unis. Orphelin de son ancien monde et incapable de s’adapter à sa nouvelle vie, il a sombré dans la dépression. Sale et obèse, il passe le plus clair de son temps dans son canapé, dans un laisser-aller suicidaire.
« Paik Dong-Soo eut une moue écœurée en avisant son reflet dans le miroir de la salle de bains. Des cernes violacés soulignaient ses paupières, ses yeux creusaient deux cicatrices noires sur son visage. Sa peau était fripée et terne, ses cheveux longs atteindraient bientôt ses épaules. Pire encore : ses joues bouffies étaient couvertes d’une barbe épaisse, une broussaille de poils qui le transformait en caricature de primate. Pour un peu, il se serait cru de retour en Section 49. »

Il est tout d’abord réticent, mais comme le sort d’enfants est en jeu, il va accepter la mission. Les semaines qui suivent le voient s’astreindre à un entraînement forcené pour se remettre en condition physique et mentale pour être en mesure de remplir la mission qu’on lui a confiée.
Une fois lancé dans la chasse aux indics, les méthodes, plutôt extrêmes, qu’il employait en Corée du Nord vont rapidement porter leur fruits, et dessiner une première esquisse du suspect. Il se fait appeler The Ace, on ne sait si c’est un homme ou une femme, nul ne l’a jamais vraiment vu.  Son identité donne lieu à toutes sortes de spéculations et de fantasmes.
 « Certains disent que c’est un homme, d’autres jurent que c’est une femme. Il apparaît et disparaît, à la manière d’un fantôme. Les gens qui ont entendu sa voix sont incapables de la décrire. Ils disent que c’est un mélange entre une voix d’enfant… et la plainte d’un animal à l’agonie. Quelque chose de doux et grinçant à la fois. »
Au travers de la recherche du kidnappeur se joue également une lutte d’influence entre les deux parrains, chacun voulant s’attribuer le mérite de sa capture.
Seth et Dong-Soo enquêtent séparément, sans rien savoir de l’implication de l’autre. Mais quand leurs recherches les mettent en contact, ils vont comme par le passé, travailler ensemble. Ce qui n’est pas sans poser à Seth quelques problèmes de conscience, car Dong-Soo ne s’embarrasse pas de considérations éthiques pour faire parler ses témoins.

Dès le prologue et le premier chapitre, on entre de plain-pied dans l’action : le lecteur est mis en condition pour plonger dans ce que sera cette histoire, un condensé de violence, de terreur et de douleur.
« Au dessus de moi, le géant se redresse. Je tremble. Mon crâne me fait mal et je voudrais sangloter pour chasser la douleur, mais le monstre me fait trop peur. Je n’ose relever la tête et je ne distingue, à travers le rideau de mes larmes, que sa silhouette massive. Il émet un grognement et je devine la moue écœurée qui prend naissance sur son visage aux traits épais.
L’ogre me regarde un moment en silence, puis il secoue le menton de droite et de gauche avant de libérer un ricanement.
– Regarde-toi ! Tu n’es qu’une pathétique petite merde. Une sale pourriture de gosse, lâche et geignard… »

Jean-Luc Bizien déroule  son histoire comme un film, en une succession de courts plans-séquences, chacun consacré aux différents personnages du roman. Les personnages, parlons-en, justement ! Ils sont nombreux, bien dessinés, depuis nos deux héros, jusqu’aux truands italiens, ou chinois, ou même les personnages de cette cour des miracles qui peuple les souterrains oubliés de la ville. On pourrait craindre de « s’emmêler les crayons » dans toute cette cohorte de personnages, mais non. Ils sont tous clairement identifiés et intégrés à l’histoire. Le découpage et l’articulation de tous ces plans, bien agencés au service d’un scénario bien construit, donnent au récit une dynamique naturelle, qui nous pousse toujours plus avant vers le dénouement.
Comme le dit si justement Bernard Minier, c’est « un putain de page-turner, impossible à lâcher ».

La force de ce roman tient également à la psychologie très travaillée de ses personnages : Seth Ballahan en journaliste obstiné et risque-tout, tiraillé entre son métier de journaliste et le souci de sa famille, Paik Dong-Soo en vengeur mutique, avare de démonstrations futiles, mais d’une redoutable efficacité. Tous deux sont prêts à tout dès que leurs proches sont menacés. Et puis, il y a The Ace, un vrai méchant comme on en fait peu, d’une froide cruauté, d’une intelligence redoutable et d’une imagination fertile dans les sévices qu’il inflige à ses victimes.
« Le loup-garou des souterrains était sûr de sa victoire, sûr de la terreur qu’il inspirait. Il souriait toujours plus, dévoilant une dentition de prédateur. L’intrus était grand, solide… Il devait être lourd. Et probablement trop lent. Il s’accorda encore deux pas, avant de lancer son attaque. »

Les descriptions des quartiers pittoresques de Little Italy et de Chinatown, et la visite des souterrains désaffectés de l’ancien métro de New York donnent au récit une ambiance toute particulière. L’auteur apporte aussi des informations particulièrement intéressantes du point de vue de la médecine légale, notamment sur l’ADN et ses particularités, mais chut… Je n’en dirai pas plus.
En forme de clin d’œil, la présence de Joshua Brolin, le profileur de Portland, Oregon. Il m’a bien fallu quelques chapitres pour percuter et enfin me souvenir : où ai-je déjà vu ce nom ???  
– Bon sang, mais c’est bien sûr !!!   « L’âme du mal », de Maxime Chattam, lu il y a plus de 10 ans…

L’écriture très fluide, le sens du rythme et de la narration sont parfaitement maîtrisés pour nous donner un thriller tout à fait captivant et  je le répète, « impossible à lâcher ».
Un excellent moment de lecture, 480 pages avalées en un rien de temps, que je pourrais résumer en  deux mots : terriblement efficace.
A lire de toute urgence.

Éditions Toucan Noir, 2015

4ème de couv :

le-berceau-des-tenebres-653827Ancien officier des services de renseignements, militaire parfaitement entraîné, le lieutenant Paik Dong Soo est parvenu à quitter l’enfer de son pays-prison, la Corée du Nord. Grâce à son ami le journaliste américain Seth Ballahan, il a réussi à exfiltrer sa femme et son fils et à gagner New York. Pour lui, le plus dur est désormais de s’adapter à ce nouveau monde, où la liberté le paralyse.
Jusqu’au jour où un étrange visiteur fait appel à ses anciennes compétences. Des enfants ont été enlevés en plein Chinatown, les gens sont inquiets et pour les commerçants, la peur est le pire ennemi des affaires. Incapable de son côté de recueillir le moindre renseignement fiable au coeur d’une communauté fermée, la police est impuissante. Pourtant, jour après jour, les rumeurs les plus atroces se propagent.
Il faut intervenir vite. Puisque les voies judiciaires sont lentes, restent les méthodes radicales de Paik Dong Soo. Avec les risques qu’elles comportent…

L’auteur :
Jean-Luc Bizien est né en 1963 à Pnom-Penh. Très jeune, il découvre la bande dessinée et le cinéma.
Il débute dans le Jeu de rôle avec Hurlements (1989), puis Chimères (1994, Prix Casus Belli dans les catégories « Meilleure création française » et « Meilleur jeu de l’année »)
Depuis, il écrit dans tous les genres, passant avec bonheur de la littérature blanche (Marie Joly, éditions Sabine Wespieser, 2004) au thriller, de la jeunesse à la fantasy.

Plus de deux millions cinq cent mille exemplaires de ses livres-jeux (collections « Vivez l’Aventure » et « 50 surprises ») ont été vendus par les éditions Gründ, pour lesquelles il a créé la série Justin Case.

Travailleur insatiable, il vient d’achever avec ce roman La Trilogie des ténèbres pour les éditions du Toucan, poursuit la série La Cour des miracles chez 10-18, songe à une nouvelle série de thrillers historiques et rêve d’écrire un roman dont l’action se déroulerait en Corse, où il vit aujourd’hui.

Ce dernier roman « Le berceau des ténèbres », vient de se voir récompensé du prix « Sang d’encre 2016 » au Salon du Polar de Vienne.

Simone Gélin – L’affaire Jane de Boy

Madrid, janvier 2011. Abril revient dans sa ville natale, après une absence de près de 50 ans.
Cinquante ans plus tôt, dans le village de Jane de Boy, près du bassin d’Arcachon, une petite fille de 3 ans, Jane, joue sur la plage devant sa maison, sous le regard de sa maman. Il est près de 17h, et Justina rentre à l’intérieur pour prendre un gilet.
Une absence d’une minute ou deux, pas plus…

A son retour, la plage est déserte. Jane a disparu. Les recherches entamées immédiatement ne donnent aucun résultat. Jane s’est littéralement volatilisée, sans laisser aucune trace.
Enlèvement ? La récente affaire du petit Eric Peugeot est encore présente dans les mémoires, mais  n’y a pas eu de demande de rançon. De plus, Félix et Justina Ibañez, même s’ils paraissent à l’abri du besoin, ne sont pas d’une extrême richesse.
Le Commissaire Lasserre, en charge du dossier, éprouve pas mal d’empathie pour ces parents déboussolés, dévastés par la disparition de leur fillette. Il fait appel à Hippolyte, un ancien de la maison, qui connait bien le quartier Saint-Michel, « la petite Espagne », et qui pourra ainsi activer son réseau de connaissances et d’indics.
Le comportement de Félix et Justina, ce jeune couple d’immigrés espagnols, intrigue les policiers. Pourquoi avoir émigré en France ? Ils n’avaient rien ni personne à fuir dans leur pays. Justina est même la fille d’un haut responsable de la Phalange, le parti du Général Franco. Ils ne se sont pas non plus intégrés à la communauté espagnole du quartier Saint-Michel. Ne cachant pas leur peu de sympathie pour le régime franquiste, ils ne militent pourtant dans aucun mouvement.
De plus, Félix a récemment monté une affaire d’import- export de produits espagnols, qui lui assure de bons revenus, mais que l’on pourrait imaginer comme paravent à un quelconque trafic.
Dans la maison à côté vivent Sarah, la seule amie du couple, et son fils Paul. Sarah, à peine âgée de 15 ans, a échappé à la déportation en couchant avec des soldats S.S. Tondue à la libération, elle évoque cet épisode sans aucune gêne, et arrondit ses fins de mois en se prostituant occasionnellement.
Alternant avec les chapitres consacrés à l’enquête, Abril, une jeune espagnole, raconte dans une longue lettre sa jeunesse, son passé de militante anarchiste, son premier amour, sa grossesse et la naissance de Nieves…

« Il ne me connaissait pas, et pour cause ! Ma mère ne savait encore pas que j’étais en route quand il avait été arrêté en 39…
Je voyais cet homme, grand, raide dans ses habits comme s’il portait tout le malheur du monde caché sous sa veste, un pantalon de flanelle flottant sur sa maigreur, une figure allongée, faite de rectangles et de lignes droites, des os saillants, maxillaires apparentes, des yeux qui paraissaient perdus dans un ailleurs que lui seul pouvait voir, capables en même temps de pénétrer intensément les miens, une bouche de géant qui lui mangeait tout le visage, il me faisait peur.
Je me jetai au cou de ma mère et lui demandai à l’oreille si c’était un ogre qui tendait les bras pour me prendre. Elle rit : »C’est ton père, Abril. » »

Au-delà de deux magnifiques portraits de femmes, de part et d’autre des Pyrénées, l’une et l’autre confrontées à la perte d’un enfant, ce roman nous plonge dans les tristes heures d’un passé pas si lointain. A cette époque où le gouvernement français encourageait la collaboration de la police française avec les services secrets de Franco, ce dictateur enfin devenu « fréquentable ». Cette collaboration consistait bien souvent à rechercher des anti-franquistes réfugiés en France, en vue de leur élimination.

Ce roman aborde également le thème des enfants volés, enlevés à des jeunes femmes dans une situation difficile, pour être proposés à l’adoption, ou même vendus à des couples en mal d’enfant.

S’appuyant sur une solide documentation historique, et  beaucoup de témoignages « de première main », ce roman a valeur de document sur cette période récente.

D’une écriture agréable et poétique, sans aucune outrance, Simone Gélin nous propose une intrigue habilement construite, mêlant la fiction avec des évènements réels de notre Histoire récente, imbriqués de façon très étroite à son roman, sans que cela ne nuise à sa fluidité. Elle pose un regard plein de bienveillance et d’amour sur ces hommes et ces femmes, victimes d’un régime inique et de pratiques indignes.
La scène finale, au cœur de la manifestation de la Puerta del Sol, en janvier 2011 à Madrid, en mémoire des enfants volés, est porteuse d’une intense émotion.

« Regards éperdus, en quête d’un ou d’une inconnue, d’une part d’eux-mêmes qu’on leur a dérobée à la naissance. Certains brandissent des pancartes comme s’ils jetaient des bouteilles à la mer. Des dates, des lieux, des appels au secours….
Une multitude de ballons blancs est lâchée.
Des ballons pour des enfants volés, qui s’élèvent dans le ciel gris de Madrid. »

Comme avec « Le journal de Julia « , et les sujets qu’elle aborde, Simone Gélin a su encore une fois me toucher au cœur, car j’ai retrouvé au travers de ce livre pas mal de points communs avec ma propre histoire.

Un immense merci pour ce très beau roman, que j’ai reçu comme un magnifique cadeau, et qui fut pour moi l’occasion d’un excellent moment de lecture, un véritable coup de cœur.

Éditions Vents salés, mai 2016

 

4ème de couv :

Jane-de-Boy_2240En 1960, dans le village de Jane de Boy, une petite fille de 3 ans disparaît sur la plage.
Enlèvement ? Crime politique, passionnel, crapuleux ?
Qu’est venu faire en France ce jeune couple d’Espagnols, Felix et Justina ? Que sait Sarah, la voisine, prostituée du samedi soir ? Le commissaire Lasserre s’interroge, aidé par son vieux camarade Hippolyte.
L’enquête se déroule à Bordeaux, dans l’ambiance du mythique hôtel de police de Castéja, au cœur du quartier Saint-Michel, dans les ruelles de la petite Espagne, au marché des Capus… Et se corse aux bassins à flot.

L’ auteure :

Enseignante retraitée, Simone Gélin vit à Lège-Cap-Ferret, dans la région de Bordeaux.
Elle a obtenu le prix de la nouvelle au salon d’Hossegor pour « Entre chiens et loups ».
« L’affaire Jane de Boy » est son cinquième roman.

Autres romans :
« La fille du port de la lune » (2010)
« Le banc de l’injustice » (2011),
« Le journal de Julia » (2013) ,
« Le truc vert »  (2014)

 

Val Mc Dermid – Lignes de fuite

Aéroport de Chicago, Contrôle de l’Immigration: Stéphanie Harker, débarque aux États-Unis en compagnie de Jimmy, un petit garçon. En passant sous les portiques de sécurité, la plaque de métal qu’elle a dans la jambe, séquelle d’un accident de voiture, déclenche l’alarme. Pendant qu’on l’isole dans une cabine pour la fouiller elle voit, impuissante, Jimmy  emmené par une personne portant un uniforme de la Sécurité. Elle se débat pour essayer de les arrêter et reçoit deux décharges de taser. Une fois revenue à elle, après avoir réussi à s’expliquer, il sera trop tard. Jimmy et son ravisseur se seront volatilisés dans la foule des voyageurs.

« Elle tourna la tête vers Jimmy. Un agent de la sécurité avait entamé une conversation avec lui. Un homme de grande taille vêtu de l’uniforme de l’AST, pantalon noir et chemise bleue. Mais il y avait quelque chose qui clochait chez lui. Stéphanie fronça les sourcils. Il portait une casquette, voilà ce qui n’allait pas. Les autres agents avaient la tête nue. Elle vit l’homme prendre la main de Jimmy.
L’espace d’une seconde, elle ne parvint pas à en croire ses yeux. Jimmy suivit docilement cet homme qui le mena hors de la zone de contrôle, en direction du hall où des dizaines de personnes allaient et venaient. Ils ne jetèrent pas un seul coup d’œil derrière eux.
— Jimmy ! cria-t-elle. Jimmy, reviens ici !
Ses cris furent étouffés par la cabine en Plexiglas. L’homme et l’enfant continuèrent de s’éloigner. Inquiète à présent, elle tambourina sur la paroi en indiquant le hall.
— Mon fils ! Quelqu’un a pris mon fils ! »

Dès le début du roman, Val Mc Dermid nous captive dans un suspense à couper le souffle, les premiers chapitres sont d’une redoutable efficacité. On se trouve pris avec Stéphanie dans la spirale de l’angoisse, en se demandant sur quoi tout cela va bien pouvoir déboucher. Qui a enlevé Jimmy? Et pourquoi ?

Vivian Mc Kuras, une enquêtrice du FBI, est chargée de l’enquête. Stéphanie va fouiller au plus profond dans son passé, pour expliquer à Vivian les racines de leur histoire et sa relation avec cet enfant, qui n’est pas son fils biologique. Raconter aussi son interaction avec Scarlett, la mère de l’enfant, un star de la téléréalité dont elle rédigeait les mémoires, et avec qui elle s’était liée d’amitié, jusqu’à adopter son fils après son décès.

A partir de là, le rythme se ralentit quelque peu, passant de l’agitation frénétique du début à un tempo plus mesuré lors de la mise en place des différents personnages, depuis Stéphanie elle-même et son propre petit ami autoritaire et possessif, la  famille de Scarlett,  ses agents cyniques à souhait, jusqu’à son ex-mari Joshua, un DJ dilettante et drogué. Chacun des personnages est vu comme un suspect potentiel, ce qui ajoute au caractère prenant de l’intrigue.

Tout au long du roman  l’ auteur, elle-même ancienne journaliste de tabloïd, se livre à une virulente critique contre les médias, et plus précisément les émissions de télé-réalité et ses vedettes préfabriquées, immédiatement consommables et jetables. Elle prend également pour cible le monde de l’édition et son hypocrisie. Il est clair qu’elle connaît ce milieu comme personne, et sa façon de décrire la vie des aspirants à la célébrité est tout à fait séduisante.

 » Les douze candidats retenus doivent être citadins et dépourvus de sens pratique. Ils sont conduits sur l’île en bateau où ils doivent se mettre à l’abri et trouver de la nourriture. L’émission est divertissante en cela qu’elle montre des citadins désœuvrés sur une île déserte. « …
« J’ai soupiré en me remémorant ce premier épisode. La panique des candidats quand ils avaient compris que leurs connaissances étaient complètement inutiles une fois sortis de la ville. Leur dégoût face à la nature. Leur ébahissement de voir des aliments pousser à même la terre. C’était à la fois comique et tragique. Leur ignorance était embarrassante. Ils s’en seraient sans doute mieux sortis si on les avait abandonnés sur Mars. »

Tous sont complices, pour leur plus grand profit,  dans cette grande foire aux vanités qu’est devenue la société des people au 21ème siècle. En cela le personnage de Scarlett Higgins est clairement inspiré de Jane Goody  vedette de  britannique de téléréalité décédée d’un cancer en 2009.

Mais tout ceci ne doit pas nous faire oublier le principal. L’intrigue en elle-même, diaboliquement bien construite, en alternance de chapitres entre présent et passé. Le mobile et le coupable de l’enlèvement se trouvant sans aucun doute dans l’histoire passée de Stéphanie et de Scarlett, et de leurs proches. Comme on pourrait s’y attendre de la part de Val Mc Dermid, le scénario est particulièrement complexe, avec son lot de fausses pistes et de retournements de situation vraiment bien amenés.

Les deux trames du récit sont très bien déroulées, autant les rappels de la vie passée de Scarlett et de Jimmy, que les enquêtes policières conduites de part et d’autre de l’Atlantique, tout cela convergeant vers une ligne de fuite finale… absolument époustouflante!

L’écriture de Val Mc Dermid a ceci d’incroyablement rare, c’est qu’elle parvient à nous délivrer un authentique page-turner qui fait appel à l’intelligence du lecteur, et ne nous donne rien pour acquis.

Mené de main de maître  par une experte du contre-pied, c’est un très bon roman, d’ une des reines incontestées du thriller psychologique moderne!

Éditions Flammarion, mars 2015.

4ème de couv:

lignes de fuite_Stéphanie Harker franchit les contrôles de sécurité à l’aéroport quand elle voit son fils, devant elle, se faire embarquer par un homme en uniforme. Prise de panique, elle sonne l’alerte. Mais les autorités n’ayant pas assisté à la scène la pensent folle et le fuyard a du temps pour s’éloigner. Alors que Stéphanie raconte sa version des faits au FBI, il devient évident que cette histoire est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Pourquoi quelqu’un voudrait kidnapper Jimmy ? Par quels moyens Stéphanie peut-elle le faire revenir ?

L’auteur :

Val McDermid, née en 1955 à Kirkcaldy, en Écosse, est une auteure écossaise de roman policier.
Son œuvre, qui développe les thèses féministes et engagées de l’auteur, compte trois séries policières aux héros récurrents distincts : Lindsay Gordon, une journaliste lesbienne apparue dans son tout premier roman, partage plusieurs points communs avec Val McDermid ; Kate Brannigan, une détective privée ; enfin, le Dr Tony Hill, profiler, et l’inspectrice Carol Jordan mènent des enquêtes dans des milieux particulièrement glauques et violents. Les romans de Val McDermid sont d’ailleurs associés au Tartan noir, une conjonction stylistique entre le roman noir et la culture écossaise.
(Source : Wikipedia)

Ryan David Jahn – Emergency 911

Il y a deux mois, Ian Hunt a enterré sa fille Maggie. Elle a été enlevée il y a sept ans, on n’a jamais découvert de corps. Depuis, la famille de Ian a explosé, sa femme Rebecca l’a quitté et s’est mariée à un autre homme dont elle a eu deux enfants. Il a coupé les ponts avec son fils Jeffrey, qui gardait sa sœur un soir où ils étaient sortis dîner dehors, et qu’il rend inconsciemment responsable. Pour que son ex-femme puisse faire le deuil de cet enfant, il lui a concédé d’organiser des funérailles et d’enterrer un cercueil vide. Mais Ian, seul au milieu du champ de ruines qu’est devenue sa vie, a gardé espoir de retrouver sa petite Maggie.
« Il est assis derrière le standard du poste de police de Bulls Mouth sur Crouch Avenue, qu’il a comme d’habitude pour lui tout seul, même si à coup sûr il lui suffirait de passer la tête à la porte de la pièce de devant pour voir le capitaine Davis penché en arrière dans son fauteuil, les pieds sur le bureau et le Stetson sur les yeux…. Maniant la souris devant lui, il s’adonne à une partie de solitaire sur l’ordinateur qui centralise les appels téléphoniques. Si les gens en ville savaient que c’est comme ça qu’il passe quatre-vingt-quinze pour cent de son temps, ils piqueraient une crise. »

Et lorsqu’un soir, au cours de l’une des permanences qu’il assure au central du bureau du shérif, il reçoit un appel sur le 911, la voix d’une jeune fille qui demande de l’aide, une jeune fille qui lui dit s’appeler Maggie Hunt, il reconnaît la voix. Après un bref dialogue, pendant lequel Maggie n’a pas eu le temps de lui donner beaucoup de détails, la communication est rompue, et Maggie lui est arrachée à nouveau.

Avec le peu d’éléments dont il dispose, une adresse d’où Maggie a passé son appel, une vague description de son ravisseur, Ian va se lancer à sa recherche pour ramener sa fille, quel qu’en soit le prix, dans un road-movie suicidaire et désespéré. Et le long de l’Interstate 10, de motels minables en villes abandonnées, dans des paysages sinistres et désolés, commence alors une course-poursuite, contre le temps, et contre la mort. Celle de Maggie, aux mains de son ravisseur, celle de Ian, blessé par balle au poumon lors de la fuite d’Henry et dans un état de faiblesse extrême. Il pourra heureusement compter sur l’aide et le soutien de son ami Diego.

L’auteur développe son histoire à travers les différents points de vue des personnages principaux du roman, Ian lui-même, le ravisseur, Maggie et Diego, un des amis policiers de Ian Hunt, chacun des personnages apportant un éclairage différent dans la progression de l’intrigue. La narration, composée au passé et au présent, donne à ce récit un rythme binaire qui s’accorde très bien à l’histoire, alternant les moments de regrets et d’espoir déraisonnable et fou de Maggie et de son père.

La psychologie des personnages est bien étudiée : Henry, qui ne doit qu’à son désir d’accéder aux désirs de Béatrice, d’être le monstre qu’il est devenu, réagissant à chaque situation de manière primaire, et s’enferrant de plus en plus dans le crime, sans espoir de retour en arrière. Il a agi ainsi par amour pour sa femme, pour remplacer l’enfant qu’ils avaient perdu et préserver ainsi son équilibre mental. Selon l’auteur, rares sont les personnes qui commettent le mal intentionnellement, elles commettent de mauvaises actions qui ont des justifications humaines personnelles.

Quand à Ian, la colère qu’il ressent lorsqu’il découvre ces cadavres de jeunes enfants dans le champ d’Henry, la colère qu’il ressent à ce moment-là oblitère tout ce qui était bon en lui, lui faisant ressentir à quel point il aime sa fille, et l’amener à sacrifier ce à quoi il croyait, son mode de vie bien réglé, pour ramener son enfant chez  lui. Et au fur et à mesure du roman, il devient comme le monstre qu’il est en train de chasser.

Et Maggie, sa force de caractère suscite l’admiration. Enfermée dans une cave, attachée et battue quand elle n’est pas la petite Sarah que veulent les ravisseurs, elle s’invente un ami imaginaire « Borden » et, dans sa tête, compte interminablement, remplissant son esprit de nombres pour ne pas y laisser de place à la terreur ou au désespoir.

Ce roman est également une occasion de mettre à mal le mythe de la famille américaine idéale :un papa, une maman, deux enfants dans une maison entourée de barrières blanches. Cette image est un rêve, une idéalisation de la réalité.

La violence qu’il y a dans ce roman est symptomatique de la société américaine, comme nous le dit l’auteur : « Mais c’est Burroughs qui avait raison : l’Amérique n’est pas un jeune pays. L’Amérique est vieille, sale, mauvaise. Elle était là depuis des millions d’années, à attendre, silencieuse ; elle était la terre des bêtes qui ne connaissaient que le langage de la chasse et de la violence, et elle attendait ; depuis une éternité elle était mauvaise, dangereuse, et elle attendait. »
Sous cette apparence pacifique de l’Amérique, il y a cette violence profonde qui ne demande qu’à s’exprimer. Selon les mots de l’auteur « Mon livre est quelque part une réflexion sur le rêve américain qui se transforme en cauchemar. »

On peut faire le rapprochement avec l’affaire Jaycee Duggard, qui fit la une des médias américains alors que ce roman était en cours d’écriture. Cette jeune fille qui avait enlevée et séquestrée pendant plus de dix ans réussit à échapper à ses ravisseurs et retrouver sa famille. Il avait déjà son histoire en tête lorsque l’affaire a éclaté, mais consciemment ou non, cette affaire et d’autres dans le même genre ont du avoir une incidence sur son écriture.

Roman, à déconseiller aux âmes sensibles, au suspense impeccablement orchestré, qui monte en puissance et en intensité dramatique tout au long du roman jusqu’à un dénouement que l’on imagine forcément fatal… Mais pour qui ?
Une vision assez pessimiste de l’Amérique contemporaine, finalement assez paranoïaque, très loin de l’idyllique rêve américain.
Un excellent moment de lecture, que je vous recommande.

Éditions Actes Sud (Babel Noir), 2013

4ème de couv.

Emergency 911À Bulls Mouth, Texas, quand on fait le 911, on tombe directement sur le Bureau du shérif. Collé derrière le central, son adjoint Ian passe ses journées à jouer aux cartes sur l’écran de son ordinateur tout en répondant aux rares appels d’urgence. Il faut dire qu’il n’a plus du flic que l’uniforme. Il y a sept ans, sa fille Maggie a été kidnappée dans sa chambre. L’en – quête n’a rien donné et on n’a jamais retrouvé la moindre trace de la petite. Quelques mois plus tôt, elle a été déclarée morte. Depuis, Ian s’est mis à boire, sa femme l’a quitté et le shérif lui a retiré son arme de service.
Ce jour-là, il lui reste une heure à tirer quand il reçoit un coup de fil un peu spécial. “Je vous en prie, aidez-moi !” Ça fait sept ans qu’il n’a pas entendu sa voix, alors au début il ne la reconnaît pas. Pourtant c’est bien elle. Sa petite fille l’appelle au secours. Elle a réussi à s’échapper et à trouver une cabine téléphonique. Mais la conversation est brutalement écourtée. Son ravisseur vient de la rattraper.
Il n’a à peu près rien : une description sommaire du kidnappeur et la localisation de la cabine, où un combiné doit se balancer au vent. Mais à peu près rien, c’est déjà quelque chose, et il ne laissera pas Maggie disparaître une seconde fois. Alors il prend son SIG Sauer, grimpe dans sa Mustang 1965 et part à sa recherche. Du Texas à la Californie, il enfile l’Interstate 10 à tombeau ouvert sur la trace du monstre qui lui a volé sa vie.

L’auteur :

ryandavidjahnNé en 1979, Ryan David Jahn vit à Los Angeles.
Écrivain et scénariste, son premier roman De bons voisins (Actes noirs, 2012 ; Babel noir n° 86) a été Couronné par la Crime Writers’Association, et a également rencontré la faveur de la critique et du public français.