Simone Gélin – L’affaire Jane de Boy

Madrid, janvier 2011. Abril revient dans sa ville natale, après une absence de près de 50 ans.
Cinquante ans plus tôt, dans le village de Jane de Boy, près du bassin d’Arcachon, une petite fille de 3 ans, Jane, joue sur la plage devant sa maison, sous le regard de sa maman. Il est près de 17h, et Justina rentre à l’intérieur pour prendre un gilet.
Une absence d’une minute ou deux, pas plus…

A son retour, la plage est déserte. Jane a disparu. Les recherches entamées immédiatement ne donnent aucun résultat. Jane s’est littéralement volatilisée, sans laisser aucune trace.
Enlèvement ? La récente affaire du petit Eric Peugeot est encore présente dans les mémoires, mais  n’y a pas eu de demande de rançon. De plus, Félix et Justina Ibañez, même s’ils paraissent à l’abri du besoin, ne sont pas d’une extrême richesse.
Le Commissaire Lasserre, en charge du dossier, éprouve pas mal d’empathie pour ces parents déboussolés, dévastés par la disparition de leur fillette. Il fait appel à Hippolyte, un ancien de la maison, qui connait bien le quartier Saint-Michel, « la petite Espagne », et qui pourra ainsi activer son réseau de connaissances et d’indics.
Le comportement de Félix et Justina, ce jeune couple d’immigrés espagnols, intrigue les policiers. Pourquoi avoir émigré en France ? Ils n’avaient rien ni personne à fuir dans leur pays. Justina est même la fille d’un haut responsable de la Phalange, le parti du Général Franco. Ils ne se sont pas non plus intégrés à la communauté espagnole du quartier Saint-Michel. Ne cachant pas leur peu de sympathie pour le régime franquiste, ils ne militent pourtant dans aucun mouvement.
De plus, Félix a récemment monté une affaire d’import- export de produits espagnols, qui lui assure de bons revenus, mais que l’on pourrait imaginer comme paravent à un quelconque trafic.
Dans la maison à côté vivent Sarah, la seule amie du couple, et son fils Paul. Sarah, à peine âgée de 15 ans, a échappé à la déportation en couchant avec des soldats S.S. Tondue à la libération, elle évoque cet épisode sans aucune gêne, et arrondit ses fins de mois en se prostituant occasionnellement.
Alternant avec les chapitres consacrés à l’enquête, Abril, une jeune espagnole, raconte dans une longue lettre sa jeunesse, son passé de militante anarchiste, son premier amour, sa grossesse et la naissance de Nieves…

« Il ne me connaissait pas, et pour cause ! Ma mère ne savait encore pas que j’étais en route quand il avait été arrêté en 39…
Je voyais cet homme, grand, raide dans ses habits comme s’il portait tout le malheur du monde caché sous sa veste, un pantalon de flanelle flottant sur sa maigreur, une figure allongée, faite de rectangles et de lignes droites, des os saillants, maxillaires apparentes, des yeux qui paraissaient perdus dans un ailleurs que lui seul pouvait voir, capables en même temps de pénétrer intensément les miens, une bouche de géant qui lui mangeait tout le visage, il me faisait peur.
Je me jetai au cou de ma mère et lui demandai à l’oreille si c’était un ogre qui tendait les bras pour me prendre. Elle rit : »C’est ton père, Abril. » »

Au-delà de deux magnifiques portraits de femmes, de part et d’autre des Pyrénées, l’une et l’autre confrontées à la perte d’un enfant, ce roman nous plonge dans les tristes heures d’un passé pas si lointain. A cette époque où le gouvernement français encourageait la collaboration de la police française avec les services secrets de Franco, ce dictateur enfin devenu « fréquentable ». Cette collaboration consistait bien souvent à rechercher des anti-franquistes réfugiés en France, en vue de leur élimination.

Ce roman aborde également le thème des enfants volés, enlevés à des jeunes femmes dans une situation difficile, pour être proposés à l’adoption, ou même vendus à des couples en mal d’enfant.

S’appuyant sur une solide documentation historique, et  beaucoup de témoignages « de première main », ce roman a valeur de document sur cette période récente.

D’une écriture agréable et poétique, sans aucune outrance, Simone Gélin nous propose une intrigue habilement construite, mêlant la fiction avec des évènements réels de notre Histoire récente, imbriqués de façon très étroite à son roman, sans que cela ne nuise à sa fluidité. Elle pose un regard plein de bienveillance et d’amour sur ces hommes et ces femmes, victimes d’un régime inique et de pratiques indignes.
La scène finale, au cœur de la manifestation de la Puerta del Sol, en janvier 2011 à Madrid, en mémoire des enfants volés, est porteuse d’une intense émotion.

« Regards éperdus, en quête d’un ou d’une inconnue, d’une part d’eux-mêmes qu’on leur a dérobée à la naissance. Certains brandissent des pancartes comme s’ils jetaient des bouteilles à la mer. Des dates, des lieux, des appels au secours….
Une multitude de ballons blancs est lâchée.
Des ballons pour des enfants volés, qui s’élèvent dans le ciel gris de Madrid. »

Comme avec « Le journal de Julia « , et les sujets qu’elle aborde, Simone Gélin a su encore une fois me toucher au cœur, car j’ai retrouvé au travers de ce livre pas mal de points communs avec ma propre histoire.

Un immense merci pour ce très beau roman, que j’ai reçu comme un magnifique cadeau, et qui fut pour moi l’occasion d’un excellent moment de lecture, un véritable coup de cœur.

Éditions Vents salés, mai 2016

 

4ème de couv :

Jane-de-Boy_2240En 1960, dans le village de Jane de Boy, une petite fille de 3 ans disparaît sur la plage.
Enlèvement ? Crime politique, passionnel, crapuleux ?
Qu’est venu faire en France ce jeune couple d’Espagnols, Felix et Justina ? Que sait Sarah, la voisine, prostituée du samedi soir ? Le commissaire Lasserre s’interroge, aidé par son vieux camarade Hippolyte.
L’enquête se déroule à Bordeaux, dans l’ambiance du mythique hôtel de police de Castéja, au cœur du quartier Saint-Michel, dans les ruelles de la petite Espagne, au marché des Capus… Et se corse aux bassins à flot.

L’ auteure :

Enseignante retraitée, Simone Gélin vit à Lège-Cap-Ferret, dans la région de Bordeaux.
Elle a obtenu le prix de la nouvelle au salon d’Hossegor pour « Entre chiens et loups ».
« L’affaire Jane de Boy » est son cinquième roman.

Autres romans :
« La fille du port de la lune » (2010)
« Le banc de l’injustice » (2011),
« Le journal de Julia » (2013) ,
« Le truc vert »  (2014)

 

Simone Gélin – Le journal de Julia

Un jour de mai 1975, Amélie, une petite fille, traverse la route en courant après son ballon, Julia se précipite pour l’arrêter au moment où surgit une Alfa Romeo que conduit Lucio. L’accident est évité de justesse, Julia a seulement été frôlée par la voiture. Ce jour, cette rencontre vont marquer le point de convergence de leurs existences, pour Julia et Lucio le début du bonheur, mais également le compte à rebours du malheur.

Vingt-cinq ans plus tard, sur les cimes dominant l’Espagne, se tient un vieil homme  :
« Enfin, il s’assit sur la frontière. Le vertige. Du haut de son promontoire, il sillonnait l’Espagne, survolait la chaîne, les cimes, et s’enfonçait dans les vallées. Sous les rayons de l’après-midi, l’automne chatoyait. Grenats, jaunes safranés, pourpres, vermeils, ocres ensoleillés trouaient d’or, de cuivre et de sang la masse vert sombre des sapins, mais le flanc de montagne, aspergé de lumière, modelé par la palette de couleurs, pouvait bien essayer de rivalise avec une toile impressionniste , Emilio ne se donnait pas la peine de monter jusqu’ici pour contempler le paysage Il venait nourrir sa mémoire, au cas où la camarde s’amènerait un soir sans lui avoir envoyé de préavis. Il voulait partir en se souvenant de la patrie et aussi de tous ceux qu’il avait vu tomber de ce côté des Pyrénées. Il voulait pouvoir jusqu’au bout se rappeler les visages de ces hommes qui avaient accepté, le sourire aux lèvres, de faire le sacrifice de leur vie. Ne jamais oublier leur courage incommensurable. »

Ce roman s’étire sur trois époques : Les années 30, avec le franquisme et la guerre civile en Espagne, les années 70, où l’on assiste à la rencontre de Julia et de Lucio, de leur amour naissant et des évènements dramatiques qui s’ensuivront, et les années 2000, avec le retour du grand-père et de son petit-fils en terre de Provence, en quête de vérité et de réhabilitation.

« Ils voient des femmes qui hurlent comme des louves, serrant leurs enfants morts contre leur poitrine. Les survivants errent comme des morts-vivants dans les rues jonchées de cadavres, croisant des mutilés hagards au milieu des ruines, des chiens et des chats à moitié fous eux aussi, dans un silence interrompu de temps en temps par des cris déchirants qui s’élèvent au-dessus des décombres, des cendres et de la fumée. Un décor de fin du monde. »

Engagé dans la lutte anti fasciste à 16 ans, il a vu le nuage de mort sur Guernica, et son père Juan tué à ses côtés dans les combats. Sa mère Pilar, suite à une dénonciation, sera emmenée et exécutée en pleine rue « pour faire des exemples ».
« Ils tremblent tous en silence, sur la place. Ceux qui sont à genoux, mais aussi ceux qui sont debout, en rond, tout autour.
Et puis tout à coup, des voix s’élèvent, Pilar se demande si elle rêve ou si ce qu’elle entend est bien réel. Dolores la regarde et sourit.
-Chante, Pilar ! Chante !
Pilar articule les premières paroles de ce chant révolutionnaires des Asturies qu’elle connaît par cœur.
« Asturies, terre sauvage, Asturies, terre de combattants ! »
Sa voix pure s’élève au-dessus des autres, alors elle reçoit une rafale de mitraillette en pleine poitrine. Juste le temps de balbutier : « Emilio ». »

Les mots me manquent pour décrire l’émotion qui m’a saisi à la lecture de la scène où Pilar entonne son chant révolutionnaire, sa voix s’élevant au-dessus du tumulte et des balles qui vont lui hacher la poitrine.

Les deux personnages principaux sont d’une épaisseur psychologique peu commune. A eux seuls, ils captent toute la lumière du roman, ne laissant aux autres que des miettes.
Emilio, le grand-père, magnifique personnage, tout en émotion, animé par une soif de justice et une colère contenue, depuis ses jeunes années. Sa vie n’est qu’une longue suite de deuils.

Julia est une jeune femme d’une grande noblesse, pleine d’empathie, une institutrice enthousiaste et toute dévouée à ses élèves, digne représentante des « hussards de la république » qui ont fait la grandeur de l’École publique. Douée d’une force d’âme hors du commun, elle est le soutien de Lucio dans toutes les épreuves qu’il traverse.
Lucio, le compagnon de Julia, et Nino ont moins d’importance dans le récit, même si ce sont eux sur qui repose l’histoire, et la quête du fils pour réhabiliter le père.

Ce roman est avant tout une histoire d’amour, mais aussi un vibrant plaidoyer contre les injustices, et plein d’humanisme quand il s’agit de dénoncer les excès du franquisme, et le comportement de l’État Français, dans l’accueil des réfugiés, ou bien l’absurdité et la barbarie de la peine de mort, ce qui faisait dire à Maître Robert Badinter, «La guillotine, c’est prendre un homme vivant et le couper en deux morceaux.» 

Écrit avec finesse, d’une grande intelligence, magnifiquement construit et articulé, ce roman est baigné d’une sensibilité et d’une émotion à fleur de peau. Et je le répète, empreint d’une grande humanité. Un vrai coup de cœur !

Éditions Anne Carrière, 2013

4ème de couv :

lejournaldejulia2En 2003, à bord d’un cabriolet Alfa Romeo des années 1970, Nino et son grand-père Emilio sillonnent la France du Pays Basque aux routes de Provence. Ils sont déterminés à exiger la révision d’un procès, ou à rendre justice à leur manière.
Le journal de Julia, la mère de Nino, accompagne leur périple. Ils relate les évènements dramatiques de 1975, alors que Julia était institutrice dans une petite école de Provence. Une fillette avait été assassinée et Lucio, le compagnon de Julia, arrêté.
Vingt-sept ans plus tard, peut-on demander des comptes à la justice ? Jusqu’où le grand-père et son petit-fils sont-ils prêts à aller ?
Un roman d’amour et de haine où se mêlent action et émotion.

L’auteure :

gelin2Enseignante retraitée, Simone Gélin vit à Lège-Cap-Ferret.
Après « La fille du port de la lune » (2010) et « Le banc de l’injustice » (2011),
« Le journal de Julia » (2013) est son troisième roman.
« Le truc vert » est paru en 2014.
Elle a obtenu le prix de la nouvelle au salon d’Hossegor pour « Entre chiens et loups »