En 1975 au Mexique, en pleine opération Condor, des hélicos aspergent de désherbant toutes les cultures d’opium, dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue.
« Ici, on ne récolte pas le riz, on récolte l’opium. Il entend le barattage sourd des rotors d’hélicoptères et lève la tête. Comme pour des tas de mecs qui ont fait le Vietnam, le “whop-whop-whop” des pales est évocateur. Ouais, mais de quoi ? se demande-t-il, avant de décider qu’il existe certains souvenirs qu’il vaut mieux ne pas déterrer. »
Art Keller, agent de la DEA américaine, se trouve sur place pour coordonner l’opération. L’élimination physique de Don Pedro Aviles, seigneur de la drogue du Sinaloa, est aussi au programme.
« La DEA est une organisation encore vagissante, à l’époque, elle avait à peine deux ans. En déclarant la Guerre à la Drogue, Richard Nixon avait dû trouver les soldats pour la livrer. La plupart des nouvelles recrues venaient de l’ancien Bureau des narcotiques et des drogues dangereuses ; beaucoup appartenaient à différents services de police du pays. Pourtant, au moment de la mise en place de la DEA, les hommes, pour un grand nombre, venaient de la Compagnie. »
Tout au long de trente ans d’histoire, de 1975 à 2004, l’auteur brosse un portrait saisissant de la situation géopolitique en Amérique centrale. Il nous raconte l’histoire du « Tremplin Mexicain », autrement dit le trafic de cocaïne « de Medellin aux États-Unis via le Honduras et le Mexique », à travers ces pays où les régimes et les fortunes se font et se défont au gré des alliances passées ou non avec les gros producteurs et trafiquants de drogue.
Je ne me hasarderai pas à essayer de vous raconter l’intrigue, particulièrement touffue et rendue d’autant plus complexe et prenante, par les différentes connexions entre la Mafia, les barons de la drogue Mexicains ou Colombiens et un gouvernement américain qui ferme les yeux sur les cargaisons de coke, la « boue mexicaine ».
Le fil conducteur du roman est le combat entre Art Keller, et Adan Barrera, l’héritier aux dents longues d’une toute puissante famille des cartels mexicains. Tout d’abord amis, les deux hommes en viendront à s’opposer de plus en plus violemment, car l’obsession de Keller est de faire tomber l’organisation de Barrera, le nouveau patron du cartel, quitte à y sacrifier sa vie de mari et de père.
Cette volonté farouche est le moteur de ce roman, par ailleurs tentaculaire, avec une galerie de personnages aussi variés tels que Adán et Raúl Barrera, les héritiers désignés; Sean Callan, un tueur à gages irlandais ; Nora Hayden, une prostituée de luxe ; un truand surnommé Peaches, amateur de pêches au sirop ; le Père Juan Parada, évêque peu orthodoxe ; et Ramos, un incorruptible flic Mexicain.
Tous ces personnages ne sont ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais. Les pires salauds peuvent se révéler des parents aimants, des gens soucieux de faire le bien de leur communauté, fut-ce aux dépens des autres. Ils sont le reflet de l’image que nous renvoient ces pays, en proie à leurs propres contradictions.
Une fois commencée la lecture, vous êtes pris dans l’engrenage. D’un personnage à l’autre, et de chapitre en chapitre, l’auteur vous entraîne dans un véritable maelstrom d’émotions. En passant de scènes très intimes à des scènes d’une violence extrême, voire très “gore” (certaines scènes nécessitent d’avoir le cœur bien accroché), il fait de cette histoire un roman prenant et difficile à lâcher. Pour arriver plus vite au bout, vous pourriez avoir la tentation (je n’y ai pas cédé !) de sauter un, voire plusieurs repas.
Pour l’écriture de ce roman, l’auteur a fait un énorme travail de documentation, tant sur le plan historique que stratégique et socio-économique quant aux enjeux relatifs à la lutte contre la drogue.
Il évoque dans le récit le tremblement de terre meurtrier de Mexico, en 1985, où se révèle la grande humanité du père Juan Parada, et qui transformera la vie de Nora Hayden.
Il rappelle aussi, dans ces pages, la nébuleuse affaire de l’Irangate, qui impliquait une sorte de cabinet secret au sein du gouvernement Reagan, dont l’objectif visait à financer les rebelles sandinistes au Nicaragua, et par extension entraîner la chute du régime pro-soviétique. Il dénonce également l’influence grandissante de l’Opus Dei, qui profite de la précarité des populations locales pour asseoir son influence.
La collaboration la plus étroite et la plus sinistre entre les Contras Nicaraguayens, les barons de la drogue Mexicains, les FARC Colombiennes et la Mafia, décrite par Winslow, est tout à fait plausible et terrifiante. D’un côté, le Mexique subit la pression du gouvernement américain pour réprimer le trafic de drogue; et dans le même temps ce sont les toxicomanes américains qui financent ce trafic. Le Mexique comme les Etats-Unis engloutissent dans cette lutte des milliards de dollars, dépense insignifiante en regard de ce que rapporte la consommation de drogue.
“Il est incapable de décider si la guerre contre la drogue est une absurdité obscène ou une obscénité absurde. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est qu’une farce, tragique et sanglante. »
C’est un constat bien amer que fait l’auteur sur l’état de la politique anti-drogue dans la région. Ce roman, ce “narco-thriller” a parfois des accents de documentaire. Mais il s’agit bien d’un roman, même s’il ne fait aucun doute que cette fiction prend sa source dans le monde bien réel.
On ressort de cette histoire forcément secoué, et notre vision d’une société américaine idyllique s’en trouve passablement ternie.
C’est un excellent roman que cette « Griffe du chien », peut-être le meilleur roman jamais écrit sur ce sujet.
Je recommande sans réserve.
Editions Le cercle Points, 2008
4ème de couv :
Art Keller, le « seigneur de la frontière », est en guerre contre les narcotrafiquants qui gangrènent le Mexique. Adán et Raúl Barrera, les « seigneurs des cieux », règnent sans partage sur les sicarios, des tueurs armés recrutés dans les quartiers les plus démunis. Contre une poignée de dollars et un shoot d’héroïne, ils assassinent policiers, députés et archevêques. La guerre est sans pitié.
L’auteur :
Né en 1953 à New York, Don Winslow a été comédien, metteur en scène, détective privé et guide de safari. Il est l’auteur de nombreux romans traduits en seize langues, dont plusieurs ont été adaptés par Hollywood. Après avoir vécu dans le Nebraska et à Londres, Don Winslow s’est établi à San Diego, paradis du surf et théâtre de ses derniers romans.
ce n’est pas vraiment le genre de sujet qui m’attire, mais à lire tellement de positif sur cet écrivain de noir, faudra que je teste un jour
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Tant qu’on a pas essayé, on ne sait pas si on aime ou non… 🙂
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Oui il va falloir mon ami, obligatoire là, et c’est pas un gros mot ! 🙂
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Il faut écouter ce que dit la dame, Yvan! 😉
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hihi 😉
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Mon ami Vincent,
Belle et étayée chronique. J’ai lu la chronique de Pierre sur Cartel qui est la suite de La Griffe du chien. Ce qui me freine mais plus pour longtemps je pense, c’est le pavé qu’il représente. Mais je vais passer au-dessus, sois-en sûr. Amitiés. Jean.
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C’est après avoir lu la chronique de Pierre sur Cartel que je me suis lancé dans ce premier opus. Autant les prendre dans l’ordre. Amitiés.
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Moi c’est typiquement mon type de roman, il est dans ma PAL depuis belle lurette il faut que je m’y mette 😊
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Ya plus qu’à!!! 😉
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Exact 😉
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Il faut vraiment que je trouve un moment pour le lire… d’autant qu’Art Keller est de retour dans Cartel, sorti il y a peu.
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Eh oui… C’est cette annonce qui m’a poussé à lire le premier des deux! 😉
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Un roman dur dur dur ! Vite, une ligne avant d’entamer Cartel ! 😛
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Une pause d’un ou deux bouquins plus « soft »…
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J’ai adoré ce livre et pourtant qu’est ce qu’il est dur, âpre et violent parfois !
J’ai Cartel sous le coude, et je vais trouver du temps pour lire ce pavé mais après mon oral de concours ! 😉
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Un auteur que j’ai très envie de découvrir. Avec celui ci pourquoi pas. ☺
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