Marin Ledun – L’homme qui a vu l’homme

homme_qui_a_vu4ème de couv.

Pays basque nord, janvier 2009. La tempête Klaus vient de s’abattre sur la façade atlantique. Les rumeurs autour de la disparition d’un militant basque, Jokin Sasco, enflent. Iban Urtiz, reporter, comprend que cette affaire n’est pas un cas isolé. La jeune Eztia, sœur du disparu, lui ouvre les portes d’un monde de mensonges et de trahisons où enlèvements, tortures et séquestrations sont devenus les armes de l’ombre. Tandis que deux tueurs tentent d’étouffer la vérité, la vie d’Iban bascule dans une guerre sans pitié qui ne dit pas son nom. Un roman sous tension qui vibre des cris des familles de disparus et de la folie des hommes.

 

Ce que j’en pense :

 Libération, le 10 mars 2010 :«C’était une disparition inquiétante, c’est désormais une mort suspecte. Le corps du militant basque Jon Anza, disparu 18 avril 2009 après avoir pris le train à Bayonne, a été identifié jeudi dans une morgue de Toulouse où il a été conservé pendant dix mois […].»

A partir de cette affaire, Marin Ledun, avec le concours de son personnage, le jeune journaliste Iban Urtiz, va s’attacher à reconstituer les faits, remonter la trame des évènements, des personnes impliquées, et nous dire ce qui aurait pu se passer dans le cas de Jon Anza.

D’entrée de jeu, dès les premières pages, il nous impose d’assister, spectateurs impuissants, à l’enlèvement, aux brutalités et aux tortures sur le jeune Jokin, lesquelles vont prendre un tour que les tortionnaires n’avaient pas prévu.
« Le coup de feu lui bousille le tympan droit. Il n’entend plus qu’un sifflement strident. Il ouvre les yeux : il n’est pas mort. La balle a traversé la planche de bois contre laquelle il est appuyé. Le type a juste cherché à lui faire peur. Le verrou est tiré, il est seul et il s’est pissé dessus. »…
« Ils prétendent le libérer bientôt, puis le frappent encore. Ils simulent une exécution. Ils lui détachent les mains, lui enfilent de force un sac-poubelle sur la tête. Crâne rasé déchire le plastique avec les ongles pour ne pas s’étouffer. Il ne sait même plus ce qu’il fait là. Il ignore totalement ce que les cagoulés attendent de lui. »

Au cours de son enquête, il va se heurter à la méfiance des proches de Jokin Sasco, le jeune militant de l’ETA disparu. Par son statut de journaliste, toujours soupçonnés d’être à la solde des flics et le fait qu’il soit un « erdaldun », un non basque malgré son patronyme, il suscite la méfiance, voire l’hostilité de Marco Elizabe, un journaliste basque plus ancien, peu enclin à partager ses informations.

Mais il va s’accrocher, rencontrer la jeune sœur de Jokin Eztia, son ancienne amie Eléa Vizcaya, qui a subi elle aussi « l’incommunication ». Selon la législation espagnole, l’« incommunication » (incomunicaciôn) désigne la période suivant l’arrestation d’une personne présumée être liée à une organisation terroriste pendant laquelle peut avoir lieu un interrogatoire sans présence d’un avocat et/ou d’un médecin de son choix, dans un lieu tenu secret de tous pour une durée théoriquement limitée à 13 jours.
Ces périodes sont souvent l’occasion pour les policiers de torturer des suspects pour les briser et obtenir des aveux.

Au cours de son enquête, Iban Urtiz va remonter une dizaine de dossiers de disparitions de jeunes basques, classés sans suite. Iban va aussi mettre à jour les relations troubles qui existent entre les polices Française et Espagnole, au cours de cette « Guerre sale », qui faisait suite aux tristement célèbres GAL (Groupes Antiterroristes de Libération). Coopération poussée à l’extrême, puisque des forces de police espagnoles viennent procéder à des arrestations illégales sur le territoire français, avec la bénédiction de la police Française, pendant ces décennies 60, 70, 80.

En plus du personnage de Jokin Sasco, qu’on ne voit pas, mais dont on sent la présence obsédante tout au long du roman, de sa sœur et de son amie Eléa, on croise une galerie de personnages pas très recommandables, le procureur de la République Delpierre, dont l’intégrité est sujette à caution, Garcia et Pinto, hommes de main de la police antiterroriste espagnole, qui emploient eux-mêmes des méthodes de terroristes. Les compagnons de lutte de Jokin ne sont pas exempts de reproches, et l’incertitude dans laquelle ils sont quant au sort de Jokin,  sert leurs intérêts politiques.

Et tout au long du roman, la rumeur, sur le sort de Jokin. Iban va se mettre en danger, échapper à une tentative d’assassinat à la voiture piégée, mais persévérer, chercher, gratter et au bout du compte découvrir la vérité, mais il aura à en payer le prix, et quel prix !

Dans ce roman, Marin Ledun dénonce sans complaisance les errements des polices française et espagnole, serviteurs zélés d’un système politique. Son roman est sec, précis, dans l’action et dans les faits, bruts, violents. A aucun moment la tension ne retombe, nous sommes maintenus en plongée dans des eaux très troubles, durant les 462 pages que dure le roman. Ce roman a les accents d’une cruelle vérité, et la lutte inégale que livrent ces minorités basques pour leur identité culturelle et politique force le respect.

De plus, cet ouvrage superbement documenté apporte, pour ceux qui ne connaissaient pas, un éclairage particulièrement bienvenu sur la question basque, et l’implication des barbouzes françaises dans cette « Guerre Sale. »
Un très beau roman, très noir, et très serré, comme un bon café.
Je recommande !

Éditions Ombres Noires, 2014

Ledun-MarinL’auteur :

Né en 1975 à Aubenas (Ardèche), Marin Ledun vit dans les Landes. Romancier et essayiste, il a déjà publié sept romans noirs, dont Les visages écrasés (Trophée 813 du Meilleur roman francophone 2011, Grand prix 2012 du Festival International du film policier de Beaune), La guerre des vanités (Prix Mystère de la critique 2011), et des romans pour la jeunesse dont Luz paru en 2012.

Il écrit également des pièces radiophoniques pour France Culture. Chercheur en Sciences humaines et Sociales, il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur les nouvelles technologies et la sociologie du travail.

7 réflexions sur “Marin Ledun – L’homme qui a vu l’homme

  1. Shame on me ! Je l’ai acheté mais je ne l’ai pas lu… Promis craché juré, bientôt je lis son nouveau « Au fer rouge » pour me rattraper 😉
    Et les lecteurs de ton blog à mon avis vont vouloir découvrir l’auteur s’ils ne le connaissent pas !

    Aimé par 2 personnes

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