Kat Marino rentre chez elle à 4 heures du matin, après sa nuit de travail. Tout ce qu’elle désire, c’est prendre un bon bain chaud et se glisser sous les draps. A deux pas de la porte d’entrée de son immeuble, sous les fenêtres des autres habitants un homme l’aborde, la poignarde à plusieurs reprises, et s’enfuit. Il reviendra plus tard pour l’agresser à nouveau.
Au cœur de ce roman, il y a une authentique question de psychologie sociale, basée sur des faits réels. En 1964, une jeune femme de 30 ans, Kitty Genovese était poignardée à mort sous les fenêtres de son immeuble. Malgré ses cris, aucun des voisins (on avance le chiffre de 38) ayant assisté à la scène, qui a duré une heure et demie n’est intervenu ou n’a appelé la police. Ce fait met en évidence un phénomène connu de la psychologie de groupe : la diffusion de responsabilité.
Après la scène décrivant la première agression de Kat, la narration prend un tour particulier, passant d’un voisin à un autre, tous préoccupés par leurs propres problèmes : le jeune conscrit avec sa maman malade, l’infirmière qui croit avoir écrasé un bébé avec sa voiture, la femme qui soupçonne son mari de la tromper, Thomas sur le point de se suicider et qui prend conscience de son homosexualité, et d’autres… Autant d’histoires distinctes qui forment les fils d’un seul et même écheveau.
L’auteur nous décrit les actions de ces personnages durant ce laps de temps, et comment le temps se traîne, deux heures durant, jusqu’au petit matin. Il nous conte comment, au vu et au su de personnes accaparées par leurs propres problèmes, une femme est poignardée dans la cour sur laquelle donnent toutes leurs fenêtres, au travers desquelles ils sont témoins de l’attaque, et comment toutes ces personnes restent passives.
Ryan David Jahn revisite ce fait divers, examine les vies et les psychés des voisins, témoins passifs de ce drame, et le développe en une suite de courtes histoires. Chacune est particulière, soit triste, soit tordue ou bien amusante. Les crises et les drames se déroulent, seulement troublés, de façon fugitive, par les cris de la victime. La violence dans cette histoire n’est pas seulement limitée au calvaire horrible de Kat. Elle exsude littéralement de toutes les fibres de ce roman.
Les personnages pourraient apparaître prévisibles ou stéréotypés, mais il se trouve en chacun d’eux une réelle profondeur, et leur histoire personnelle, à ce moment précis de leur vie, occulte tout ce qui les entoure, et les rend sourds à une quelconque empathie.
L’auteur éprouve pourtant une grande compassion avec la victime dont il décrit le supplice et l’agonie, et sa volonté farouche de vivre, de survivre, en opposition à la morne passivité de ses voisins.
C’est un roman d’une grande violence, physique et psychologique. Néanmoins il y a des moments de douceur et des personnages réellement beaux, comme Patrick le conscrit, prêt à risquer la prison pour rester au chevet de sa mère malade, ou bien Frank Riva, prêt à endosser la faute d’une autre, par amour. Ces moments de douceur tempèrent le propos très pessimiste du livre. Pourquoi les personnes sont-elles tellement absorbées par leurs problèmes au point de laisser quelqu’un se faire assassiner sous leurs yeux ?
C’est un roman particulièrement noir et brutal, un tableau sans concession sur l’Amérique citadine des années 60, un monde sans pitié, qui préfigure notre époque actuelle, dans laquelle des gens peuvent passer des années à vivre côte à côte sans jamais se voir, processus de déshumanisation qui touche la majorité de nos grandes cités occidentales, où les mots de « convivialité » et d’« entraide » se sont peu à peu vidés de leur sens.
Une belle lecture, qui pourtant n’incite pas à l’optimisme.
Éditions Actes Sud (Babel Noir), 2012
4ème de couv:
A quatre heures du matin le 13 mars 1964, à New York, dans le Queens, une jeune femme qui rentre chez elle est agressée dans la cour de son immeuble. Des voisins entendent ses cris, mais personne n’appelle les secours. Concentré sur deux heures, De bons voisins raconte les derniers instants de cette femme. Mais c’est aussi l’histoire de ses voisins, témoins inertes de son calvaire : une jeune recrue de l’armée, angoissée à la veille de la visite médicale qui décidera de son départ pour le Viêtnam ; une femme qui pense avoir tué un enfant ; un couple qui fait sa première expérience échangiste… C’est enfin l’histoire de la ville, de ses nuits faussement calmes, de sa violence aveugle.
Ryan David Jahn s’empare ici d’un fait divers réel, le meurtre de Kitty Genovese, qui a défrayé la chronique dans les années 1960 et donné naissance à la notion d’“effet du témoin” : lors d’une situation d’urgence, les témoins sont d’autant moins susceptibles d’intervenir qu’ils sont nombreux.
Usant de toutes les ressources du roman pour interroger cette criminelle passivité, l’auteur mène de concert de multiples fils narratifs, les entrecroise avec un art consommé du récit et tisse le sordide canevas de nos démissions ordinaires.
L’auteur:
Né en 1979, Ryan David Jahn vit à Los Angeles.
Écrivain et scénariste, son premier roman De bons voisins (Actes noirs, 2012 ; Babel noir n° 86) a été Couronné par la Crime Writers’Association, et a également rencontré la faveur de la critique et du public français.
Autres romans:
Emergency 911, Actes Sud (Babel Noir), 2013
Le dernier lendemain, Actes Sud, 2014
Que tu en parles bien 😍
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Merci David… 🙂
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Magnifique chronique.. c’est tout à fait le genre de roman qui pourrait me plaire..
c’est vrai que cette passivité et la diffusion de la responsabilité est un problème….la psychologie humaine est tellement compliquée 😦
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Merci… Ce phénomène de groupe fait que plus les témoins sont nombreux, moins ils se sentent concernés.
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Effectivement un magnifique bouquin même s’il prends pour base un fait divers réel. j’adore cet auteur dont son prochain sort ce mois ci justement ! j’ai hâte de le lire. Quant à celui ci, pas impossible que je le relise pour le plaisir !! :=)
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Oui, mon souriceau. Une très belle écriture pour des faits qui n’engendrent pas l’optimisme. Mais c’est un auteur que je vais continuer à suivre. Il vaut le détour…
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Tu donnes envie de découvrir ce texte malgré sa noirceur. Bravo pour ce billet mister Magic 🙂
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Merci, copine… A très bientôt…
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tu lis des trucs qui incitent à l’optimisme d’habitude ? 😉
En tout cas je ne suis pas étonné de te voir lire ce roman, je te reconnais.
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Oui, Yvan, je suis souvent dans du noir… C’est pour faire l’équilibre avec mon tempérament plutôt enclin à la rigolade. Et celui que je lis en ce moment n’est pas un monument de gaîté non plus… 😉
A bientôt à SMEP!!! 🙂
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Un roman dont j’avais entendu parler, un fait-divers dont je ne voulais pas croire tellement c’était horrible de savoir que tout le monde avait vu et que personne n’avait fait quoi que ce soit…
Plus amusant : tu as une jolie nouvelle déco, mon Vincent ! Travaux de peintures ? Damido & Co ? 😆
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Le nouveau cadre te plaît? Je voulais surtout un thème où le fond ne soit pas blanc, et qui adoucisse un peu la lecture.
Pour le roman, il faut dire que parfois la réalité dépasse la fiction. 🙂
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J’aime la couleur crème, mais ton fonds avec le pont ne me dérangeait pas, ça cassait la monotonie d’un fonds uni… Que dirait Damido ? Ou Cordula, hein ?? Le crème, ça mèmèrise, non ? MDR
Hélas, la réalité dépassera toujours et de loin, la fiction !
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Je l’ai eu en mains il y a peu avant de jeter mon dévolu sur un autre ouvrage. Ta chronique a logiquement comme conséquence de le faire sortir de la bibliothèque vitrée dans laquelle il dort. Amitiés.
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Pour une coïncidence … j’ai terminé ce roman il y’a une petite huitaine! J’ai adoré, un excellent roman noir et un faits divers tristement dramatique.
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Et hop, un de plus dans ma wish list.
Dois je te remercier ? Bin ouiii !
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Je me souviens très bien de la chronique télé lors de la sortie de ce livre. J’avais oublié depuis lors qu’il s’agissait d’un fait divers réel.
Ce que j’avais retenu, c’est que ce livre relate d’une excellente manière la façon de voir tous les individus qui voient un même évènement et vont le raconter chacun à leur manière, déformé aussi.
Ce qui à l’époque, si je me souviens bien à fait intervenir sur le plateau ou par écrit, un juge d’instruction qui disait qu’il fallait en effet tenir compte de ses « déformations » visuelles, subjectives et qui sont souvent bien loin de la réalité. Une excellente introspection, du moins je le pense, dans la manière de décortiquer un évènement, surtout celui-là, où en plus, personne n’est intervenu. Pfff !!!
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Et le phénomène de groupe, qui fait que plus il y a de témoins d’un évènement, moins ils se sentent concernés.
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Bonjour !
Je l’ai lu dernièrement ce roman… ce qui s’est passé est écœurant, mais ça ne m’étonne pas..
Chacun cherche juste à préserver sa petite bulle 😦
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Le plus terrible, c’est que c’est inspirée d’une histoire vraie…
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Bien sûr! De toute façon ça arrive tous les jours cette indifférence.. y a des gens qui se font agresser dans la rue ou les transports en commun et personne ne réagit..
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C’est notre monde moderne, où l’égoïsme et l’individualisme sont érigés en système.
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